Ils roulent en berlines, fréquentent les grands restaurants et mènent une vie de pacha. Pourtant, ces jeunes avocats n’ont qu’une poignée d’années d’expérience au barreau. Quelle est la recette pour qu’ils se fassent de l’argent en si peu de temps, défiant la féroce concurrence dans univers des hommes en robe noire ? La réponse tient en une phrase : l’appât du gain, qu’importe la couleur ! Certains sont prêts à partager le repas du diable. Des seniors ne sont pas en reste.
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Maître dans l’art de la frime et toujours bien mis, ils sont les nouveaux riches de la profession. Toutefois, derrière cette façade se cachent des gens avides qui n’hésitent pas à sauter sur tout ce qui bouge. « Lipie latab bouze, zot manze », dit-on dans le giron.
D’où vient cette tendance à courir derrière la manne, quitte à piétiner la déontologie de cette noble profession ? Pourquoi sont-ils montrés du doigt ces derniers temps ? La commission d’enquête sur la drogue ne manque pas de les réprimander pour leurs réponses évasives, qui rendent plus que perplexe.
Avec un surnombre d’hommes en noir à Maurice, gagner son casse-croûte relève souvent de l’exploit pour certains jeunes avocats. S’ils n’hésitent pas à brader leurs honoraires, ils prennent tous les cas qui se présentent. Comme dirait l’Anglais, « grab every single case », pourvu qu’ils remplissent leur besace en fin de semaine. Pour la déontologie et l’éthique, il faudra repasser.
C’est l’avis de Me Siddartha Hawoldar, un vieux de la vieille au barreau. Pour lui, le gain facile peut tenter un jeune avocat : « Un jeune confrère peut-il succomber à l’appât du gain ? C’est fort possible. Plus le réservoir d’avocats grandit, plus il devient difficile pour les juniors de s’affirmer. La profession n’arrive pas à nourrir son homme. Ce qui est source de frustration. Ils ne sont pas des ténors du barreau, la solution est alors toute trouvée », dit-il.
L’avocat poursuit : « C’est ainsi que l’on tombe dans le piège de la facilité. Heureusement, il y a des compagnies offshore qui absorbent nos jeunes avocats. Ils sont cependant nombreux à se retrouver dans des situations financières difficiles. »
Qui dit argent facile dit surtout fermer les yeux sur la provenance de ses honoraires. Me Hawoldar ne justifie pas cette posture : « L’Anglais résume bien cet état des choses : They grab whatever case, just to survive. Surtout pour des cas ayant trait à la drogue où il est facile de se faire de l’argent. La provenance de leurs honoraires qu’ils n’hésitent souvent pas à brader est le cadet de leurs soucis. »
Franchir la ligne Maginot
Quid d’un paiement Bank to Bank ? L’avocat sourit : « Les petites gens n’ont pas cette culture de B to B et il revient aux jeunes du barreau de suivre les normes établies, comme mettre sur papier le mode de paiement et les coupures avec lesquelles ils ont été rémunérés to play it safe », soutient Siddartha Hawoldar.
Même son de cloche du côté de Me Anupam Khandai, qui, lui, avait été convoqué par la commission Lam Shang Leen en rapport avec ses visites fréquentes à la prison centrale : « Comme aucune loi ne régit les honoraires des avocats, ces derniers se doivent de veiller à ce que leurs frais soient raisonnables et de vérifier la provenance de l’argent. Il est dommage que certains font fi de ce garde-fou et franchissent cette ligne Maginot allègrement. »
Est-ce cet attrait de l’argent facile qui poussent les jeunes loups à côtoyer les trafiquants de drogue ? À cette question, l’avocat répond : « C’est logique que les jeunes qui ont étudié en Angleterre préfèrent les cas au criminel, car les procédures sont les mêmes, à quelques variantes près.
Mais, je leur dis de faire attention. Quand il s’agit de cas concernant des délits de drogue, ils gagneraient à appliquer le KYC (Know Your Client) et de se faire briefer par un senior. Sinon ils risquent de tomber dans le piège tendu par des trafiquants rompus à ce petit jeu. Mais, l’appât du gain est trop tentant. »
Normalement, tout avocat, précise Me Khandai, se doit de connaître la provenance de ses honoraires : « S’il a le moindre doute sur l’origine de son cachet, il doit sur-le-champ dire stop et se retirer. Cela même si le pactole est tentant. Il faut passer la main. C’est la règle du jeu. »
Ni pape, ni Mère Teresa
Me Nilkant Dulloo résume bien l’imbroglio qui entoure les honoraires des avocats : « Nous sommes des êtres humains, avec nos forces et nos faiblesses. N’importe qui peut se laisser tenter, y compris moi. Nous ne sommes ni le pape ni Mère Teresa. Il faut juste savoir tracer une ligne et ne pas la franchir, surtout dans des cas de vols et de drogue de grande envergure. Ne soyons pas hypocrites : même si l’argent n’est pas tout, il nourrit son homme. »
Idem pour les autres avocats que nous avons interrogés. Pour eux, savoir trier le bon grain de l’ivraie est essentiel pour ne pas y laisser des plumes et dénigrer la profession. Ils admettent que l’avidité existet dans tous les corps de métier et que la concurrence force souvent la main pour prendre un raccourci. D’autant qu’il y a des semaines « kot nou bat lamok ou qu’une affaire traîne en cour. Alors que les honoraires fixés au départ ne couvre plus les frais de l’affaire ».
Quelle est la ligne à ne pas franchir ? Pour Me Hawoldar, « il faut une bonne dose de volonté pour éviter de tremper dans des combines qui peuvent mal tourner. Toutefois, il ne faut pas se voiler la face, certains jeunes avocats et même des seniors ferment les yeux sur certaines pratiques qualifiées d’incestueuses avec les barons de la drogue et de détenus au passé plus que douteux. »
Pour Me Nilkant Dulloo, du Rama Valayden Chambers, tous les jeunes avocats n’ont pas, comme lui, la chance de plaider au criminel : « La plupart des pupils-master envoient leurs juniors à leur place au tribunal pour demander un renvoi. Rama Valayden a, lui, une toute autre approche. Il permet à ses juniors de défendre l’affaire après avoir été dûment briefé. »
Il est conscient qu’il est difficile pour les nouveaux de se frayer un chemin dans la profession. Ils sont obligés d’intégrer un cabinet pour survivre, le temps de se faire une clientèle. « À mon avis, une Legal Services Commission permettrait à ces jeunes avocats d’être dûment payés quand ils sont commis d’office. Au lieu d’une prime de Rs 1 000, alors que toute affaire requiert une préparation importante. »
Me Nilkant Dulloo prend pour exemple une affaire actuellement aux Assises dans laquelle il a été commis d’office pour ces mêmes honoraires de Rs 1 000. « Ce n’est pas que je cours après l’argent, mais j’ai aussi des frais professionnels et personnels », dit l’avocat.
Toujours est-il que les hommes en noir, surtout les seniors qui pratiquent au civil bénéficient de juteux honoraires. Ils ont souvent une clientèle fortunée. Certains jeunes poulains rêvent de ce train de vie princier. Quitte à se brûler les ailes.
Qui paie la caution ?
Un avocat peut-il payer la caution « on behalf of his client » ? Les avis sont partagés, avec deux écoles de pensée distinctes. D’abord, le franc-parler de Me Nilkant Dulloo peut choquer, mais il n’en a cure : « J’ai déjà payé la caution d’un de mes clients que je représentais d’office et qui était accusé de wounds and blows, j’ai payé sa caution pour qu’il bénéficie de la liberté provisoire. Rien ne m’empêche de le faire. » En revanche, Me Anuam Khandai est d’un tout autre avis. « Éthiquement, payer la caution de son client n’est pas acceptable, car ce serait mélanger son rôle de défenseur à celui d’un bienfaiteur ».
Me Raouf Gulbul : « Attendons voir »
Me Raouf Gulbul, qui préside la Law Reforms Commission, admet qu’il suit de près les travaux de la commission d’enquête sur la drogue : « Jusqu’ici, il n’y a pas de coupables et à la lumière que de ce que recommandera la commission, la Law Reforms Commission agira. Attendons voir. » Il précise qu’appeler un homme de loi devant la commission ne veut pas dire qu’il soit coupable, comme le pensent certains. « Quand un avocat est appelé devant la commission, il est bon qu’il se présente et réponde aux interrogations sous serment. » Me Raouf Gulbul affirme qu’il en fera de même s’il est convoqué.
Le Bar Council est rationnel
Le président du Bar Council est d’avis que les trafiquants de drogue ne vont jamais approcher les jeunes qui viennent de faire leurs armes au barreau. « Ils savent que ces nouveaux avocats sont moins susceptibles de se laisser tenter par l’appât du gain.
Cependant, une fois qu’ils entrent dans l’engrenage et se compromettent, cela devient infernal pour eux. » Jacques Tsang Mang Kin est d’avis que tout dépend de la formation et des valeurs de chacun. Il se pose les questions suivantes : si l’appât du gain est légitime, qui donne cet argent et qu’attend-il en retour ? On ne donne rien sans attendre une faveur en retour, dit-il. Le président du Bar Council dit comprendre que débuter dans le métier d’avocat est souvent pénible, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut se laisser séduire par l’argent facile.
Des visites qui rendent perplexes
L’ex-juge Paul Lam Shang Leen a du mal à comprendre les visites, selon lui, trop fréquentes de certains avocats à leurs clients en prison.
Me Nilkant Dulloo donne, lui, une raison bien simple à sa présence à la prison : il doit être briefé par son client avant de le représenter en cour. « J’ai été commis d’office pour défendre le Sud-Africain Peter Grows. Il est tout à fait normal que je rende visite à mon client régulièrement.
Pour ce qui est de prétendues magouilles, il faut prouver qu’il y a entente délictueuse et que l’avocat fait partie de la combine. Il se peut aussi, dans le cas de Peroomal Veeren, qu’il recrute une vingtaine d’avocats. Chacun se chargera d’un volet des diverses accusations portées contre le prévenu. S’il peut se permettre leurs honoraires, il n’y a aucun problème. »
Un avis que partage l’avocat Anupam Khandai : « Si j’ai à rendre une dizaine de fois visite à mon client qui est on remand, je remplis les formulaires officiels, je donne les raisons de ma visite. Il n’y a rien d’étrange ou de suspicieux à cela. »
Toutefois, précise Me Nilkant Dulloo, « si un de ses clients a été condamné, l’avocat n’a aucune raison de lui rendre visite, à moins qu’il n’ait fait appel du jugement ».
Questions À... Ajay Daby, ancien commissaire du bureau des narcotiques : « Les trafiquants ne sont pas les employeurs des avocats »
Quand vous présidiez la commission contre le trafic de la drogue sous un gouvernement de sir Anerood Jugnauth, vous aviez promis de ne plus défendre les trafiquants de drogue.Avez-vous tenu parole ?
Rien que cette semaine, j’ai refusé deux cas ayant trait à la drogue. Le premier concerne un officier du Passport and Immigration Office (PIO). Même pour tout l’or du monde, je ne pouvais prendre cette affaire parce que, quand j’étais à la commission, j’ai eu accès à des informations privilégiées qui auraient compromis le Parquet.
Le deuxième cas concerne un homme arrêté pour une affaire de drogue, après 14 ans passés à l’étranger. J’ai dit à ses proches que je suis l’avocat la moins approprié pour le defendre, car j’étais Drug Commissioner. Je ferais exception si les droits humains de la personne arrêtée ont été bafoués.
L’argent peut-il aveugler les avocats ?
Pas ceux de notre trempe. Je pratique encore en cour intermédiaire, quoi que la plupart de mes clients sont de l’establishment. Toutefois, il y a certains juniors qui s’égarent et se font piéger au lieu de chercher conseil auprès des seniors.
J’ai une chose à ces jeunes avocats : you don’t eat, drink or live with them. Je sais que c’est une blurred line que quelques-uns franchissent. Les trafiquants en profitent.
Un avocat doit avoir la volonté de dire non, s’il juge qu’il y a anguille sous roche. Un avocat n’est pas l’employé de son client et ne doit pas devenir son esclave. Il ne doit pas être un business facilitator. S’il fait partie du human resource de son client, il devient complice. C’est une ligne dangereuse à ne pas franchir sous aucun prétexte. Never act as a grabber.
Existe-t-il des liens incestueux entre un avocat et son client ?
Il faut voir au cas par cas. L’avocat est engagé pour ses services, point à la ligne. S’il a compris ce principe, il aura tout compris.
702 avocats à Maurice
La robe noire attire davantage que la blouse blanche du médecin. Ces dernières années, on a vu grossir le nombre de jeunes avocats au barreau. En 2013, Maurice comptait 392 avocats et 182 avocates et, en 2016, on dénombrait en 453 et 249 respectivement.
L’on apprend qu’en moyenne, Maurice accueille entre 60 et 70 nouvelles têtes au barreau chaque année.
En 2016, le barreau comptait 4 Queen’s Counsels, tous des hommes, et 24 Senior Counsels, parmi deux femmes.
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