Un "grand mensonge" : le secrétaire général de l'ONU a appelé mercredi à poursuivre les majors pétrolières, comme les cigarettiers l'ont été, pour avoir caché pendant des années les informations dont elles disposaient sur le réchauffement climatique.
"Certains producteurs d'énergies fossiles étaient parfaitement conscients dans les années 1970 que leur produit phare allait faire brûler la planète", a affirmé Antonio Guterres au cours d'un discours au Forum de Davos.
"Mais comme l'industrie du tabac, ils ont fait peu de cas de leur propre science", a-t-il ajouté, en déduisant que "certains géants pétroliers ont colporté le grand mensonge".
Dès les années 1980, le géant pétrolier ExxonMobil disposait de prédictions sur le réchauffement climatique d'une justesse remarquable, réalisées par ses propres scientifiques, et qui se sont révélées être précisément ce qui s'est produit plusieurs décennies plus tard, a confirmé une étude parue jeudi dans la prestigieuse revue Science.
Or l'entreprise a pendant des années publiquement jeté le doute sur l'état des connaissances scientifiques en la matière, a également souligné cette publication.
Après la publication dans la revue Science, un porte-parole de la compagnie a déclaré à l'AFP que "cette question a fait plusieurs fois surface ces dernières années", ajoutant que "à chaque fois, notre réponse est la même : ceux qui évoquent ce que 'Exxon savait' ont faux dans leurs conclusions."
246 milliards de dollars
Selon Antonio Guterres, "les responsables doivent être poursuivis" comme les cigarettiers l'ont été. Une référence aux 246 milliards de dollars que les géants du tabac aux Etats-Unis avaient accepté de payer en 1998 à 46 Etats sur une période de 25 ans, afin de couvrir les coûts engagés pour soigner d'anciens fumeurs.
Depuis plusieurs années déjà, ExxonMobil est accusé d'avoir tenu un double discours sur le changement climatique provoqué par les immenses quantités de gaz à effet de serre rejetées par l'humanité dans l'atmosphère, notamment via la combustion de charbon ou de pétrole pour produire de l'énergie.
"Nous devons mettre un terme aux mensonges des géants du pétrole, du gaz et du charbon, et lancer une action collective pour les éliminer progressivement", a réagi l'Initiative du traité de non-prolifération des combustibles fossiles, dans un communiqué se félicitant du discours de patron de l'ONU.
Selon cette organisation, qui milite pour beaucoup plus encadrer les producteurs d'énergies fossiles, la lenteur des progrès des gouvernements à lutter contre les effets sur le climat des géants pétroliers est due à "l'influence des lobbyistes de l'industrie fossile".
La question de l'impact de l'industrie pétrolière sur la planète se fait d'autant plus pressante aujourd'hui que "chaque semaine amène son lot d'histoires horrifiantes", s'est inquiété le secrétaire général de l'ONU, qui parle de "flirt avec le désastre climatique".
Jeudi dernier, l'Organisation météorologique mondiale a confirmé que les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées.
"Il faut que le pétrole reste en terre", a exhorté de son côté la militante équatorienne d'Amazonie de 20 ans, Helena Gualinga, dans un entretien à l'AFP en marge de la réunion du Forum économique mondial. Avec la Suédoise Greta Thunberg et d'autres jeunes militants, elle est l'un des nouveaux visages de la mobilisation contre le changement climatique.
Mais ce n'est pas la direction que prend l'industrie pétrolière, se désole Antonio Guterres: "aujourd'hui, les producteurs de combustibles fossiles et ceux qui les soutiennent continuent de se battre pour accroître la production, tout en sachant pertinemment que leur modèle économique est incompatible avec la survie de l'humanité".
"Cette folie relève de la science-fiction", a-t-il martelé.
Plus largement, le secrétaire général de l'ONU a fustigé les engagements climatiques "douteux" ou "obscurs" de nombreuses entreprises sur un objectif de zéro émission de carbone: cela "induit en erreur les consommateurs, les investisseurs et les régulateurs avec de faux récits", et ouvre la porte au "greenwashing".
"Nos engagements climatiques nécessitent l'engagement complet du secteur privé", a-t-il insisté, estimant que "la bataille pour tenir l'objectif de 1,5 degré (de réchauffement climatique) sera gagnée ou perdue au cours de cette décennie".
© Agence France-Presse
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