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Grève des étudiants : les revendications ne sont plus les mêmes

Halte des manifestants à G.R.N.O. le 20 mai 1975. Halte des manifestants à G.R.N.O. le 20 mai 1975.

20 mai 1975 - 20 mai 2017. Il y a quarante-deux ans, des élèves descendaient dans la rue pour décrier les inégalités du système éducatif. Leurs revendications ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Une exposition photos au siège de l’UPSEE a lieu aujourd’hui pour retracer les événements

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«Les revendications des collégiens de 1975 et ceux de la présente génération sont différentes. À l’époque, il y avait de grosses inégalités dans notre système éducatif. En 2017, les élèves organisent de petites manifestations pour réclamer de meilleures conditions au quotidien », observe le «Deputy Rector» du collège Impérial, Michel Ramsamy. Ce dernier, qui était à l’époque en Form IV au collège John Kennedy avait participé à la grève dite des étudiants. « On s’était mobilisés pour que l’éducation soit accessible à tous les enfants mauriciens », se rappelle-t-il. 

En 1975, il n’y avait que quelques collèges d’État et des collèges privés où les études étaient payantes. Cette grève porta ses fruits, puisque le gouvernement d’alors décida d’accorder l’éducation gratuite à tous.

Les revendications actuelles

Les revendications des élèves ont changé au fil du temps, selon Michel Ramsamy. « Les élèves d’aujourd’hui manifestent pour avoir de meilleures salles de classe, l’air conditionné, davantage de sécurité. Mais ce sont eux-mêmes qui souvent vandalisent les équipements par la suite. »

Concernant les manifestations qui se sont tenues en 2016 pour la gratuité des examens du «School Certificate» et du «Higher School Certificate», le «Deputy Rector» dira ne pas comprendre la logique des parents qui encouragent leurs enfants qui s’absentent de l’école pour des leçons particulières.

« Le collège propose 280 minutes par semaine pour l’étude d’une matière alors que l’élève passe une heure à une leçon. Pourquoi donc privilégier la leçon ? Je ne comprends pas la logique. »

Michel Ramsamy est d’avis que le ministère de l’Éducation doit s’assurer que la discipline soit respectée dans les établissements scolaires. « Sans discipline, le pays n’avancera pas. Il faut inculquer le sens de la responsabilité à nos élèves. Sur ce plan,  tous les acteurs éducatifs ont un rôle à jouer. »

Pour sa part, Yahya Paraooty, président de l’Union of Private Secondary Education Employees note que le système éducatif mauricien renferme de grosses inégalités.

« Plusieurs collèges privés n’ont pas évolué. Certains bâtiments n’ont pas connu d’amélioration depuis le temps. Les collèges d’État ne sont pas en reste. Certains sont considérés comme des ‘5 étoiles’, mais sur le plan académique, les résultats ne suivent pas. 42 ans après la grève estudiantine, les établissements auraient dû offrir un service de qualité, que ce soit pour ce qui est de l’infrastructure ou de la qualité des résultats, mais tel n’est pas le cas. » Yahya Paraooty qui avait lui aussi  participé à la grève estudiantine en 1975 dit comprendre les parents qui veulent le transfert de leurs enfants dans des collèges privés payants. « Chaque jour, nous entendons des critiques contre tel ou tel établissement. Il n’est pas étonnant que certains parents recherchent ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants en se tournant vers des collèges privés payants », observe-t-il.

Questions à Benjamin Moutou : «La rue est silencieuse à Maurice»

L’historien Benjamin Moutou relate les événements du 20 mai 1975. Il donne aussi son avis sur les revendications actuelles.

En tant qu’historien, quels sont les éléments qui doivent être retenus de la grève des étudiants de 1975 ?
La grève du 20 mai 1975 fut enclenchée par les élèves du secondaire de l’époque. C’est un mouvement qui  vit  le jour dans la mouvance  contestataire du Mouvement militant mauricien (MMM). Les élèves d’un certain nombre de collèges s’étaient retrouvés près du pont de Grande-Rivière-Nord-Ouest. Ils voulaient créer le «Student Power» pour faire entendre leurs griefs. Ceux-ci portaient, entre autres, sur la scolarisation gratuite, la distribution gratuite des manuels scolaires et l’aménagement de bibliothèques au sein  des établissements scolaires. Il y avait à cette époque à peine une dizaine de collèges dans tout le pays. Le Parti travailliste, en perte de vitesse,  prit ces revendications au sérieux et annonça que l’éducation serait rendue gratuite et que le droit de vote serait accordé à 18 ans. Le parti remporta de justesse les élections générales de 1976.

Est-ce qu’il fallait absolument descendre dans la rue pour changer les choses ?
L’histoire révèle qu’il n’y a pas eu de descente de rue par le passé, mais plutôt des pétitions. En 1872, une pétition fut circulée à l’instigation d’Alphonse de Plevitz en vue d’améliorer les conditions de travail des immigrants indiens. La pétition recueillit plus de 9 000 signatures  et une commission royale fut instituée par la suite. La commission Frère et Williamson, dans son rapport en 1875, recommanda une amélioration des conditions de travail des laboureurs, des gages ainsi que des habitats décents pour ces derniers. En 1937,  un mouvement de contestation fut enclenché  par les laboureurs et petits planteurs à Union Flacq dans l’enceinte de la propriété des Gujadhur. Mécontents de leurs gages et le prix payé pour la vente de leurs cannes, ils s’attaquèrent à l’usine de Union Flacq. Des coups de feu furent tirés causant la mort de quatre manifestants. Une commission d’enquête fut instituée sous la présidence de Authur Hooper, Secrétaire colonial. Ce qui déboucha, entre autres, sur  la «Cane sale and Purchase Ordinance» de 1939 réglementant les conditions d’achat des différentes variétés de canne, leur teneur en sucrose et le mode de commercialisation.

En 1943, il y eut un autre soulèvement de laboureurs sur la propriété de Belle-Vue Harel contre le coût de la vie. C’est lors de cette grève que fut abattue Anjalay Coopen et deux autres laboureurs  par les forces de l’ordre.  Une commission d’enquête fut instituée par la suite, présidée par le secrétaire colonial Sydney Moody.

42 ans après, croyez-vous que les élèves doivent toujours faire grève pour être entendus ?
La grève estudiantine de mai 1975 déboucha sur l’octroi de l’éducation gratuite dans le secondaire. Les élèves de plusieurs collèges y prirent part. À travers le «Student Power» qu’ils avaient créé,  ils firent un certain nombre de revendications pour une  meilleure représentativité dans la gestion des collèges,  l’accès aux manuels scolaires.  Le Front national des étudiants avait pour président Alain Moutou, élève du collège Newton. Cette ferveur qui animait les jeunes au siècle dernier s’est estompée. Peut-être que ça va pour le mieux pour les jeunes de nos jours.

Pour en revenir aux manifestations de rue, il faut mentionner la protestation en règle du PMSD le 19 novembre 1963 devant l’Hôtel du gouvernement. La manifestation faillit dégénérer en émeute n’était-ce la prompte intervention des forces de l’ordre. Le Secrétaire d’État aux Colonies prêta une oreille favorable à la revendication du PMSD et celui-ci put se faire représenter au Conseil des ministres. En France, et dans de nombreux pays occidentaux, on croit qu’il faut descendre dans la rue pour être entendu. Ici, les gouvernements qui se sont succédé depuis l’indépendance n’ont pas eu vraiment affaire à des protestations de rue. Je dirais que les syndicats et les forces vives ne jouent pas vraiment leur rôle. La rue est silencieuse à Maurice, et ce n’est pas une bonne chose pour la démocratie.

Pour une meilleure écoute

Hanna Sultoo, Manouchka Bucktowar et Jason Ryan Ah Chuen.

Autre temps, autre mœurs. Aujourd’hui, les élèves croient davantage dans le dialogue que les manifestations et les grèves. Manouchka Bucktowar, qui fréquente la SSS Sodnac, est d’avis que : « si les élèves ont un forum approprié qui soit à leur écoute, il n’y a pas lieu d’avoir des manifestations ou des grèves. Tout ce que nous demandons c’est qu’on soit à notre écoute et que nos idées soient prises en considération. L’éducation nous concerne et les décisions prises affectent notre présent et notre futur. » Il faut, selon elle, trouver de meilleures stratégies pour que le système éducatif réponde mieux aux besoins du pays et aide au maintien des valeurs morales. « Le ‘nine-year schooling’, par exemple, est une bonne initiative », concède-t-elle.

Manouchka Bucktowar s’interroge sur la considération des autorités à l’égard des élèves. « Sommes-nous assez entendus et est-ce que nos opinions sont considérées ? Le taux de 90 % de présence pour aspirer aux bourses de l’État a imposé une telle pression sur les élèves. Je pense qu’avec cette décision on joue avec l’avenir de plusieurs élèves. Cette décision n’existait guère dans le passé et les élèves avaient toujours de bonnes notes. Alors pourquoi maintenant ? »

La jeune fille croit qu’il faudrait plutôt une approche appropriée, par exemple allouer des  «school  leaves» aux élèves qui sont en SC et en HSC, surtout pendant la tenue des examens. Elle pense aussi que les élèves devront avoir le choix : soit payer les frais d’examens ou respecter le taux de présence pour bénéficier de subventions sans que soit remise en cause la possibilité de prétendre aux bourses.

Le dialogue doit être encouragé, martèle pour sa part Hanna Sultoo du Modern College de Flacq. « La grève n’est pas la bonne solution pour obtenir quelque chose. Il faut discuter, partager ses idées. S’il n’y a pas de solution, on pourra alors se tourner vers une Cour d’arbitrage. » Hanna Sultoo est d’opinion que la présence d’un «Career Guidance officer» au sein de chaque établissement sera un atout. « Les élèves doivent être guidés dans leur choix de carrière. »

Bonne entente

Jason Ryan Ah Chuen, le «head boy» du Royal College de Port-Louis, décrit  l’ambiance qui y prévaut. « Il y a une bonne entente entre les élèves et l’administration au RCPL. Le système en place assure aux élèves une écoute. Le responsable du School Council (organisation pour les élèves, par les élèves) passe chaque semaine dans les salles de classe pour s’enquérir des problèmes et nous essayons de trouver des solutions. Si les difficultés persistent, le ‘Senior Educator’ et le recteur sont toujours disponibles pour nous proposer des alternatives. Une grève n’a donc pas sa raison d’être. »

L’élève du RCPL croit que l’éducation doit promouvoir le développement intellectuel, physique et social de l’enfant. « Le système éducatif doit pouvoir former  des citoyens du monde et des leaders qui soient à la tête des entreprises et du gouvernement. » Il y a certes des activités extracurriculaires qui sont proposées aux élèves, mais les responsables doivent les encourager à y participer. « Il y a le Model United Nations (MUN) qui peut enrichir les élèves. Ils ne pourront jamais profiter du mieux de leurs études s’ils ne cherchent pas à se développer. Au RCPL, nous encourageons les divers clubs comme le Duke of Edinburgh Award, les initiatives comme RCPL-TV. Au bout du compte, ce sont les élèves qui en sortiront gagnants », dira-t-il.                                        

Exposition

L’Union of Private Secondary Education Employees organise ce samedi 20 mai une exposition de photos à son siège, Rose-Hill. Cette activité vise à sensibiliser les visiteurs aux préoccupations des élèves qui avaient participé à la grève de 1975. Elle entend aussi susciter la réflexion sur les changements qui ont eu lieu dans le système éducatif après 42 ans.

 

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