
Face aux limites de la répression en matière de lutte contre la drogue, des experts plaident pour une approche axée sur la prévention, la réduction des risques et la régulation de certaines substances. Une réforme des politiques actuelles est jugée essentielle pour mieux lutter contre ce fléau.
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Depuis des décennies, la lutte contre la drogue repose sur une politique essentiellement répressive, souvent jugée inefficace par plusieurs acteurs du domaine. Nicolas Ritter, fondateur et président d’honneur de l’ONG Pils, estime que la répression seule ne fonctionne pas et que la prohibition actuelle est disproportionnée. Il plaide pour un changement d’approche ambitieux, mettant l’accent sur la prévention, qui demeure insuffisante à Maurice. Selon lui, la régularisation de l’usage de toutes les drogues permettrait de replacer la santé publique au cœur du débat.
Kunal Naïk, psychologue et addictologue, partage cet avis. Il souligne que la répression a favorisé la prolifération de substances aux compositions inconnues, aggravant le problème plutôt que de le résoudre. Il recommande un renforcement de la surveillance aux frontières maritimes et aériennes, car Maurice ne produit pas de drogue mais en importe sous forme de matières premières. Il insiste également sur l’importance d’une campagne de prévention nationale, impliquant tous les acteurs concernés et fondée sur des bases scientifiques. Une approche holistique, intégrant la sensibilisation dès la petite enfance jusqu’à l’université et les milieux professionnels, est essentielle selon lui.
Nicolas Ritter rappelle que tous les produits psychoactifs ne sont pas systématiquement dangereux. Il questionne la pertinence d’une politique qui criminalise certaines substances tout en tolérant l’alcool, réglementé mais nocif. Il estime que la dépénalisation permettrait de mieux cibler la lutte contre le trafic et de réduire la charge sur la police et la justice. Pour lui, un véritable courage politique est nécessaire pour proposer une politique plus efficace.
Danny Philippe, de l’ONG Drip, reconnaît la nécessité d’une politique répressive, mais regrette que la prévention ait été négligée. Il déplore le manque de moyens budgétaires alloués à la prévention, la réhabilitation et la réduction des risques. Face à l’aggravation du problème de la drogue, il appelle à la création d’un « select committee » pour proposer des solutions innovantes. Il regrette aussi la disparition du National Drugs Secretariat, qui a laissé un vide institutionnel préjudiciable.
Réinsertion sociale
Jamie Cartick, directrice du Collectif Urgence Toxida (CUT), critique la focalisation de l’État sur la répression et le renforcement des unités policières. Elle estime que les mesures punitives renforcent l’oppression des populations vulnérables, les poussant à l’isolement et les dissuadant d’accéder aux services de santé. Elle préconise une meilleure éducation et des services de santé plus accessibles pour favoriser la réinsertion sociale des consommateurs. Elle appelle aussi le secteur privé à jouer un rôle actif dans l’insertion professionnelle des anciens toxicomanes et ex-prisonniers.
En matière de prévention, Jamie Cartick regrette que les campagnes actuelles ciblent principalement les jeunes non-consommateurs avec des messages prohibitifs peu efficaces. Elle milite pour une approche axée sur la réduction des risques, jugée plus adaptée au contexte mauricien.
Le débat sur la légalisation du cannabis occupe une place centrale. Nicolas Ritter préconise non seulement la dépénalisation, mais aussi la régulation du cannabis, qui pourrait réduire certains aspects du problème. Il affirme que la criminalisation du cannabis a favorisé son prix élevé et sa rareté, poussant certains consommateurs vers les drogues synthétiques aux effets beaucoup plus dévastateurs.
Kunal Naïk soutient cette idée et recommande une légalisation du cannabis sous un strict contrôle des autorités afin d’éliminer le marché noir. Il insiste sur le fait que les drogues synthétiques échappent totalement au contrôle des pouvoirs publics, augmentant ainsi leur dangerosité. Un cadre réglementaire permettrait, selon lui, de mieux protéger les consommateurs et de réduire les risques sanitaires.
Les acteurs du domaine de la lutte contre la drogue s’accordent sur la nécessité d’une évolution des politiques actuelles. Si la répression reste indispensable, elle doit être complétée par une approche pragmatique axée sur la prévention, la réduction des risques et la régulation de certaines substances. Un changement de paradigme, appuyé sur des données scientifiques et une volonté politique forte, semble indispensable pour répondre efficacement à ce fléau.
Un manque de coordination déploré
La majorité des organisations non gouvernementales (ONG) et des représentants de la société civile sont tout à fait d’accord pour travailler en synergie avec l’État, selon Nicolas Ritter. Cependant, pour lui, cela n’a pas été suffisamment fait au cours des dernières années et il souhaite que la situation s’améliore. Il estime que les personnes clés devraient être partie prenante de toutes les mesures en leur faveur. « Il faut absolument collaborer avec l’État, moyennant qu’il ait une vision en adéquation avec celle de la société civile, sinon il y a un “clash” », dit-il.
Bien que ne faisant pas partie d’une ONG, Kunal Naïk déplore l’absence de coordination au niveau national depuis quatre à cinq mois entre tous les acteurs concernés. Selon lui, les initiatives qui devaient être mises en place prennent trop de temps, alors qu’il y a urgence. Il aurait fallu instaurer un système de coordination permettant aux ONG et aux acteurs du secteur de mener des actions concertées. « Il y a un retard dans le travail qui aurait dû être fait, ce qui a laissé libre champ à la drogue de circuler allègrement », estime-t-il.

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