Le Premier ministre par intérim et leader du Muvman Liberater, Ivan Collendavelloo, se dit surpris par la décision de Vishnu Lutchmeenaraidoo. Il évoque des regrets et des déceptions. Il est intervenu sur Radio Plus jeudi après-midi.
Avez-vous rencontré Vishnu Lutchmeenaraidoo avant qu’il ne soumette sa démission ?
À 14 h 30, il a demandé à me rencontrer. Ce n’est qu’après qu’on s’est entretenu. Durant notre rencontre, il m’a informé de sa démission. J’ai pris note de sa décision avec déception et regret. Vous savez, Vishnu Lutchmeenaraidoo est un Senior Minister. Je suppose qu’il sait ce qu’il fait.
A-t-il évoqué les raisons de sa démission ?
Il n’a pas soulevé ses récentes déclarations sur l’économie avec moi. Connaissant Vishnu Lutchmeenaraidoo, il a pris cette décision après mûre réflexion. Je n’ai pas voulu entrer dans des discussions sur sa démission. Je respecte sa décision.
Était-il aigri et déçu par sa mise à l’écart au sein du gouvernement ?
Je n’ai vu de signe d’amertume ni dans son comportement ni dans ses paroles, surtout pas lorsqu’on s’est rencontré aujourd’hui (jeudi 21 mars). J’ai simplement noté une détermination dans sa décision, mais je ne suis pas psychologue.
Il a été « absent » du dossier Chagos alors qu’il était ministre des Affaires étrangères...
Absent sur ce dossier ? C’est la première fois que j’entends cela. C’est faux! J’ai vu la participation de Vishnu Lutchmeenaraidoo à ce dossier. Il a bien aidé. D’ailleurs, je n’ai moi-même pas commenté ce dossier. J’en ai laissé la primeur au Premier ministre Pravind Jugnauth.
Après sa démission, il a dit « enough is enough ». Vous a-t-il fait part de ses doléances ?
Je lui ai simplement demandé pourquoi il démissionnait. Je lui ai dit : « Ki pe ariv twa. » Il m’a dit qu’il avait ses raisons et il m’a demandé de respecter sa décision.
Cette démission est embarrassante pour le gouvernement. Souhaitez-vous une élection partielle ou des élections générales ?
Certainement, les pétards ne retentiront pas. Je ne pleurerai pas, mais je n’éclaterai pas de rire non plus. Cela n’avancerait à rien. C’est certes une démission embarrassante, mais selon la loi, nous avons un délai de 240 jours pour proclamer la tenue d’une élection partielle. Nous irons d’après notre Constitution. À savoir que si les élections générales seront privilégiées, il s’agit d’une prérogative du Premier ministre. Je n’ai pas encore discuté de la question avec lui. Nous attendrons son retour au pays.
Réactions
Reza Uteem, leader adjoint du MMM : «Sa démission comme député nous a surpris»
« Paul Bérenger avait, lors de sa conférence de presse, dit ne pas comprendre pourquoi le Premier ministre ne l’avait pas encore révoqué. C’est clair que ses jours étaient comptés. Cependant, il nous a pris par surprise en démissionnant aussi comme député. Il s’est mis dans l’embarras. Vishnu Lutchmeenaraidoo et sir Anerood Jugnauth étaient censés réaliser le miracle économique. Toutefois, Vishnu Lutchmeenaraidoo a été affaibli après avoir subi les attaques d’un collègue du Cabinet. Il a été très affecté quand on lui a retiré le poste de ministre des Finances. Cela a été une humiliation continuelle ».
Xavier-Luc Duval, leader de l’opposition : «Depuis son élection, il a subi des humiliations»
« C’est une décision qui surprend et qui ne surprend pas en même temps. Il a subi des humiliations depuis son élection. Je pense qu’on ira aux élections générales assez rapidement. Je ne vois pas de partielles. Il faut rendre le pouvoir au peuple. Vishnu Lutchmeenaraidoo a aussi confirmé que les chiffres sont en train d’être faussés dans tous les secteurs. Le tourisme, le textile, l’offshore… Il y a urgence. Il n’est pas dans l’intérêt du gouvernement de continuer à s’accrocher. Au début de ce mandat, SAJ était le Premier ministre et Vishnu Lutchmeenaraidoo, ministre des Finances. Il avait carte blanche pour préparer le Budget, mais il n’a consulté personne. Cela n’a pas marché. Il y a eu un nouveau ministre des Finances, mais Pravind Jugnauth n’a pu régler les problèmes du pays. »
Mahen Jhugroo, ministre du Logement et des terres : «Mauvaise décision à un mauvais moment»
« C’est triste qu’il ait démissionné en l’absence du Premier ministre. Nous allons continuer à faire notre travail. C’est une mauvaise décision prise à un mauvais moment. Le Premier ministre l’avait beaucoup soutenu pendant les moments difficiles ».
Ravi Rutnah, député au no 7 : «C’est regrettable»
« En tant que colistier de Vishnu Lutchmeenaraidoo, je sais qu’il prend des décisions posées et réfléchies. Je suis surpris. Je trouve regrettable la façon dont il a démissionné. Je n’ai pas vu un Vishnu Lutchmeenaraidoo froissé. En tant que ministre des Affaires étrangères, les trois quarts du temps, il n’était pas au pays. Il était rarement présent à l’Assemblée nationale. Nos relations étaient cordiales, mais il n’était jamais présent dans la circonscription. Il ne participait pas non plus dans les fonctions. Je ne crois pas en une élection partielle. Je pense qu’il faut aller directement vers des élections générales. »
Sunil Bholah, ministre du Business : «Rien ne laissait présager sa démission»
« J’étais avec lui mercredi soir, lors des cérémonies d’un mariage. Nous étions assis à la même table. Le Président de la République par intérim Barlene Vyapoory était aussi. présent. Rien ne laissait présager qu’il allait démissionner ».
Arvin Boolell, député du Parti travailliste : «J’ai vu comment il a été traité»
« Vous ne pouvez pas traiter un Senior Minister avec autant de mépris. Il n’a jamais eu le feu vert pour des déplacements aux Nations unies ou encore à la conférence des ministres des Affaires étrangères. J’ai vu comment il a été traité. Personne ne lui adressait la parole. D’ailleurs, même au banquet d’État en l’honneur du président malgache, il n’était pas présent. C’est inévitable qu’on se dirige vers des élections générales. C’est la volonté du peuple. »
Eddy Boissézon, ministre de la Fonction publique : «C’est toujours triste…»
« C’est toujours triste lorsqu’un ministre démissionne. Toutefois, je ne suis pas au courant des motivations réelles de Vishnu Lutchmeenaraidoo».
Roshi Badhain : «Il faut une élection partielle avant septembre»
« Les événements me donnent raison. Nous nous dirigeons vers les élections générales. Ce gouvernement a connu plusieurs dysfonctionnements et il n’y a pas eu de miracle économique. J’avais dit qu’on ne pourrait pas réaliser une croissance de 4 %. Cela lui a pris deux ans pour dire qu’il a honte. Maurice stagne sur la croissance économique. Il faut des élections partielles avant septembre ».
Bobby Hurreeram, Chief Whip : «Il n’y a pas le feu au sein du gouvernement»
« Notre gouvernement ne se résume pas qu’à des démissions. Vous devez analyser notre bilan. Il est riche. Nous avons apporté de la stabilité. Il n’y a qu’à regarder la moyenne de la croissance économique dans le monde. Nous frôlons les 4 %. La démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo m’a surpris, mais il ne faut pas oublier sa contribution au pays. C’est une personne de calibre. Il y a aussi reçu des coups bas. Maintenant, nous nous concentrons sur les prochaines échéances, c’est-à-dire le Budget, les Jeux des îles de l’océan Indien et l’inauguration du Metro Express. Il n’y a pas le feu au sein du gouvernement. Nous irons au Parlement avec l’objectif de travailler davantage. »
Jocelyn Chan Low, politologue : «Il agissait en électron libre»
« Sa démission était inévitable après qu’il a attaqué frontalement le secteur économie de son gouvernement. C’était inévitable qu’il parte. Il a saboté toute la communication autour du Premier ministre Pravind Jugnauth avec cette déclaration. L’Alliance Lepep s’était présentée avec sir Anerood Jugnauth, Vishnu Lutchmeenaraidoo, Xavier-Luc Duval et Ameenah Gurib-Fakim en 2014. Aujourd’hui, il n’y a plus personne. Vishnu Lutchmeenaraidoo a toujours été un électron libre. Il a d’ailleurs intégré l’Alliance Lepep en tant que tel. Avec cette démission, le calendrier électoral s’accélérera. »
Après l’attente, l’instant de vérité
Partira ? Partira pas ? Cette question est sur toutes les lèvres en ce jeudi 21 mars 2019 à la Newton Tower, où se trouve le siège du ministère des Affaires étrangères. Tous les fonctionnaires présents attendent une confirmation ou un démenti de la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo, à la fois du poste de ministre et celui de député.
Ils n’auront pas à attendre longtemps pour être fixés sur la question. L’arrivée des journalistes laisse penser qu’une nouvelle de la plus haute importance est sur le point de tomber. Soudain, le silence s’installe. Il est rompu par le bruit de l’ascenseur. Tous les employés sont regroupés dans la salle d’attente du bureau du ministre, au 11e étage du bâtiment, pour que Vishnu Lutchmeenaraidoo les rencontre. Certains esquissent un sourire timide face aux journalistes présents.
Le principal concerné finit par les rencontrer. Après s’être entretenu avec eux, il sort de son bureau. Il lâchera ces trois mots aux journalistes qui l’interrogent : « Enough is enough. » Puis, il regagne l’ascenseur pour se rendre au parking du bâtiment. Vishnu Lutchmeenaraidoo est accompagné tout le long par de hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Au moment de regagner sa voiture, il se tourne vers eux et leur lance « au revoir» et « keep it up ». Il échange quelques poignées de main et des bises avant de s’en aller.
Après le départ de Vishnu Lutchmeenaraidoo, les fonctionnaires s’engouffrent rapidement dans leurs bureaux respectifs, sans répondre aux questions des journalistes. Prakash Maunthrooa, conseiller du Premier ministre actif dans la circonscription no 7 (Piton/Rivière-du-Rempart), est lui également présent. Il ne souhaite pas faire de commentaires. Le ministre des TCI, Yogida Sawmynaden, qui arrive au bâtiment après le départ de Vishnu Lutchmeenaraidoo, lancera : « Mo pa konn nanie. »
Alliance Lepep : une douzaine de démissions depuis 2014
L’Alliance MSM/PMSD/ML a volé en éclats depuis son élection en décembre 2014. Depuis le début de leur mandat à ce jour, pas moins de 12 membres de l’Alliance Lepep ont claqué la porte. Outre les démissions, le gouvernement a été marqué par une série de step-downs également.
26 juin 2015 : Pravind Jugnauth est le premier membre de l’Alliance Lepep à se mettre en retrait. Il démissionne de son poste de ministre de la Technologie, de la Communication et de l’Innovation après que la cour intermédiaire l’a reconnu coupable dans l’affaire MedPoint.
9 novembre 2015 : Danielle Selvon est la première personne qui démissionne depuis le gouvernement. La députée de la circonscription no 1 dit se sentir mal à l’aise au sein du gouvernement, surtout après la présentation du projet de loi autour de l’enrichissement illicite, rédigé par l’ex-ministre des Services financiers Roshi Bhadain.
23 mars 2016 : Sir Anerood Jugnauth demande à Raj Dayal de démissionner après la diffusion d’une bande sonore sur Radio Plus, impliquant l’ancien ministre qui occupe alors le portefeuille de l’Environnement. Cette bande-son fait état d’une conversation que Raj Dayal aurait eue avec un homme d’affaires autour d’un permis Environmental Impact Assessment.
19 décembre 2016 : Coup de tonnerre au gouvernement. Un des alliés claque la porte. Les neufs élus du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) décident à leur tour de quitter le gouvernement. Ils disent s’opposer à une clause du Prosecution Commission Bill, qui aurait donné la juridiction à cette commission d’examiner les décisions du Directeur des poursuites publiques avec un effet rétroactif de trois ans. Deux d’entre eux, Alain Wong et Marie Claire Monty, reviennent par la suite et intègrent le MSM.
24 janvier 2017 : Roshi Bhadain crée à son tour la surprise en refusant le poste de ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance sous le gouvernement de Pravind Jugnauth. Il affirme que l’exercice de passation de pouvoir entre sir Anerood Jugnauth et son fils n’est pas conforme aux normes de la bonne gouvernance. Il démissionne et provoque une élection partielle à la circonscription no 18 (Belle-Rose/Quatre-Bornes)
14 septembre 2017 : L’Attorney General Ravi Yeerigadoo est appelé à démissionner de son poste, en se retrouvant au cœur de l’affaire Bet365.
23 octobre 2017 : Kalyan Tarolah démissionne comme Parliamentary Private Secretary après l’éclatement d’une affaire de sextos.
11 novembre 2017 : Showkutally Soodhun démissionne, d’un commun accord avec le Premier ministre, de son poste de ministre du Logement et des Terres et de vice-Premier ministre, après qu’on lui a reproché de tenir des propos à relent communal.
17 mars 2018 : La présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, empêtrée dans un scandale lié à l’homme d’affaires controversé Alvaro Sobrinho démissionne dans l’après-midi samedi. L’annonce a été faite par son avocat, Yusouf Mohamed. Ce n’est que le vendredi 23 mars à midi qu’elle quittera son poste à la State House.
27 juillet 2018 : Roubina Jadoo-Jaunboccus et Sanjeev Teeluckdharry forcés à ‘step-down’ comme ministre de l’Egalité des genres et Deputy Speaker respectivement. Cela après que leurs noms ont été cités dans le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue, présidé par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen.
21 mars 2019 : Vishnu Lutchmeenaraidoo démissionne comme ministre des Affaires étrangères et député de la circonscription no 7 (Piton/Rivière-du-Rempart).
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