Farook Mowlabucus, hydrologue et ex-employé de la Water Resources Unit, estime qu’il est impératif de revoir le schéma directeur de l’approvisionnement en eau potable. Pour lui, une hausse du tarif d’eau permettra d’améliorer le réseau de distribution.
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Tous les gouvernements promettent une fourniture en eau de 24 heures sur 24 et sept jours sur sept dans toutes les régions de l’île. Mythe ou réalité ?
Je ne dirais pas que c’est un mythe. C’est plutôt un objectif. Une fourniture d’eau sur une base 24/7 est nécessaire. S’il est vrai qu’il est difficile d’atteindre cet objectif, nous devons néanmoins travailler dans ce sens. Cela va prendre le temps qu’il faut. Le plus important, c’est de continuer à persévérer malgré les obstacles.
Que diriez-vous de notre gestion de l’eau ?
La gestion dépend d’abord des ressources dont nous disposons. Quand il y a des coupures, cela ne veut pas dire qu’on gère mal. S’il n’y a pas assez d’eau, il faut des coupures pour partager l’eau à travers l’île. La gestion des ressources est un autre aspect. Il faut faire ressortir qu’il y a trop de pertes d’eau. Certes, lorsqu’il pleut, l’eau va dans les nappes phréatiques. Toutefois, il y a de l’eau à la surface qui se perd. Cette eau aurait pu être récupérée et, par conséquent, alimenter les réservoirs.
Il faut mobiliser les ressources à temps pour pouvoir satisfaire les demandes de chaque secteur de notre économie. Le ministère et les autorités concernées font néanmoins beaucoup d’efforts. Prenons la région du Nord, qui auparavant faisait face à de graves problèmes de fourniture d’eau. Tel n’est plus le cas. Il y a eu plusieurs projets pour satisfaire cette région. Toutefois, il faut aussi revoir le réseau de distribution, qui nécessite une installation de tuyaux plus larges. Il faut de l’argent.
D’une certaine façon, la Central Water Authority (CWA) a les mains liées, ayant besoin de l’aval et du financement du ministère des Utilités publiques. Cela parce qu’elle ne génère pas assez de fonds. Mais on parle de partenaire stratégique. Attendons voir. Entre-temps, des efforts sont faits pour rehausser le réseau de la CWA. Il y a plusieurs projets qui sont en cours.
Ne faut-il pas revoir le schéma directeur, qui date de plus de vingt ans ?
Bien évidemment. La CWA avait un schéma directeur en ce qui concerne les ressources en eau. À partir de là, la Water Resources Unit (WRU) avait établi un programme, intitulé Integrated Water Resources Plan for Harnessing Additional Water Resources, pour 2040. On avait envisagé la construction de cinq barrages : le Midlands Dam, le Bagatelle Dam, un réservoir à Calebasses, un barrage à La-Flora et enfin, un dans les parages de Rivière-Noire. La construction de barrages dépend de l’évolution de la demande dans les différentes régions de l’île. Deux ont été concrétisés, soit le Bagatelle Dam et le Midlands Dam. Le barrage de La Flora a été remplacé par celui de Rivière-des-Anguilles, après une étude de la WRU. Force est de reconnaître que les autorités misent beaucoup sur le captage d’eau pour une meilleure fourniture d’eau, avec la demande qui augmente dans les différents secteurs d’activités.
Le seul souci, c’est qu’il faut entreprendre de nouvelles études hydrauliques. Les choses ont évolué depuis les années 90. Il faut identifier les régions où la pluviométrie est aujourd’hui plus élevée pour y construire des réservoirs. Cela dit, avec le changement climatique, le régime des pluies n’est plus le même. La demande pour être connecté au réseau de la CWA ne cesse d’augmenter. Il y a aussi des zones agricoles, qui sont des morcellements… Il faut tout planifier à nouveau.
«Il faut identifier des régions où la pluviométrie est aujourd’hui plus élevée pour y construire des réservoirs.»
Avons-nous fait provision pour un meilleur captage d’eau ?
À ce jour, nous avons un bon nombre de réservoirs. Maurice a du potentiel en matière d’eau. Il y a des régions qui sont désormais alimentées par le Midlands Dam et d’autres bientôt par le Bagatelle Dam. Ce qui enlèvera le poids sur certains réservoirs comme Mare-aux-Vacoas. Il suffit d’un plan pour revoir la distribution.
Chaque année, à cette période, nous faisons face à un problème d’eau. Selon vous, quelles sont les solutions ?
Les autorités étudient tous les secteurs : domestique, touristique, agricole, dans toutes les régions. Et lorsqu’on fait un planning, on se base sur la demande. Une fois la demande établie, on examine si les sources déjà exploitées sont suffisantes pour satisfaire les besoins immédiats et futurs.
Il faut revoir le plan hydrologique pour éviter justement les pénuries. Dans l’immédiat, la solution serait de sensibiliser la population à l’économie d’eau. C’est un message important à faire passer. Les autorités concernées doivent être en alerte.
La CWA a un dilemme… Avec le changement climatique, les pluies se font rares. De l’autre côté, la demande augmente…
Je suis d’accord. Changements climatiques, réduction de la pluviométrie, oui. Cependant, il faut également une bonne répartition de l’eau tout au long de l’année. Donc, il faut réduire les pertes d’eau non comptabilisée. Si nous arrivons à réduire les pertes par 25 %, nous aurons plusieurs mètres cubes d’eau de plus. Le niveau de nos réservoirs ne baisserait pas aussi rapidement. Il faut pouvoir mobiliser les ressources pour que, durant les mois secs, on ne souffre pas. Cela passe par une bonne gestion.
Le gaspillage d’eau à cause des fuites a atteint un seuil critique. La CWA ne doit-elle pas faire plus d’efforts à ce niveau ?
Le seuil critique est estimé entre 40 % et 50 % de fuites dans le réseau de distribution de la CWA, en sus des connexions illégales. La CWA doit travailler sur une base prioritaire. Tout d’abord, une nouvelle étude hydraulique, ensuite la réduction des pertes et le rehaussement du réseau, mais aussi la protection de l’environnement. Plusieurs projets sont envisagés et certains ont déjà débuté. Malgré les travaux, il y aura toujours des pertes, mais tout sera sous contrôle.
À Maurice, la consommation d’eau s’élève à plus de 150 litres par tête d’habitant. N’est-ce pas insoutenable, à la longue, pour le pays ?
Sur le plan international, une consommation dépassant 120 litres par jour par tête d’habitant est considérée, en théorie, comme mauvais. Dans le schéma directeur, on avait proposé 180 litres. Il faut maintenant réactualiser ce plan. Néanmoins, vu que chaque pays est différent, avec un différent climat, la consommation d’eau n’est pas la même. Par exemple, pour l’irrigation, Maurice étant un pays tropical, il faut plus d’eau que pour un pays européen.
Devons-nous envisager une hausse du tarif de l’eau ?
Il le faut bien. On aurait dû le faire bien avant. Maurice est l’un des pays au monde où le tarif d’eau est le plus bas. Cela n’incite pas les consommateurs à économiser le précieux liquide. La CWA doit investir gros dans la réhabilitation de son système hydrologique. Ces travaux auraient dû être entrepris depuis longtemps. Faute de financement, l’échéance a été repoussée. Il faut dire que, sans l’aval du gouvernement, la CWA ne peut décider d’une hausse du tarif. Outre le coût de la production d’eau par mètre cube, plusieurs facteurs dictent le tarif d’eau. Ainsi, l’argent récupéré serait utilisé pour financer d’autres projets. Or, tout cela dépend de la volonté politique.
Le dessalement est une option. Pouvons-nous l’envisager pour pallier le problème d’eau ?
Est-ce une nécessité ? Nous pouvons toujours compter sur les méthodes classiques de captage d’eau. Si à Rodrigues, on a eu recours au dessalement, c’est parce que l’île n’avait pas beaucoup de ressources en eau. C’était obligatoire de se tourner vers le dessalement. À Maurice, cela doit être le dernier recours. Nous devons nous concentrer sur la gestion de notre capital en eau.
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