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Le 60-0 de 1995 : Dissensions et bascule politique

Bien avant le 20 décembre 1995, la victoire écrasante de 60-0 de l’alliance PTr-MMM a commencé à se dessiner en 1991, raconte le journaliste Yvan Martial. Cela s’explique notamment par une dissension entre sir Anerood Jugnauth (SAJ) et sir Gaëtan Duval. 

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Un autre facteur ayant terni l’image de SAJ a été l’arrestation de quatre membres de son gouvernement : Dev Kim Currun, Ismael Nawoor, Sattyanand Pelladoah et Serge Thomas. Ces derniers avaient été interpellés à l’aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas, dans une affaire de drogue connue sous le nom d’« affaire des Amsterdam Boys » en 1985. Cette situation a profité à ses opposants politiques. À cela s’ajoutait le fait que certains membres du MSM s’opposaient à l’élévation de Maurice au rang de République en 1992, explique Yvan Martial. 

À cette époque, les secousses politiques ne concernaient pas uniquement le MSM, mais également le MMM. Cela a conduit à la création du Renouveau militant mauricien (RMM) en 1994, après une scission au sein du MMM en 1993, marquée par le départ de figures comme Jean-Claude de l’Estrac, Jérôme Boulle, Swaley Kassenally et Prem Nababsing, entre autres.

C’est dans ce contexte que Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ont décidé de s’allier pour former l’alliance PTr/MMM, tandis que le MSM de SAJ se rapprochait des dissidents du MMM regroupés au sein du RMM. Le résultat des élections du 20 décembre 1995 a été sans appel : un second 60-0 dans l’histoire politique du pays.

« SAJ était en fin de règne. Après 13 ans au pouvoir, malgré le ‘miracle économique’ et une conjoncture internationale favorable, il n’a pas été reconduit », analyse Yvan Martial. Selon lui, un sentiment de « ras-le-bol » s’était installé contre SAJ. « La population a choisi de basculer vers un autre gouvernement, estimant que l’équipe en place s’était essoufflée », ajoute-t-il.

« Ce qui a conduit au 60-0 du 20 décembre 1995 résultait d’une accumulation de causes et facteurs négatifs qui représentaient un trop-plein pour les 500 000 électeurs d’alors », renchérit l’ancienne ministre Jocelyn Minerve. Elle cite pêle-mêle « disette pour les budgets des ménages, déchirure sociale, scandales et gabegies de toutes sortes, pratique d’une gouvernance ‘dominer’, discriminations diverses, pauvreté extrême, prolifération des fléaux sociaux, souffrance des familles, impunité... » Ainsi, poursuit Jocelyn Minerve, « comme le 10 novembre dernier, l’électorat s’était rendu aux urnes dans le calme et avec détermination ».

« Coup d’État à la plume » 

L’ancien ministre Sam Lauthan, candidat lors des élections du 20 décembre, abonde dans le même sens. « Le 60-0 de 1995 a été une expression du ras-le-bol envers le MSM de l’époque, dirigé par Anerood Jugnauth », bien que, selon lui, SAJ ait beaucoup œuvré pour le développement du pays durant ses 13 ans au pouvoir. Cet événement, dit-il, était un véritable « coup d’État à la plume » visant à sanctionner un gouvernement en perte de vitesse, rejeté par une population excédée. Après des critiques mal perçues par une communauté, la population ne s’était pas fait prier pour sanctionner le régime, précise-t-il. « SAJ a appris à ses dépens que ‘si li mank lepep, lepep pa mank li’ », estime Sam Lauthan.

Ce que confirme Lormus Bundhoo. Candidat du PTr aux élections du 20 décembre 1995, il a fait partie des architectes du deuxième 60–0 de l’histoire politique du pays. « Après 13 ans au pouvoir comme Premier ministre, l’erreur fatale de SAJ a été de faire des déclarations déplacées à l’encontre d’une communauté », se rappelle-t-il. Élu en tête de liste dans la circonscription n°8, il établit un parallèle entre le 60–0 de 1995 et celui du 10 novembre 2024. « La population a voté avec rage et dégoût contre le gouvernement sortant », déclare-t-il.

« Kan badinn ar larmoni sosial, tou dimounn inn ini li pou sanksionn sa gouvernman-la », ajoute-t-il. Mais ce 60–0 a aussi été possible parce que SAJ était à bout de souffle et qu’il existait une synergie « presque totale » entre le PTr et le MMM à cette époque, affirme-t-il.

Lormus Bundhoo est convaincu que, tout comme lors des dernières élections, c’est la synergie entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger qui a été la clé du 60–0 en 1995. Cette union a permis une certaine stabilité, condition « sine qua non » pour le progrès, dit-il. « À l’époque, il était clair qu’une vague allait balayer le gouvernement dirigé par SAJ », dit-il.

Parlant de Navin Ramgoolam, Yvan Martial estime qu’il a un parcours politique particulier. Le journaliste et observateur politique rappelle qu’il aspirait initialement à devenir avocat, mais qu’il s’est ensuite spécialisé en médecine légale pour devenir médecin-légiste après avoir exercé comme médecin généraliste pendant de nombreuses années. En entrant en politique active en 1991, il a redonné un nouveau souffle au PTr en succédant à sir Satcam Boolell. « Cela a permis d’apporter du sang neuf dans les choix politiques », estime le journaliste.

Cassure

Le duo Ramgoolam/Bérenger a ainsi réussi à évincer le gouvernement de SAJ sans trop d’efforts, selon Yvan Martial. Cependant, l’entente entre les deux partenaires de l’alliance n’a pas duré. Des divergences sont rapidement apparues, menant à une rupture en 1997. Malgré un début de redressement grâce aux mesures prises, certaines « magouilles » et mésententes entre les leaders avaient conduit à la cassure du gouvernement, se remémore Sam Lauthan. 

Cependant, pour Lormus Bundhoo, la cassure de 1997, qui avait suivi le succès électoral de 1995, ne se répétera pas. Il est persuadé que ce troisième 60-0 de l’histoire politique du pays sera plus stable et durable. « Comme en 1995, la population leur a donné une nouvelle chance de façonner le destin du pays et de reconstruire le pays dans l’harmonie et l’unité », dit-il. Il affirme que les deux hommes ont gagné en maturité et sont conscients que c’est la stabilité qui mène au progrès. C’est à eux de faire durer ce gouvernement, afin de répondre aux attentes de la population qui les a plébiscités de la plus belle manière, dit-il.

Du reste, prévient, de son côté Sam Lauthan, la population ne restera pas les bras croisés en cas de nouvelle rupture entre le tandem Ramgoolam-Bérenger. « Avec une victoire aussi claire et nette lors des dernières élections, il n’est pas question pour eux de mettre fin à leur accord », avertit-il. Ceux qui s’apprêtent à prêter serment doivent être pleinement conscients de l’engagement pris envers la population et le pays, et ils doivent tout faire pour garantir la stabilité de ce gouvernement, insiste Sam Lauthan.

L’inévitabilité d’une victoire sans appel en 2024

Le troisième 60-0 de l’histoire en faveur de l’Alliance du Changement, composée entre autres du tandem Navin Ramgoolam-Paul Bérenger comme en 1995, semblait inévitable, commentent Jocelyn Minerve et Lormus Bundhoo. Ce dernier, Campaign Manager pour les élections du 10 novembre dernier, dénonce « un pourrissement délibéré des institutions pour qu’elles soient sous le contrôle du gouvernement MSM ». Avec les « Moustass Leaks », « le coup de grâce a été porté quand le gouvernement a décidé de suspendre les réseaux sociaux ».

La proclamation des résultats a suscité une liesse populaire, ajoute Jocelyn Minerve. « Plus de 800 000 électeurs ont exprimé leur volonté de sanctionner un gouvernement sortant dont les abus se sont multipliés. » Pour elle, ces élections marquent un nouveau départ. « Il est urgent de rétablir la crédibilité de l’action politique en misant sur la transparence, l’inclusion et la démocratie délibérative », martèle-t-elle.

L’objectif est de permettre à tous les citoyens de la République de participer pleinement à la vie démocratique, poursuit Jocelyn Minerve. « Il s’agit de favoriser une dynamique sociale et culturelle inclusive, où femmes, hommes, jeunes et enfants œuvrent ensemble pour construire l’avenir de notre pays. »

 

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