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Grève de la faim : après huit ans, la Commission Justice et Vérité toujours pas prise au sérieux

Grève de la faim

En 2011, la Commission Justice et Vérité suggère la mise sur pied d’un tribunal dédié aux litiges dans des cas d’expropriation. Dans un récent rapport, la Law Reform Commission appuie cette demande en proposant une ‘Land Court’ . Un comité interministériel devait se pencher sur la question. Puis, plus un mot jusqu’à ce que trois personnes se mettent en grève de la faim la semaine dernière.

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Une réunion, le mercredi 3 avril, n’a rien donné de concret. Une habitude pour ceux concernés par l’expropriation des terres depuis que la Commission justice et vérité a publié son rapport en 2011. Trois personnes sont en grève de la faim depuis le jeudi 28 mars. Ni le gouvernement de Navin Ramgoolam, ni celui de l’Alliance Lepep n’ont mis en action les diverses recommandations de la Commission, dont la création d’un tribunal dédié aux cas d’expropriation de terres.

Pourtant, un communiqué du Conseil des ministres du 5 octobre 2018, pouvait donner espoir : il annonçait qu’il avait pris connaissance d’un rapport de la Law Reform Commission sur le sujet. Le rapport, publié en septembre 2018, recommandait la création d’une « Land Court » : « Cabinet has agreed to the setting up of an Inter-Ministerial Committee to advise on the way forward» Depuis, c’est le blackout. Nul ne sait ce qu’a fait ce comité interministériel.

L’Attorney General, Maneesh Gobin, n’a pas souhaité se confronter aux questions de la presse après la rencontre qui a eu lieu à son bureau avec le comité de soutien regroupé autour des grévistes. Alan Ganoo, président du Mouvement patriotique, en fait partie. Il n’avait rien de concret à l’issue de cette réunion : « C’est un problème très complexe, le ministre de la Justice nous a demandé quelques heures pour faire un travail de consultation. Demain après-midi nous le rencontrons de nouveau en espérant trouver une solution et débloquer la situation. »

Tout se jouera cet après-midi si on en croit Alan Ganoo. En attendant, Clency Harmon, Jean-Pierre Maurice et Philippe Marion poursuivent leur grève de la faim sur le parvis de l’Immaculée Conception, Port-Louis, espérant ainsi provoquer une réaction de la part des décideurs.


Ce qu’a recommandé la Commission Justice et Vérité

La Commission Justice et Vérité a soumis un rapport en quatre volumes de plusieurs centaines de pages chacun. Le deuxième volume est entièrement dédié à la question des terres. Il est intitulé «  Land reform, Legal and Administrative Aspects ».

Sur le cas spécifique d’expropriation, la Commission recommande :

  • la création d’une Land Research and Monitoring Unit pour s’occuper de l’aspect technique de la recherche et un tribunal approprié pour prendre la relève concernant les réclamations valides.
  • « The Commission wishes to stress that, in its considered opinion, a two-fold approach is recommended, since neither the proposed Unit nor the suggested Tribunal would be effective on its own. »

Vijaya Teelock, ancienne commissaire de la CJV : «Avec les IRS, on ne sait pas combien de terres expropriées ont été vendues»

vijayaQuel est votre sentiment concernant ces personnes en grève de la faim, faute d’action concrète après le travail de la Commission Justice et Vérité ?
Je pense qu’ils sont désespérés. On attend des développements majeurs depuis 2011. Nous avons entendu 3000 à 4000 cas devant la commission, mais seuls deux ou trois cas ont été résolus. Cela prend tellement de temps, parfois des proches de la famille volent leurs propres parents, d’autres fois, la mémoire fait défaut… Il y a des cas d’expropriation qui datent de cent ans.

Outre un tribunal, quelles autres mesures ont été concrétisées ?
Nous avions recommandé la création d’une Research Unit pour aider les gens à compiler leurs dossiers avant d’aller devant la Cour, Land Court ou Cour suprême. C’est important car si certaines personnes lésées peuvent payer les services des avoués et arpenteurs, la majorité n’en a pas les moyens. Cela coûte une fortune. Il faut créer des structures de soutien.

Il y avait aussi un problème d’accès…
L’état Civil, c’était le deuxième volet. Seuls les membres de la famille peuvent entreprendre des recherches. C’est absurde. Des lobbies dans le passé empêchaient de retracer la généalogie pour éviter des réclamations sur des terrains. C’est ridicule ! On ne peut pas verrouiller les archives. C’était une de nos recommandations.

Êtes-vous restée en contact avec des personnes qui avaient déposé devant la Commission ?
Je suis en contact avec plusieurs pour des questions de terre, mais aussi du projet de musée de l’esclavage. Des cas sont encore en Cour suprême et je les suis. Je crois qu’il doit y avoir quelques personnes qui n’ont pas déposé, mais qui suivent également la situation. Avec la commercialisation des terres, les IRS, on ne sait pas combien de ses terres expropriées ont déjà été vendues. Il est possible que certaines de ces terres soient concernées. Il faut maintenant savoir où se trouvent les litiges.

Pourquoi après huit ans, le travail de la commission n’a pas été suivi d’actions concrètes de la part du gouvernement ; l’actuel et l’ancien ?
L’esprit de la Commission Justice et Vérité n’a pas été suivi. On avait déclaré que la société civile, la population, les ministères, tout le monde était concerné. Malheureusement, on a donné le gros du travail à des fonctionnaires qui n’ont peut-être même pas lu le rapport. 


Pourquoi la Law Reform Commission préconise une Cour plutôt qu’un tribunal

Dans son rapport de septembre 2018, la Law Reform Commission (LRC) recommande la création d’une Land Court plutôt qu’un Land Tribunal. Rajen Narsinghen, chargé de cours à l’Université de Maurice (UoM) et membre de la Commission au moment où le rapport est rédigé et publié, explique au Défi Quotidien la logique derrière cette nuance loin d’être cosmétique.

« Dans un tribunal, on se montre plus flexible sur ce qu’on appelle les rules of evidence, explique Rajen Narsinghen. C’est dans ce sens que c’était un peu dangereux. Il y a des risques de laxisme. » Or, le laxisme ne peut être toléré quand on touche au droit à la propriété privée inscrit dans la Constitution.

Outre cette première raison, Rajen Narsinghen souligne la technicité des litiges sur le droit foncier.

« Actuellement, c’est la Cour suprême qui a juridiction sur la majorité des cas, explique le chargé de cours, le problème avec les cours de droit commun, c’est que le property law  est tellement technique, spécialisé. Les preuves à apporter sont vraiment complexes. »

En considérant le « backlog » déjà important de la Cour suprême, le chargé de cours explique que la LRC a pris en considération la notion de « Justice delayed is justice denied ».  Cependant, rien n’empêche le comité interministériel mis sur pied par le gouvernement de trouver une solution hybride, indique Rajen Narsinghen : conserver la flexibilité d’un tribunal qui pourrait retenir les services de techniciens qui n’auraient pas leur place dans une Cour, tout en préservant les principes stricts de celle-ci.

Le spécialiste en droit estime que le rapport de la LRC aurait pu aller plus loin en recommandant l’instauration d’une Commission également.

« En Afrique du Sud, il existe aussi une Land Commission, contrairement à la Cour, elle peut enquêter, faire le tri parmi les différents cas. »

Cette Commission pourrait ainsi déterminer dans quels cas une restitution des terres n’est pas possible : par exemple, quand la terre identifiée a déjà été vendue à une tierce personne. La compensation financière serait alors la seule autre option.

 

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