Les idées reçues sur la langue de Molière ont la peau dure. Pour certains, elle serait la langue des « bourgeois », pour d’autres, elle serait une langue bien trop compliquée pour qu’on s’y attarde. À l’occasion de la Journée mondiale de la Francophonie, observée ce mercredi 20 mars, retour sur ces préjugés qui n’ont pas pris de rides.
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Rangez votre Bescherelle ! Nous n’allons pas passer en revue les règles grammaticales, ni nous lancer dans un cours d’orthographe improvisé. Nous observons aujourd’hui la Journée mondiale de la Francophonie, penchons-nous sur les préjugés qui caractérisent la bonne vieille langue de Molière. Le français est-il si difficile à apprendre ? Est-il moins important que l’anglais ? Faisons le point sur certaines idées préconçues.
« Le français…Il n’y a rien de plus compliqué »
La langue française n’est certes pas la plus simple. Elle est truffée de règles et d’exceptions grammaticales. Elle repose sur une syntaxe complexe et surtout une orthographe qui peut faire fuir les âmes sensibles. Mais le français n’est pas plus compliqué qu’une autre langue. Il convient tout simplement d’en apprendre les règles d’usage et de les respecter, que ce soit à l’oral ou à l’écrit. Vishalsingh Balluck, détenteur d’une maîtrise en langue française et enseignant depuis plus de 15 ans, soutient que le niveau du français est en baisse drastique à Maurice. Les préjugés autour de cette langue en sont pour quelque chose. « Beaucoup de personnes pensent à tort que la langue française n’est pas aussi importante que l’anglais ou le kreol. Elles en font alors peu de cas et ne voient aucun intérêt à l’apprendre. Or, il est un fait que le français est tout aussi important que l’anglais. À Maurice, la langue française est très présente dans nos communications formelles et elle est majoritairement utilisée dans les médias. Même si on estime qu’elle est compliquée, nous n’avons guère de choix que d’en apprendre les règles de base », explique cette enseignant.
Les choses compliquées font souvent fuir les gens et la langue française ne fait pas exception à cette règle. Selon Vishalsingh Balluck, les méthodologies parfois « douteuses » mises en avant par certains experts compliquent la tâche. « C’est malheureux de constater une baisse drastique du niveau chez les usagers de cette langue, en général. On n’arrive plus à l’écrire convenablement. À l’école, surtout au secondaire, une majorité des élèves peine à assimiler les explications les plus basiques. On m’a récemment conseillé de ne pas utiliser le terme ‘adjectif qualificatif’ pour expliquer l’adjectif qualificatif ! On m’a demandé d’avoir recours aux dessins, à l’audiovisuel et aux poèmes pour l’illustrer ! On m’a même ‘interdit’ l’utilisation des mots ‘genre’ et ‘nombre’ pour expliquer comment il s’accorde, car c’est du grec pour les élèves. Peut-être me demandera-t-on bientôt de faire ma classe de français en kreol », déplore notre interlocuteur.
«Je m’exprime en français, je suis bourgeois...»
« Aret deklar bourzwa, koz kreol ». Telle est l’étiquette souvent collée au dos de ceux qui s’expriment en français. Pour le linguiste Issa Asgarally, cette pratique tire son origine dans l’histoire et l’évolution de la langue française à Maurice. Une histoire tout en couleurs mais aussi en bouleversements en tous genres. « La langue française a suivi une évolution en cercles concentriques. Au début, c’était la langue des colons français. Puis, de leurs descendants, nés à Maurice. Ensuite, pendant très longtemps, la langue française était la langue des Franco-mauriciens et des métis lettrés. C’est un peu avant l’indépendance qu’elle a commencé à devenir également la langue des Mauriciens originaires de l’Inde. Aujourd’hui, elle est utilisée dans les médias ou dans le domaine littéraire, enseignée à l’école par des Mauricien(ne)s, de toutes origines », explique le linguiste.
Le Dr Asgarally explique que la langue française s’est « dé-ethnicisée » au fil du temps. En effet, selon son analyse, le français est la langue de tout le monde et la langue de personne ! « Car, lorsqu’une langue est la langue d’un groupe, elle ne peut être la langue de tout le monde. Par ailleurs, la langue française est la langue la plus parlée dans la vie quotidienne, après le kreol et le bhojpuri. Langue maternelle d’environ 2 % de la population, elle est la langue seconde de la plupart des Mauriciens qui ont le créole ou le bhojpuri comme langue maternelle. Le français, langue des ‘bourgeois’, des classes aisées ? C’était le cas auparavant, mais aujourd’hui elle n’est plus le monopole d’une classe sociale. Elle s’est également démocratisée », fait valoir le linguiste.
« L’anglais, ça me suffit »
L’anglais est plus moderne que le français et domine toutes les autres langues.
« L’anglais, cela me suffit ». Cette pensée est partagée par bon nombre de compatriotes. Ces derniers estiment que maîtriser la langue de Shakespeare est suffisant. Le français attendra ! L’anglais apparaît effectivement moderne, voire plus moderne, parce qu’il est omniprésent dans le monde d’aujourd’hui. Cette langue dispose de certaines qualités linguistiques dont le fait d’être plus courte, souple et synthétique. Mais est-elle plus importante que le français dans le contexte mauricien ? Selon Mélanie Varden, étudiante en linguistique appliquée à l’Université de Maurice, le français et l’anglais ont, à Maurice, des fonctions très distinctes. « L’une, l’anglais, est considérée comme la langue officielle de l’île depuis la prise des Britanniques. La langue française, elle, est considérée comme une langue sociale. La langue anglaise est plus facile à apprendre, selon moi, car les temps des verbes, par exemple, sont beaucoup plus simples que ceux de la langue française, qui comprend plusieurs temps et variations mais aussi de nombreuses terminaisons à maîtriser. De plus, le français contient beaucoup de lettres muettes et d’accents », explique l’étudiante. Et d’ajouter que le contexte linguiste mauricien comporte des particularités. « Le français est plus facile à comprendre que l’anglais qui diffère un peu plus du kreol morisien. Il est clair que, dans ce cas, la langue française l’emporte. Cependant, toutes les démarches administratives sont faites en anglais. Par exemple, les formulaires à remplir à la banque et les communiqués. Nous avons la chance d’être bilingues, voire même trilingues et j’estime que les deux langues ont leur raison d’être, pour la communication, qu’elle soit orale ou écrite. Finalement, c’est ce qui compte, une bonne maîtrise à des fins de communication », précise Mélanie Varden.
« Le français, c’est vieux jeu »
Si « faisons un brin de causette » se traduit en anglais par « let’s chat » et « auriez-vous l’obligeance de m’aider » en « could you please help me », ne serait- il pas légitime de se poser des questions sur le côté vieux jeu de la langue française ? Tout à fait, selon le Dr Issa Asgarally. Plusieurs défenseurs de la langue française associent ce côté vieux jeu au fait que la langue française ait été longtemps considérée comme une langue « pure ». Il s’agit, selon le linguiste, ni plus, ni moins que d’une idée reçue. « Il est complètement faux de dire que la langue française n’a subi aucune influence. Une caractéristique commune des langues est leur perméabilité. Chacune a pris et chacune a donné et l’entrelacement de ces emprunts et de ces dons a pris de telles proportions qu’il devient impossible, dans certains cas, de savoir qui a donné à l’autre », explique-t-il. Pour illustrer son propos, il cite un exemple donné par Henriette Walter. Le mot « sketch », emprunté en français sous sa forme anglaise, a une origine italienne : le mot italien « schizzo » (croquis), a pris en néerlandais la forme « schets », puis l’anglais l’a emprunté au néerlandais et il est devenu « sketch » (esquisse), avant d’arriver en français, sous cette forme anglaise, mais avec le nouveau sens de « courte scène, généralement comique ».
Il existe, selon le Dr Issa Asgarally, d’autres idées reçues de ce type sur la langue française. Certaines sont relatives à son origine et à sa popularité. « On pense, par exemple, qu’en France, on parle français, en oubliant les langues minoritaires (le breton, le basque, le corse, etc.) et les nombreuses langues des migrants (l’espagnol, l’italien, l’arabe, le créole, etc.). Une autre idée reçue, c’est que les locuteurs du français se trouvent essentiellement en France. Or, il y en a bien plus hors de France ! Selon l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), en 2018, sur 300 millions de francophones dans le monde, seulement 66 millions se trouvaient en France ».
L’apprentissage du français : un parcours du combattant ?
Nos petits écoliers ne sont pas au bout de leurs peines quant à l’apprentissage de la langue de Molière. Même s’il s’agit pour certains d’une idée reçue, la langue française comporte de nombreuses ambigüités qui font sa beauté mais qui font de son apprentissage un parcours du combattant. Petite liste non exhaustive des raisons :
L’épreuve des genres : « Une baguette ou un baguette ». Si les Anglais n’ont pas ce problème, les apprenants du français se rendent vite compte que le genre d’un mot est un petit détail qui fait souvent toute la différence. Malheureusement, il n’y a pas d’astuces miraculeuses pour déterminer le genre d’un mot. C’est souvent l’apprentissage par cœur qui permet de s’en sortir.
L’orthographe, un véritable casse-tête : Entre les lettres qui ne se prononcent pas à la fin des mots, celles qui ne se prononcent pas dans les mots et les accents qui modifient la prononciation, la langue française n’est pas la langue la plus instinctive.
La conjugaison, n’en parlons pas : Le français a effectivement une conjugaison à s’arracher les cheveux. Entre le verbe qui change de forme avec le mode, le temps, la personne et le nombre. La concordance des temps, l’accord du participe passé et les exceptions grammaticales, nous ne sommes pas sortis de l’auberge !
La prononciation des mots, bon courage aux non-francophones : Petite réflexion : comment un non-francophone peut-il savoir que les deux syllabes du mot « chercher » se prononcent différemment ? Parlons-en du mot « différemment » ! Il se prononce [diferama] alors qu’il n’y a aucune lettre « a » dans l’orthographe de ce mot. Autre exemple : « couvent » et « couvent » se prononcent différemment selon qu’ils s’agisse du cloître pour femmes ou de la troisième personne du pluriel du verbe couver. Allez, courage, vous y arriverez un jour !
Le saviez-vous ?
Le terme francophonie est apparu pour la première fois vers 1880, lorsqu’un géographe français, Onésime Reclus, l’utilise pour désigner l’ensemble des personnes et des pays parlant le français. On parle désormais de francophonie avec un « f » minuscule pour désigner les locuteurs de français et de Francophonie avec un « F » majuscule pour figurer le dispositif institutionnel organisant les relations entre les pays francophones.
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