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Eau : le 24/7 en point de mire

Dans un an, une grande partie de la population devrait être approvisionnée en eau potable de manière ininterrompue. La mise en opération du Bagatelle Dam est cruciale pour atteindre cet objectif.

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D’ici à 2018, 80 % de la population de Maurice sera alimentée en eau sur une base 24/7. C’est ce qu’a promis le ministre de l’Énergie et des Services publics, Ivan Collendavelloo. Une promesse qu’on a du mal à prendre au sérieux quand on connaît les difficultés auxquelles certaines régions comme Coromandel, Beau-Bassin et Rose-Hill doivent faire face pour ce qui est de la fourniture d’eau potable. Pourtant, selon des techniciens de la Central Water Authority (CWA), il s’agit loin d’être une promesse faite à la légère et les projets mis en chantier devraient effectivement permettre d’atteindre cet objectif dès l’année prochaine. La pièce maîtresse demeure la mise en service de Bagatelle Dam, qui permettra une distribution accrue du volume d’eau et améliorera la capacité des stations d’épuration.

Axe stockage : L'Apport du Bagatelle Dam 

Avec ses 15 millions de m3 additionnelles, la mise en opération du Bagatelle Dam devrait considérablement changer la donne. Ce sont surtout les régions comme Port-Louis et les basses Plaines-Wilhems qui seront alimentées par ce nouveau réservoir. Et ce sont justement certaines de ces régions qui connaissent davantage des problèmes de distribution : Phoenix, Coromandel, Beau-Bassin et Rose-Hill.

Du coup, le réservoir de Mare-aux-Vacoas sera moins sollicité pour alimenter ces régions (voir encadré sur le réseau de distribution de la CWA) et son stock d’eau pourra être orienté vers d’autres régions. L’Ouest du pays devrait être la principale région à bénéficier de ce volume d’eau supplémentaire de Mare-aux-Vacoas. S’agissant des ressources additionnelles, treize contrats seront  alloués pour de nouveaux trous de forage.

Axe distribution : en finir avec les fuites

Rien ne sert d’augmenter la capacité de stockage si la moitié du volume l’eau se perd en route ou si la vitesse et le volume de transit sont limités. D’où l’importance de l’exercice de remplacement des tuyaux en cours. Ainsi, environ 1 500 km de tuyaux ont été remplacés sur les 5 000 km existants. Cet exercice coûte cher, soit une moyenne de Rs 10 millions par kilomètre. Pour la région de Beau-Bassin-Rose-Hill par exemple, 30 km de tuyaux ont coûté Rs 375 millions.

L’amélioration du réseau ne concerne pas uniquement le transit des stations d’épuration aux maisons. La connexion entre réservoirs sera aussi améliorée. Cela permettra de transvaser l’eau d’un réservoir à l’autre, dépendant des besoins des différentes régions.

Puis, il y a les réservoirs de service, point de passage obligatoire de l’eau potable avant de sortir des robinets. Un réservoir de ce type contient en moyenne 3 000 m3. Or, une famille avec une grosse moyenne de consommation engloutit 20 m3 par jour, ce qui fait une réserve de 60 jours pour une seule famille par réservoir de service. La CWA multipliera donc les réservoirs de ce type à travers le pays. Rs 210 millions ont été allouées pour l’achat de 21 réservoirs en acier.

Axe épuration : améliorer la capacité

Actuellement, la station d’épuration de La Marie est capable de traiter jusqu’à 130 000 m3 par jour. En décembre 2018, celle attachée au Bagatelle Dam devrait aussi être prête. En attendant, une station d’épuration mobile pouvant traiter jusqu’à 3 000 m3 par jour sera installée d’ici à fin novembre. Cette station alimentera toute la région Beau-Bassin/Coromandel. Pour les rivières, des stations d’épuration mobiles devraient se multiplier pour pouvoir exploiter l’eau disponible sur une base ‘as and when’.

Le réseau de distribution de la CWA

Le dernier rapport annuel disponible de la CWA date de 2015 et donne les détails de son réseau de distribution. Au total, ce sont 5 000 km de tuyaux qui servent à transporter l’eau potable des stations d’épuration aux robinets des maisons. Outre les principaux réservoirs de captage et les stations d’épuration, la CWA compte sur une centaine de réservoirs de service qui assurent le relais de la distribution avec une capacité de 238 000 m3  à travers le pays. Ci-dessous, les détails de ce réseau.

Port-Louis

• 444 km de tuyaux
• 49 191 abonnés
• 13 réservoirs de service
• 17 stations de pompage
• 14 trous de forage

Le Nord

• 930 km de tuyaux
• 76 694 abonnés
• 16 réservoirs de service
• 48 stations de pompage
• 43 trous de forage

L’Est

• 576 km de tuyaux
• 43 780 abonnés
• 11 réservoirs de service
• 11 stations de pompage
• 13 trous de forage

Le Sud

• 660 km de tuyaux
• 52 172 abonnés
• 16 réservoirs de service
• 13 stations de pompage
• 14 trous de forage

Région haute Mare-aux-Vacoas

• 815 km de tuyaux
• 68 927 abonnés
• 13 réservoirs de service
• 12 stations de pompage
• 15 trous de forage

Région basse Mare-aux-Vacoas

• 851 km de tuyaux
• 62 170 abonnés
• 28 réservoirs de service
• 43 stations de pompage
• 51 trous de forage


Prem Saddul, ex-Chairman de la CWA : «L’objectif ne sera pas atteint avant 2020»

Trouvez-vous que l’objectif de la CWA de fournir l’eau sur une base 24/7 à 80 % de la population peut être atteint ?
La fourniture d’eau potable 24/7 à 100 % de la population est possible car Maurice a une pluviosité annuelle de 4 000 mm sur les hauts, ce qui équivaut à 3 900m3 par personne. Donc, nous ne devrions pas être 'water stressed'. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Par comparaison, Israël reçoit beaucoup moins de pluie et a une population plus conséquente, mais a atteint l’objectif de 24/7. Pour que Maurice atteigne l’objectif 24/7 à 80 %, ce que je ne prévois pas avant 2020, il faut d’abord revoir de fond en comble l’administration et la qualité des services qu'offre la CWA. 

Quelle est l’importance du Bagatelle Dam pour atteindre ce projet ?
L’objectif du Bagatelle Dam est d’approvisionner les consommateurs des basses Plaines-Wilhems, la partie sud de Port-Louis et le nord de Rivière-Noire. Le barrage est rempli, mais compte tenu du temps qu’il faudra pour que la station d’épuration soit en fonction et du réseau de tuyautage qu’il faudra installer pour alimenter ces régions, je crois qu’il faudra attendre 2020, voire 2021 avant de pouvoir compter sur l’apport du Bagatelle Dam. Changer les vieux tuyaux en amiante dans les centres-villes restera un vrai challenge.

Doit-on essayer de trouver des solutions au-delà du Bagatelle Dam ?
Avec la pluviosité que nous recevons et compte tenu de notre géologie souterraine et en surface et nos 52 rivières, chaque année environ 100 millions de m3 d’eau se perdent dans la mer. Avoir des réservoirs additionnels tels que le Bagatelle Dam et le Rivière-des-Anguilles Dam ne suffira pas. Il faut des multitudes de mini barrages le long de nos rivières principales afin de limiter le flux d’eau vers la mer. Il faut aussi éduquer et sensibiliser  la population à l’importance de se servir de l’eau potable d’après ses besoins, et non d’après ses désirs. C’est une leçon que nos amis les Rodriguais nous donnent. Il faut donc encourager le ‘Rain Water Harvesting’, le dessalement de l’eau de mer par les hôtels à des fins non-potables et, évidemment, réduire le pourcentage d’eau qui se perd dans les tuyaux.

Comment assurer la pérennité d’un tel système si la majorité des vieux tuyaux de distribution ne sont pas remplacés ?
Effectivement, notre réseau est vieux de plus de 50 ans et les tuyaux sont percés. Avec une perte d’avoisinant 40 %, la réduction de NRW (NdLR : Non-Revenue Water) reste la priorité majeure de la CWA et du pays. Cela va prendre du temps, beaucoup de temps et des milliards pour le budget.

De projets de développement importants, comme des PDS et `smart cities`, vont mettre davantage de pression sur la CWA en termes de demande à l’avenir. Pourra-t-elle y faire face ?
La planification va de pair avec le développement. Il faut savoir être proactif, non réactif et procéder comme des pompiers. Évidemment, la demande augmente et va augmenter avec les développements économique, foncier et social. Déjà, avec une consommation quotidienne de 170 litres d’eau potable par tête d’habitant, nous sommes parmi les plus gros consommateurs en Afrique. 

Que doit faire la CWA sur le long terme et éviter que la situation ne se dégrade de nouveau ?
Pour moi, la CWA est une institution dépassée par la situation. La CWA seule ne peut résoudre le problème que l’on connaît. Il y a un certain manque de vision, de soutien, de personnel qualifié, de détermination et une ingérence politique qui freinent le développement. Pour moi, la solution est claire. Il faut tout d’abord un changement radical au management.

La CWA ne peut fonctionner de 9 heures à 16 heures. Il faut un CWA 24/7 avec un ‘shift system’ bien établi. Il faut investir davantage, adopter une technologie moderne et appropriée et changer les mentalités. Maintenir la qualité de l’eau brute dans nos réservoirs, dans nos rivières et dans nos nappes phréatiques, augmenter la capacité de stockage, diminuer la grosse perte d’eau avoisinant les 20 % par l’Irrigation Authority, sont des challenges non insurmontables. Pour que l’on réussisse, il faut mettre sur pied le plus tôt possible un partenariat stratégique CWA-secteur privé international afin d’injecter du capital, apporter une connaissance et un soutien technique et technologique et du ‘capacity building’. Il faut aussi revoir la question des droits d’eau pour arriver à une situation où tout le monde sort gagnant.

Partenaire privé : ce que propose la Banque mondiale

Si on brandit un peu partout le terme « privatisation », la Banque mondiale, qui épaule le ministère des Services publics dans l’affaire, préfère parler de contrat d’affermage. Il s’agit une formule qui permet à la CWA de demeurer propriétaire de tous ses biens et de ne confier que la gestion des opérations à l’éventuel partenaire privé. Les procédures pour trouver la firme apte à faire le travail requis se poursuivent, mais on sait déjà ce que recommande la Banque mondiale sur le contrat qui sera signé entre les deux parties.

Alors que la CWA demeure la propriétaire de toutes ses installations, la Banque mondiale suggère que ce soit le partenaire privé qui prenne en charge l’installation d’un nouveau système informatique pour moderniser tout le fonctionnement. La collecte des paiements relèverait ainsi de la responsabilité du partenaire. Vu que la CWA demeure propriétaire de son réseau de distribution, elle devra continuer à financer elle-même le remplacement des vieux tuyaux. L’argent du ‘Build Mauritius Fund’ servait à financer ce projet.

Avec un partenaire privé à bord, la majoration des tarifs est inévitable, selon la Banque mondiale qui fait comprendre que « ce n’est pas soutenable » sur le modèle actuel. Si le quantum de la majoration doit encore être déterminé, il est déjà certain que le partenaire privé empochera une part importante de la somme collectée des consommateurs. Habituellement, pour les contrats qui sont négociés par la Banque mondiale, la partie privée empoche 80 %, mais ce taux est négociable. La somme que touche toutefois ce partenaire sera fixe et le surplus provenant de toute majoration future ira dans les caisses de la CWA.

Le plus gros changement qui devrait intervenir en termes de technologie est l’installation de ‘District Metering Areas’ (DMA) à plusieurs points sur le réseau de la CWA. Ce sont des instruments qui permettent de contrôler à distance le flux de l’eau potable dans les tuyaux et de les superviser en temps réel. Les DMAs sont donc un outil important qui devrait permettre d’identifier rapidement les zones où il y a des fuites et ainsi accroître l’efficacité de la CWA.

 

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