Lors d’une randonnée, nous avons croisé par hasard un homme qui vit en forêt. Autour d’une tasse de thé sous sa tente de fortune abîmée au fil du temps, il a raconté son histoire à Le Dimanche/L’Hebdo.
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Enserrés dans les nœuds de la circulation. Étouffés par la pollution. Accablés par le stress quotidien. La société actuelle nous pousse sans relâche à courir après le temps et l’argent. Pour beaucoup, le rêve d’une existence empreinte de sens, et bercée par la quiétude, reste une aspiration lointaine, entravée par les exigences inévitables du travail et les responsabilités familiales. Pourtant, certains trouvent le moyen de vivre en harmonie avec la nature, naviguant avec adresse à travers les défis imprévus que la vie leur réserve.
Un vendredi de juin. Nous sommes en randonnée dans une forêt de l’île. Au gré de notre marche, des singes espiègles sautent agilement d’une branche à l’autre dans les arbres. Leurs facéties égayent notre chemin. Tout à coup, nous tombons sur une tente de fortune. Téméraires, nous nous approchons pour la voir de plus près.
Sur une liane qui étrangle naturellement deux arbres, des vêtements sèchent au soleil. Sur un feu de bois, du riz bouillonne dans une marmite noircie par le temps. Un peu plus loin, un homme lance des pelures et des morceaux de fruits à des singes qui les gobent et s’enfuient à la vitesse de l’éclair pour les manger en altitude.
Dans un sourire édenté, l’homme qui parle aux singes nous salue et nous invite à le rejoindre. Alors que nous marchons vers lui, des statuettes installées sous le magnifique tronc d’un gigantesque conifère attirent notre attention. La Vierge Marie, Saint François, un ange et un nain de jardin verdâtre de moisissures… « C’est ma chapelle où je prie tous les jours », nous dit l’homme.
Qui est-il ? Pour le savoir, il nous invite à prendre place sur un siège de plage donnant vue sur l’étendue d’eau en face de sa tente de fortune.
Il retire la marmite de riz et y place un « deksi » aussi noir que le charbon pour réchauffer du thé qu’il a conservé dans un grand seau de peinture vide. Puis, il remplit une tasse de thé et vient s’asseoir sur un rocher à côté de nous.
Tout en grillant une cigarette, il nous révèle son nom et son âge. Cela fait quelques années qu’il vit dans la forêt, confie-t-il. Marvin (nom d’emprunt) raconte qu’il est originaire de Port-Louis. Ayant grandi dans la misère, il a quitté les bancs de l’école après le Certificate of Primary Education (CPE) pour travailler afin d’aider sa famille. Il a débuté en fabriquant des meubles en rotin.
A-t-il de la famille ? « Je vivais avec ma mère et je ne me suis jamais marié. J’ai des frères et sœurs que je vois de temps en temps quand je vais en ville », répond-il. Sa mère, qui n’est plus de ce monde, vendait des légumes au « bazar » et ils habitaient une maison dans un faubourg de Port-Louis avant d’aller dans un autre village au nord du pays.
« Vous vivez dans la forêt ? » lui demandons-nous. « Oui. Cela fait quelques années maintenant », répond Marvin. Ce dernier avoue qu’après la mort de sa mère, il a connu des difficultés et s’est retrouvé à vivre sous les abris de bus et les ponts. Un jour, las de cette situation, il a fait le choix de vivre selon ses propres règles en construisant une tente de fortune dans cette forêt.
Sa maison dans les bois
Sa tente de fortune, Marvin l’a fabriquée avec des plastiques récupérés. Le matelas qui lui sert de lit lui a été offert par des randonneurs qui l’ont croisé dans la forêt. Il y a aussi une tente de camping rapiécée avec de la tresse collante. Elle lui sert de « placard » en pleine nature, où il garde toutes ses affaires.
Dans sa « maison » qui n’a qu’un toit en plastique sans murs improvisés pour le protéger du froid et de la brise, il y a un réveil qui lui permet de savoir l’heure. Sur une poutre en bois, nous trouvons un récipient accroché à un clou. Nous voyant scruter sa modeste demeure, Marvin nous dit en riant : « C’est mon frigo. J’y mets ma nourriture pour que les singes ne viennent pas la voler. »
Comme il revient d’une partie de pêche, Marvin a déjà nettoyé ses poissons « Tilapias ». Le feu de bois étant encore vif, il y place une « karay » dans lequel il verse de l’huile. Ses poissons lavés, il les badigeonne de gros sel et les égoutte avant de les placer dans l’huile maintenant chaude. Le crépitement nous rend nostalgiques de notre grand-père qui cuisinait autrefois de la même façon durant notre enfance.
Ensuite, Marvin ouvre un « tempo » noir comme un café expresso. Il nous montre son « toufe bred ». Les « breds », il les a cueillis dans un terrain en friche près d’un hôpital. « Vous savez cuisiner, Marvin ? » souhaitons-nous savoir. « Non, pas vraiment. Je me débrouille comme je peux pour survivre », dit-il. Son dîner de ce soir sera composé de poisson frit, « toufe bred » et riz blanc.
Vie sylvestre
N’est-ce pas dur de vivre dans la forêt, loin de tout ? « Avant, je travaillais comme jardinier. Cela me permettait d’avoir de l’argent pour m’acheter des provisions et une bière de temps en temps », soutient Marvin. Maintenant, il pêche des poissons dans un casier ainsi que des écrevisses qu’il vend pour quelques roupies. Trouvent-ils preneur ? « Des fois, je dois faire des kilomètres pour les vendre. Heureusement que j’ai une bicyclette. »
En jetant un coup d’œil derrière sa tente de fortune, nous trouvons son précieux véhicule doté d’un panier garé sous un arbre. Plus loin, nous trouvons des seaux d’eau sous d’autres arbres, du savon, un broc et des savates. « C’est ma salle de bains », indique-t-il en souriant.
Comment fait-il pour supporter les températures hivernales, d’autant plus que sa tente de fortune est ouverte ? « Des randonneurs m’ont donné des couvertures. Je suis habitué maintenant. » Et que fait-il quand il pleut des cordes ? « Ben, je me mets au lit en attendant que cela passe et ce qui est sympa, c’est que je peux admirer la pluie jusqu’à ce que je m’endorme », explique Marvin.
Et lors des cyclones ? « Je tente de protéger ce que je peux et si cela se détruit, je reconstruis », avance-t-il. Sait-il quand les intempéries arrivent ? « J’écoute la météo sur ma radio. Mais elle est cassée. Donc, j’observe le ciel et j’arrive à anticiper le temps », affirme Marvin.
Que fait-il lorsqu’il est malade ? Marvin a quelques médicaments en stock dans la tente qui lui sert de placard. Sinon, il prend son vélo ou il marche pour aller à l’hôpital et y recevoir des soins.
Passe-t-il les fêtes et le Nouvel an dans la forêt ? « Oui. Je vais pêcher des écrevisses. Puis, je les fais frire pour un repas sympa et je m’achète une bouteille de vin pour marquer l’occasion », sourit-il.
« Vous êtes chanceux d’avoir des crustacés pour le dîner. C’est très cher en ville », lui lançons-nous. « Eh oui ! C’est ça le bonheur de pouvoir pêcher et se nourrir en forêt. Je ne peux pas me plaindre, ça me fait un repas digne d’un hôtel que je mange sous un millier d’étoiles sans dépenser une fortune », réplique-t-il avec bonne humeur.
Quand il fait beau, Marvin vaque à ses occupations et s’adonne à des parties de pêche. Sa journée commence vers 6 heures du matin. Il se brosse les dents, se lave et il s’habille. Après avoir fait bouillir le thé, il va retirer son casier pour voir ses prises. Il choisit ce qu’il mangera pour ses repas et le reste, il le met dans son panier.
Après son petit-déjeuner, il prend son vélo pour aller gagner sa vie ici et là. Une fois qu’il a tout vendu, il s’arrête au marché d’un village lointain pour ramasser les pelures et des morceaux de fruits et de légumes jetés par les marchands afin de les ramener pour nourrir ses voisins, les singes. Il s’arrête aussi en chemin à la boutique pour faire le plein des provisions dont il a besoin.
De retour dans sa tente de fortune, il se fait un autre thé et range ses courses dans des seaux de peinture vides ayant des couvercles, toujours à cause des singes. Puis, il se repose un peu. Comme il dépend de la lumière du soleil pour pouvoir cuisiner ses repas, il le fait en après-midi. Après, il se met sur sa chaise de plage pour admirer le coucher du soleil dans toutes ses teintes magiques dans cette partie de l’île où il a élu domicile. Le soir, sous les étoiles, il n’a plus peur des chauves-souris comme avant. Le lendemain, il reprend sa routine.
Son rêve
Marvin a grandi dans la misère des faubourgs de Port-Louis. Aujourd’hui, il trouve refuge dans la forêt, loin du tumulte de la ville. Chaque jour, il affronte les défis avec une résilience admirable. Il se débrouille pour vendre sa pêche et se procurer de quoi manger. Malgré les épreuves, son plus grand rêve reste simple : habiter une maison près d’une rivière. Pourquoi ? « Tout simplement pour continuer mon mode de vie actuelle qui est d’être proche de la nature », répond cet homme qui mène une vie que nous sommes peu nombreux à pouvoir imaginer.
Appel aux dons
Sous une tente de fortune dans le froid de la forêt, le quotidien de Marvin est une lutte constante pour la survie en attendant des jours meilleurs. Pour l’aider à braver cet hiver glacial et améliorer ses conditions de vie, nous lançons un appel aux dons pour lui offrir des couvertures et des draps, des ustensiles de cuisine utiles tels qu’une cuillère, une fourchette, un passe-thé, des bols hermétiques, un verre, un plat etc. Mais aussi des vêtements chauds, des boîtes de conserve et une tente de camping en bonne condition pour qu’il puisse vivre plus dignement. Chaque geste compte. Si vous souhaitez l’aider, contactez-nous.
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