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L’inculpation provisoire en procès

Avec l’arrestation de Shakeel Mohamed, une loi pour éviter les inculpations provisoires a été rappelée au bon souvenir de l’Alliance Lepep. Promise dans le programme gouvernemental, une loi calquée sur la Police and Criminal Evidence Act britannique de 1984 doit être présentée l’année prochaine. Une loi pour mettre fin aux arrestations arbitraires et les inculpations provisoires ne sera définitivement pas présentée à l’Assemblée nationale cette année.  Et ce, malgré les promesses de l’Alliance Lepep en faveur d’un texte de loi inspiré de la version britannique de la Police and Criminal Evidence Act et la récente arrestation du député travailliste Shakeel Mohamed en relation avec le triple assassinat de la rue Gorah-Issac. Des consultations sont en cours pour finaliser une législation adaptée au contexte mauricien.
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"5163","attributes":{"class":"media-image wp-image-8637","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"400","height":"308","alt":"Michael Zander"}}]] Michael Zander, le père de la Police and Criminal Evidence Act britannique de 1984.

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/div> L’Attorney General’s Office et le ministère de la Bonne gouvernance, des Services financiers et des Réformes institutionnelles travaillent pourtant depuis plusieurs mois déjà sur ce projet qui vise également à créer un code de procédures pour la police. « L’on ne peut simplement prendre ce qui a été fait ailleurs et l’adapter à la sauce locale. La loi concernant le pouvoir d’arrestation et autres n’a pas évolué depuis l’Indépendance. Il nous faut prendre notre temps pour considérer les nouveaux paramètres afin qu’elle puisse être utilisée durant les 20, voire les 30 prochaines années », fait ressortir le ministre Roshi Bhadain. Le nouveau projet, assure-t-il, devra tenir compte des avancées technologiques et des nouvelles méthodes de fraude afin de permettre à la police de mener à bien ses enquêtes. Davantage d’attention sera accordée aux « white collar crimes » et les accusations provisoires devront être chose du passé, soutient Roshi Bhadain. Tout le volet légal, ajoute le minstre, est sous la responsabilité de son collègue Ravi Yerrigadoo. Tous deux, dit-il, ont déjà rencontré le Pr Michael Zander, le père de la Police and Criminal Evidence Act britannique de 1984.

Levée de boucliers

La rencontre avec le Pr Zander date de plusieurs mois. Le Britannique a accepté d’aider Maurice à fignoler un texte de loi « qui réponde aux besoins de la société mauricienne ». L’Hôtel du gouvernement a mis à la poubelle le Police and Criminal Evidence Bill proposé en 2012 par l’ex-Attorney General Yatin Varma, d’autant qu’il avait provoqué une levée de boucliers du Bar Council. À l’époque, l’avocat Raouf Gulbul avait évoqué des « disturbing features » qui seraient à l’encontre de l’article 10 de la Constitution définissant les droits des accusés. Le projet de loi de Yatin Varma prévoyait ainsi que les dépositions produites lors d’une enquête préliminaire dans une affaire de meurtre soient utilisées aux Assises, même si le témoin se rétracte. « Ce que Yatin Varma proposait était trop élémentaire. Le contexte local était également occulté. Il est également important que la police soit en présence d’un code de procédures afin qu’elle sache comment manœuvrer, notamment face aux allégations. Elle ne peut procéder à l’arrestation des personnes sans qu’une enquête approfondie n’ait été menée. Ce qui est fait actuellement est contraire aux principes du droit », déclare aujourd’hui Me Gulbul. Son confrère Jean-Claude Bibi parle, lui aussi, de la nécessité d’une loi pour mettre fin aux arrestations arbitraires. « Dans tous les pays, il y a des allégations qui sont formulées. Mais à Maurice, le système était vicié. La personne mise en cause était jetée en cellule sans qu’aucune enquête n’ait été menée au préalable pour établir si les allégations portées contre elle tenaient la route. Au fil du temps, l’inculpation provisoire est devenue une pratique bien établie, mais qui n’est justifiée par aucune loi ! Les enquêteurs doivent donc avoir suffisamment de preuves en main avant de procéder à l’arrestation d’un suspect », lance l'avocat. L’ancien Attorney General considère également que tant que des juges d’instruction ne seront pas nommés, le système ne changera pas. Il indique que près de 30 % des inculpations provisoires sont rayées et qu’il est souvent sollicité par ses clients à réclamer des dommages à l’État pour arrestation et détention arbitraires. Un ancien responsable du Central Criminal Investigation Department (CCID), qui a pris sa retraite avec le grade d’assistant-Commissaire de police (ACP) rétorque que, bien souvent, les enquêteurs n’ont pas d’autres choix que d’arrêter un suspect. « La police ne peut obliger une personne à venir donner sa version des faits. Si elle consent à répondre à la convocation, elle peut tout aussi bien invoquer son droit au silence. Imaginons qu’elle soit impliquée dans une affaire relativement grave. Comment pouvons-nous procéder à part une arrestation et une inculpation provisoire ? » demande cet enquêteur de carrière. Il rappelle que la procédure impose un passage devant un magistrat, d’où l’inculpation provisoire. Il reconnaît cependant qu’il y a des abus de la part de la police : la détention d’une personne accusée d’homicide involontaire après un accident de la route. « C’est devenu une bien mauvaise habitude. Dans un accident, il n’y a pas de préméditation. Il y a peut-être la conduite dangereuse », déclare cet ancien ACP.

Aucune mention dans nos lois

Malheureusement, note Me Antoine Domingue, président du Bar Council, les médias se braquent surtout lorsqu’il est face à des « high profile cases ». S’étendant sur le cas de Shakeel Mohamed, il parle « d’arrestation intempestive » et de « charge provisoire dérisoire ». Il rappelle que la Constitution prévoit des arrestations basées sur des « reasonable suspicions » et que la police n’a  d’autre alternative que d’inculper un suspect à titre provisoire, car la loi l’oblige à expliquer à un magistrat les raisons d’une arrestation. L’homme de loi reconnaît que même les juges sont pantois devant l’exception mauricienne quant à l’inculpation provisoire, la détention administrative - n’étant pas prévue dans nos lois. Même la Bail Act, ironise-t-il, ne fait aucune mention de « provisionnal charge ». Reste donc au gouvernement de dépoussiérer les textes de loi et les remettre de plain-pied dans le XXIe siècle.
 

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