Le dernier rapport de l’Audit, rendu public durant la semaine, passe en revue les dépenses des fonds publics par les différents ministères et les corps para-publics. Et comme chaque année, les mauvais élèves ont été pointés du doigt pour, non seulement mauvaise gestion de leurs finances, mais aussi pour entorses aux procédures.
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La question récurrente que l’on se pose est la suivante. Pourquoi les choses ne s’améliorent-elles pas, alors que le directeur de l’Audit n’arrête pas de faire des rappels à l’ordre ? On est en droit de se demander si le rapport de l’Audit ne serait pas tout simplement une farce.
C’est la même histoire année après année. C’est l’avis exprimé par Rajen Bablee, directeur exécutif de Transparency Mauritius. « Nous pensons que le bureau de l’Audit effectue un travail formidable et cela sans céder au découragement. C’est une institution très importante dans le processus démocratique et le résultat de ce travail devrait concerner tous les Mauriciens. Les réactions des citoyens nous permettront de jauger notre maturité », explique-t-il.
Selon lui, le rapport de l’Audit nous permet de voir comment l’argent public est utilisé par les institutions assurant le bon fonctionnement de la société. Rajen Bablee n’y va pas de main morte dans ses observations. Ce qui se passe à Maurice, année après année, relève d’un non-sens. « On retrouve les mêmes types d’abus ou de négligences dans les mêmes départements. Chaque année, il y a un buzz après la publication du rapport de l’Audit. Les médias organisent des débats et quelques semaines plus tard, on a tout oublié et les dérives reprennent comme avant. On se doit de prendre des actions sérieuses et que les responsables soient punis au pénal », estime le directeur exécutif de Transparency Mauritius.
Rajen Bablee estime qu’il est important que les différents acteurs des secteurs publics et privés, ainsi que ceux de la société civile et des syndicats, entament de sérieux pourparlers afin de trouver des solutions au problème. Et d’ajouter qu’il est temps que des « décisions fermes et courageuses » soient prises.
« Le système actuel, où certains fonctionnaires se cachent derrière des lois désuètes sur la confidentialité, permet le foisonnement des abus. Outre le pénal en aval, les moyens proactifs pour permettre un contrôle en amont comprennent une loi sur la libre circulation de l’information, la protection des lanceurs d’alerte et l’éducation », dit-il.
« Le pays souffre d‘une maladie grave »
Kadress Pillay, ancien directeur de l’Audit, abonde dans le même sens. Il constate que le bureau de l’Audit fait un travail « honorable » et opère selon les lois en vigueur et les pouvoirs qui lui sont conférés. Pour lui, le rapport de l’Audit est utile, car il met au grand jour les lacunes dans le système de gestion des finances publiques. Sur le fait que ce sont les fonctionnaires qui sont souvent pointés du doigt, Kadress Pillay ne manque pas de souligner que ces derniers ne sont que des « exécutants ».
Il explique qu’au-delà des gaspillages, le mal est plus profond. « Le cancer est dans notre démocratie. Maurice souffre d’une maladie grave, l’absence d’accountability », déplore-t-il.
Pour cela, Kadress Pillay avance que la détermination doit venir « d’en haut ». Sinon, au lieu de s’améliorer, les choses en resteront au même point. « Le problème est systémique. On est bloqué dans le passé depuis 50 ans. Aucun parti politique n’a changé le système. Il n’y a plus d’efficacité et d’efficience. La gestion publique est dépassée. Il faut tout revoir de fond en comble », conseille l’ancien directeur de l’Audit.
Le porte-parole du Muvman Premye Me, Jack Bizlall, est heureux de constater que le bureau de l’Audit n’a pas peur d’écrire ce qu’il voit. « Il jouit toujours d’une liberté d’expression énorme pour dénoncer la dilapidation des fonds publics. » Pour assainir la situation, il préconise quatre ministères : économie, Finances, Budget et Plan.
« On devrait abolir le poste de vice-Premier ministre. Et scinder le Cabinet en mini-cabinets. Un Senior Minister pourrait s’occuper du Cabinet regroupant les quatre ministères que j’ai mentionnés », explique Jack Bizlall.
Pour lui, le ministère du Budget aurait pour tâche la gestion des finances, alors que celui du Plan jetterait les bases pour cinq ans. Le ministère des Finances s’occuperait des grands paramètres économiques, aux niveaux mondial, régional et national. Quant au ministère de l’économie, il travaillerait en étroite collaboration avec d’autres ministères, comme celui de l’Industrie. « Cela éviterait les répétitions et les gaspillages », selon notre interlocteur.
Jack Bizlall croit, par ailleurs, que, face à cette situation qui se répète année après année, les associations des consommateurs devraient monter au créneau pour dénoncer cette dilapidation des fonds publics. « Des associations comme l’Acim devraient analyser le rapport de l’Audit et rassembler sous leur égide d’autres associations. Et pourquoi pas entrer des cas en cour », soutient le porte-parole du Muvman Premye Me.
Au cœur de l’info : comment sanctionner le gaspillage des fonds publics
Le rapport de l’Audit a, une nouvelle fois, révélé que des centaines de millions de roupies ont été jetées par les fenêtres. Malgré ce constat annuel, aucune mesure corrective d’envergure n’est prise. Comment rendre redevables et sanctionner ceux qui abusent de l’argent public ? La question a été abordée dans l’émission Au Cœur de l’info, dont l’invité était Gianduth Gopee, ancien directeur général de l’Office of Public Sector Governance et ancien directeur du Management Audit Bureau.
Quel mécanisme mettre en place pour que ceux qui gaspillent l’argent du public soient redevables ?
Il faut un mécanisme qui soit robuste, solide, performant et qui donne des résultats. Le mécanisme actuel n’est pas suffisant. Le problème persiste. Avec le temps, il faut des réformes et des changements dans la loi. Le rôle du bureau de l’Audit est de faire un bilan des 12 mois écoulés et révéler des cas où il y a eu des gaspillages. Chaque année, c’est la même chose. Il faut donner plus de pouvoirs au niveau légal, par exemple au Public Accounts Committee (PAC). Il y a eu des propositions en ce sens, mais il n’y a pas de volonté politique pour des réformes. Il est temps de voir où les choses clochent. Il faut une restructuration du système actuel, qui ne donne plus les résultats voulus.
À Singapour, il y a des audits publics. Pensez-vous qu’on doive aller dans cette direction ?
Définitivement, oui. Il faut de la transparence. Les auditions publiques peuvent aider. Le PAC a déjà proposé cela. S’il faut apporter des changements à la Constitution, qu’on le fasse.
Malgré des audits internes, il y a des gaspillages. Qui sont responsables, les fonctionnaires ou les décideurs politiques ?
Celui qui a la responsabilité de faire un travail. Il y a des objectifs, un budget, un délai… Il faut voir si tout a été respecté. S’il y a des excès, il faut take to task les personnes qui sont responsables.
Quelles sont les sanctions à prendre ?
Tout dépend des cas, mais cela peut être des amendes et aller jusqu’à des peines d’emprisonnement. La suspension des fonctionnaires n’est pas à écarter. Idem si des ministres ont fauté. Les aspects légaux sont à revoir.
Prenons le cas des pensions payées aux morts, avoisinant Rs 100 millions. L’impression subsiste qu’il existe un racket au sein de la Fonction publique…
Ce n’est pas impossible. Il faut prendre des sanctions. On avait déjà recommandé que le paiement des pensions soit fait en temps réel. C’est-à-dire, si une personne décède, tous les ministères concernés sont au courant à travers un réseau en ligne. Il faut dire que, dans le passé, il y a eu des suspensions pour ce genre de cas. Et pour éviter ce type de gaspillage, s’il y a des indications ou des soupçons que des cadres y ont participé, il faut prendre des mesures et, pourquoi pas, initier une enquête policière.
Comment une « Fiscal Responsibility Act » pourrait-elle aider ?
Cela responsabiliserait les personnes qui se servent de l’argent des contribuables. Elles auraient des comptes à rendre. Donc, cette loi aiderait à mettre sur pied un mécanisme pour que les autorités concernées aient plus de pouvoirs ou qu’il y ait des sanctions contre les coupables. Donc, il faut renforcer là où des manquements existent, si on veut améliorer les choses.
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