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La chute des «intouchables» : les ministres déchus

L’ex-Premier ministre, Pravind Jugnauth, quittant le tribunal peu après une arrestation en février.

Ce mercredi 9 avril, Renganaden Padayachy, ex-ministre des Finances, a été arrêté par la Financial Crimes Commission, dans le cadre d’une enquête sur une malversation au préjudice de la Mauritius Investment Corporation. Il y a deux mois, Maneesh Gobin, ex-ministre de l’Agro-industrie, et Pravind Jugnauth, ex-Premier ministre, avaient aussi été arrêtés. Ces noms s’ajoutent à une liste déjà longue de noms d’anciens hauts dirigeants mis en cause et ils suscitent des interrogations sur la bonne gouvernance.

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L’impunité des anciens ministres est mise en question et provoque un frémissement dans un paysage politique saturé de soupçons. Des personnes qui faisaient partie du précédent gouvernement répondent aux convocations policières. Le symbole est fort : personne n’est à l’abri. « La mise en cause de ministres déchus devant la justice marque un tournant », note l’avocat et constitutionnaliste Parvez Dookhy. Mais il ajoute : « À ce jour, aucune condamnation. Juste des comparutions, des cautions, et puis… le silence. » 

Il cite l’exemple de Navin Ramgoolam, sanctionné électoralement en 2014, avant que n’éclate l’affaire du coffre-fort en 2015. Dix ans plus tard, le dossier s’efface. « Pravind Jugnauth suit le même schéma. Il joue la montre pour revenir au pouvoir », estime-t-il. Pour Parvez Dookhy, c’est l’absence d’exigence populaire face aux crimes économiques qui nourrit ce cycle d’impunité.

Défilé devant la justice

L’ex-ministre de l’Agro-industrie, Maneesh Gobin, est un cas d’école. Ancien pilier de l’Alliance Morisien, il a été arrêté le 28 février. La FCC a mis en avant la section 7 du Prevention of Corruption Act de 2002. Il est accusé d’avoir accordé un terrain de 350 arpents à Eco Deer Park Association, près de Grand-Bassin. Il a comparu devant la Bail and Remand Court et il a été libéré sous caution.
Le 16 février, c’est l’ancien Premier ministre Pravind Jugnauth qui a été interpellé. Il est sous le coup d’une enquête pour blanchiment d’argent, sur fond d’accusations d’enrichissement personnel et de détournement de fonds publics.

Présomption d’innocence

Olivier Précieux tempère. « La présomption d’innocence reste un principe cardinal. À ce jour, aucune de ces arrestations n’a débouché sur une condamnation définitive », avance-t-il. L’observateur Jocelyn Chan Low insiste pour sa part sur une analyse structurelle. « La bourgeoisie détient toujours une part écrasante des richesses du pays. L’indépendance a permis une démocratisation politique, mais jamais économique. Une bourgeoisie d’État s’est installée, profitant du système à travers la corruption », dit-il. Les gouvernements sont rattrapés par les affaires, ajoute-t-il. « Le clientélisme et le népotisme forment un engrenage bien huilé depuis l’indépendance. La classe politique cède à la tentation, faute de garde-fous », déplore-t-il.

Un peuple peu exigeant

Parvez Dookhy va plus loin. « Le peuple a perdu ses repères. On met tout le monde dans le même sac : le Premier ministre est sous enquête, l’opposition aussi, avec l’affaire Adrien Duval, entre autres. On soutient un parti comme on soutient un club de foot », fait-il ressortir. Selon lui, l’inaction citoyenne alimente les dérives. « Le manque d’exigence permet tous les abus. Et le principe de ‘chacun son tour’ alimente la complaisance. »

Cadre et sanctions

Les grandes démocraties reposent sur des piliers clairs : probité, transparence, responsabilité. À Maurice, ces principes sont inscrits dans la Constitution et les textes de loi. Mais dans la pratique, ils restent théoriques. « Le code de conduite existe, il faut le faire respecter et réformer les lois », explique Olivier Précieux. Pour Jocelyn Chan Low, le débat dépasse la simple question de démocratie. « La corruption gangrène l’État. La classe politique est faite des mêmes familles. Une bourgeoisie dépendante des faveurs publiques. L’arrestation de Navin Ramgoolam a fait éclater la bulle. Mais chacun continue de monter sa propre clique. Tant que la politique sera centrée sur les individus plutôt que sur des organismes solides, rien ne changera », estime-t-il.

Des arrestations qui ont fait du bruit

2025 : L’année s’ouvre sur un triple séisme politique. L’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, l’ex-ministre de l’Agro-industrie, Maneesh Gobin, et l’ancien grand argentier, Renganaden Padayachy, ont été arrêtés dans des affaires aux ramifications encore floues, mais lourdes de soupçons. Symboles d’un pouvoir hier intouchable, les voilà sous les feux croisés des projecteurs et de la justice.

2021 : Roshi Bhadain, ancien ministre de la Bonne gouvernance et leader du Reform Party, est interpellé par la Major Crimes Investigation Team pour complot. Il est provisoirement accusé d’avoir participé au vol de bois et de poteaux massifs en teck, dans les locaux de l’ex-Development Works Corporation à Pailles. Le vol remonterait à 2010, à une époque quand l’accusé occupait le poste de directeur au sein de l’Independent Commission Against Corruption. L’affaire n’a pas été élucidée à ce jour.

2015 : L’arrestation de Navin Ramgoolam, alors Premier ministre sortant, provoque une onde de choc nationale. L’affaire dite du campement de Roches-Noires éclabousse le Parti travailliste. Lors d’une perquisition à son domicile, deux coffres-forts et plusieurs valises sont saisis. Ils contenaient Rs 220 millions, dont la moitié en devises étrangères. 

2015 : Anil Bachoo, aujourd’hui ministre de la Santé et du Bien-être, est placé en état d’arrestation le 20 novembre. L’enquête concerne des contrats d’une valeur de Rs 500 millions de la National Development Unit, accordés sans appel d’offres, après les inondations de 2013. À l’époque, Anil Bachoo était ministre des Infrastructures publiques. La police a tenté de prouver des liens entre les bénéficiaires de ces contrats et le Parti travailliste. Il a été libéré après avoir payé une caution et il n’a jamais été formellement inculpé.

2003 : Le 24 janvier, après un long interrogatoire par les enquêteurs de la défunte commission anticorruption, Mookhesswur Choonee, ancien ministre des Terres et du Logement du gouvernement travailliste, est arrêté. Il est soupçonné d’avoir extorqué Rs 1,5 million à Rs 3 millions à East Development et à l’homme d’affaires Hashim Bawamia. Ce serait en échange de la promesse d’un bail sur des terres de l’État dans la région de Palmar. Les délits auraient été commis en décembre 2001 et en avril 2002. L’affaire n’a donné lieu à aucune condamnation.

 

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