Directrice de la société Expand Human Resources, présente en Afrique, Jessyca Joyekurun, explique que le continent africain est encore mal connu des investisseurs mauriciens. Pour la jeune femme, l’investissement mauricien en Afrique reste porteur à condition de comprendre les mécanismes des réalités africaines.
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Quelles ont été les grands traits de l’année 2016 pour votre société Expand Human Resources ?
Notre principale décision a été de nous séparer de quelques-uns de nos salariés, non pas pour des raisons liées a notre santé financière, mais en raison de leur comportement non-éthique et du coût de leurs salaires. Nous avons réalisé un bon chiffre d’affaires, mais nous avons connu des difficultés de trésorerie. C’est un problème mineur, mais ce qui m’inquiète, c’est de voir des jeunes, formés chez nous et qui avaient notre confiance, filer chez la concurrence. On aurait pu saisir le bureau de l’emploi en faisant valoir la ‘non-competition clause’, mais nous avons d’autres priorités. Du coup, c’est moi qui vais vers les clients et je laisse le suivi aux ‘petites mains’.
Quelle réflexion vous inspire cette attitude ?
Je me rends compte que le fait d’être issue d’une famille stable, d’un milieu aisé ou d’un quartier huppé, couplé a des diplômes ne suffisent pas pour devenir un employé modèle. En revanche, certains jeunes qui ont éprouvé des difficultés à cause de leur origine sociale et des obstacles dans leur parcours éducatif, ont davantage le sens des responsabilités et la notion des valeurs morales.
« Nous sommes (…) aidés par notre bilinguisme et aussi par notre réputation de ‘miracle économique’. »
Votre société est présente en Afrique, notamment en Tanzanie et en Ouganda, à travers des agents. Comment avez-vous pu pénétrer le marché africain ?
Il existe quelques moyens qui doivent être adaptés selon le type d’affaires que vous souhaitez développer en Afrique. À Maurice, nous avons tendance à voir le continent africain comme un bloc monolithique, or la réalité est autrement plus complexe. Pour monter une affaire en Afrique, il faut d’abord se documenter, notamment à travers LinkedIn, puis passer par le Board of Investment et enfin rechercher des partenaires africains. C’est un véritable parcours du combattant, mais ça en vaut la peine, car les opportunités d’affaires sont bien réelles en Afrique.
Quel est, à leur tour, le regard des Africains sur les Mauriciens ?
On croit, un peu à tort, qu’ils nous considèrent comme Africains. En fait, notre pays est trop excentré par rapport à l’Afrique et nous y sommes trop peu présents pour pouvoir espérer avoir de gros volumes d’affaires avec des businessmen africains. Puis, le billet d’avion reste encore cher, et dans cas, le coût du ticket pour la Tanzanie est le même que celui pour la France.
Est-ce que les hommes d’affaires africains font confiance à leurs homologues mauriciens ?
Comme partout ailleurs, ils sont prudents à l’égard des investisseurs étrangers, sans doute en raison d’expériences passées où ils se sont fait parfois berner. N’oubliez pas que le continent africain est très riche en matières premières et, à ce titre, il est très convoité par le monde entier. C’est une des raisons qui expliquent que les législations sur les biens fonciers ne favorisent pas les étrangers. Aux yeux des Africains, la terre a valeur de symbole, sans lequel aucun développement n’est possible Le continent africain grouille d’investisseurs venus de partout, aussi, un petit pays comme Maurice doit savoir comment s’y frayer un chemin. Nous sommes, en cela, sans doute aidés par notre bilinguisme et aussi par notre réputation de ‘miracle économique’. Mais, notre connaissance du continent africain, de son histoire, de sa diversité, bref de sa richesse, doit être affinée, cette insuffisance est la faute de notre système éducatif. Il nous faut traiter avec les Africains sans préjugés. Nous sommes restés trop longtemps euro-centrés, mais c’est sans doute en raison de notre passé colonial et de notre dépendance commerciale des pays européens.
Comment sont vos rapports avec vos partenaires africains ?
Au départ, les rapports ont été laborieux à s’établir, puis petit à petit, la confiance s’est installée. Je dois dire qu’en Ouganda, mes rapports avec les habitants sont mieux que ceux qu’entretiennent ces derniers avec la communauté indienne qui y vit. Les Indiens vivent repliés sur eux-mêmes, au sein de leurs associations et presque sans contact avec la population locale, comme dans les années 70, avant leur expulsion par le président Idi Amine Dada. Compte tenu de cela, les Mauriciens en Ouganda n’ont pas de préjugés vis-à-vis de la population locale, d’autant que nous pratiquons le bilinguisme. C’est un véritable atout tant dans le monde des affaires que dans la vie quotidienne. Il y a enfin la réputation de notre pays sur le plan économique, la bonne santé de nos institutions privées et publiques. Ce qui fascine encore plus mes interlocuteurs, c’est lorsque je leur parle des aides sociales de l’État, de la gratuité de notre système de transport aux personnes âgées et aux étudiants, de la responsabilité sociale de nos entreprises et du remboursement par l’État des stages de formation, entre autres. Là, ce n’est pas du blabla, tout cela est vérifiable.
Est-il possible de faire adopter la notion de ressources humaines et de culture de travail aux entreprises africaines ?
C’est une notion qui doit tenir compte des réalités de chaque pays, de ses lois de travail, de son degré de développement économique, social et culturel, de ses rapports avec les syndicats, sans oublier de la nature de son gouvernement, civil ou militaire. Moi-même, j’essaie de saisir tous ces éléments afin de dégager une réflexion suivie de suggestions. Certains entrepreneurs africains montrent un réel intérêt à adopter les normes destinées à gérer les relations humaines, valoriser les carrières, recruter les bons profils, afin d’assurer la croissance de leurs entreprises, mais ces objectifs exigent des compétences professionnelles et humaines solides, de même qu’une formation et une évaluation continue.
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