Le Dr Satish Boolell, ancien chef du département de médecine légale, n’épargne personne : autorités, organisa-tions non gouvernementales, groupes socioculturels et fédérations sportives. Il lance un appel pour que la mort du petit Ritesh ne soit pas vaine, mais qu’elle soit plutôt le début d’une prise de conscience.
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« Je souhaite qu’une ONG prenne les devants pour dire ce qu’elle pourrait faire pour la petite sœur de Ritesh »
Un enfant de 11 ans égorgé devant sa sœur de 8 ans. Cela vous choque-t-il après une longue carrière comme médecin légiste ?
Le meurtre d’un enfant choquera toujours. Nous ne pouvons rester insensibles à cela. Autrement dit, sommes-nous réellement choqués ? Cette société s’est tellement dégradée que ce genre de crimes deviennent désormais des faits divers. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Nous sommes choqués, nous réagissons, nous participons à un « candlelight », où seulement une centaine de personnes sont présentes. Nous nous lâchons sur les réseaux sociaux à travers des commentaires pour démontrer une sympathie hypocrite. Le lendemain, tout le monde retourne à ses occupations. La réaction à Maurice est éphémère, histoire de se procurer un feel good factor.
Selon vous, qu’est-ce qui aurait dû être fait dans le cas du petit Ritesh ?
Je l’ai dit à maintes reprises : chaque meurtre nécessite une étude en soi. Ce n’est pas comme si nous avions des meurtres à la pelle, qui nous empêcheraient de faire une analyse approfondie d’un meurtre. Dans le cas du petit Ritesh, il aurait fallu savoir, par exemple, quelle école il fréquentait, les gens que fréquentent ses parents, dans quelle situation ils vivaient... Mais surtout, il faut se demander ce que nous avons fait de concret pour éviter le meurtre d’un autre Ritesh demain, si ce n’est que présenter nos sympathies.
« Chaque meurtre nécessite une étude en soi… J’ai demandé la création d’un protocole pour la protection des enfants »
Vous allez certainement imputer cette tâche aux autorités, n’est-ce pas ?
Non seulement aux autorités, mais aussi à toutes ces ONG qui ne font que profiter du fond du Corporate Social Responsibility (CSR). à Maurice, nous avons plus de travailleurs sociaux que de personnes dans le besoin. D’ailleurs, il y a récemment eu un concours de beauté. Toutes les participantes voulaient faire du social. Mo pou gete kisanla al fer sosial e kotsa. C’est ça la tragédie.
Il semblerait que les ONG ne soient pas dans vos bons papiers, alors que vous avez été à la tête du MACOSS durant plusieurs années. Qu’est-ce que vous leur reprochez ?
Ces personnes qui forment des ONG, avec pour mission de sauver les enfants et de travailler en leur faveur, doivent savoir comment réagir. Elles doivent cesser de se battre pour devenir président du MACOSS. Il faut aussi cesser de vouloir faire du social pour obtenir les décorations de la République.
Vous avez la solution ?
Dans mon livre, j’ai demandé la création d’un protocole pour la protection des enfants. Sont-ils tous sourds ? Personne ne sait ce que c’est qu’un protocole ? Certains pays ont mis sur pied des services sociaux. Leur tâche consiste à visiter régulièrement les familles à partir de la naissance d’un enfant, mais aussi dans les écoles au fur et à mesure que l’enfant grandit. à Maurice, nous n’avons pas ce suivi-là.
Vous voulez dire que nous sommes plus réactifs que proactifs ?
Certainement. Si c’était possible, certains n’auraient pas hésité à se prendre en selfie avec le cadavre au cimetière.
Vous n’êtes pas un peu sévère là ?
Pas du tout. Suite au meurtre de cet enfant, j’aurais souhaité qu’une ONG quelconque prenne les devants pour dire ce qu’elle pourrait faire pour la petite sœur de Ritesh, âgée de 8 ans, étant donné qu’elle est issue d’un milieu défavorable. Ce qui m’intéresse, c’est que la mort du petit Ritesh ne soit pas vaine, mais qu’elle soit plutôt le début d’une prise de conscience, soit de la part du gouvernement soit des ONG. Surtout, que ce soit l’occasion de faire une analyse sur chaque enfant de cet endroit vivant dans les mêmes conditions que Ritesh. Maurice étant petit, commençons par Petite-Rivière. Nommons ce projet « lefe ti-rivyer ». Attribuons un nom à cette action.
Ce n’est pas un peu trop de rejeter cela uniquement sur les ONG ?
Tout le monde doit réagir. Nous sommes tous coupables lorsqu’un enfant est égorgé et perd ainsi la vie. Moi y compris. Nous avons un gros problème de société, que nous devons analyser afin de parvenir à un protocole de protection de l’enfant. Le ministre concerné doit présenter un Blue Print à ce sujet. C’est quelque chose qui peut se faire rapidement afin qu’il n’y a pas d’autres Ritesh. Je suis sidéré que nous ne réagissions pas comme il faut.
Le Premier ministre a avancé qu’il ne fallait pas avoir de pitié pour ces gens-là. Vous partagez son avis ?
Vous savez, c’est une mode. Je m’explique. Ce qui s’est passé, c’est que de nombreux Mauriciens sont une fois de plus montés sur leurs grands chevaux pour réclamer la peine de mort. Alors, je suppose que les décideurs politiques, qui souhaitent obtenir un « carat », iront dans le même sens.
« Pour revenir au cas de Ritesh, ce n’est pas qu’un village qui est responsable. C’est la nation mauricienne dans son ensemble qui est responsable »
Justement, pensez-vous que la peine de mort soit une solution ?
La peine de mort a été suspendue à Maurice. En la réintroduisant, c’est l’état qui deviendrait alors criminel. Par ailleurs, c’est facile de demander la peine de mort aussi longtemps que ce n’est pas un membre de votre famille ou quand il s’agit d’un adversaire politique. Ainsi, vous vous donnez bonne conscience en réclamant la peine de mort. Ensuite, vous allez prier pour demander à Dieu de protéger l’humanité. Notre tragédie, c’est que nous passons notre temps à invoquer Dieu au point de le harceler. Nou arsel bondie ek travay-la pa pe fer !
Est-ce en raison d’une perte des valeurs et d’un manque de civisme qu’on constate des comportements outranciers au quotidien : violence grandissante au sein du couple, sur le lieu du travail ou encore à l’école ?
On dit souvent qu’il faut faire l’éducation des enfants. Je pense qu’il faut d’abord éduquer les parents. D’ailleurs, j’ai toujours dit qu’il n’y a pas de mauvais enfants, mais de mauvais parents. Des fois, à la base, les parents ne sont pas mauvais, mais ils sont forcés à le devenir en raison de certaines circonstances. Ils sont peut-être frustrés ou aigris, car certains de leurs droits ne sont pas respectés. D’où l’importance de faire une analyse pour connaître leurs maux. Il faut aider les parents, les éduquer, les soutenir et les conseiller. Leur faire comprendre qu’ils doivent être prêts avant de concevoir un enfant, voire avant de s’unir pour la vie.
Idem pour les grossesses précoces. Pensez-vous que seuls les parents et la fille sont à blâmer ? Nous sommes nombreux à faire la leçon sur ce sujet. Que faut-il faire, arracher l’enfant de sa mère de 13 ans ? Et lorsque la famille souhaite intervenir pour bar gorl, elle est critiquée et poursuivie en justice. Il faut déjà avoir mis un système en place pour soutenir les filles dans les cas de grossesses précoces. Même si c’est illégal, il faut faire en sorte que la jeune mère puisse poursuivre ses études. Isi nou for lor pres moral ! Mais dans la réalité, combien de nos réactions ont véritablement changé la destinée d’une personne en détresse ?
Ne pensez-vous pas qu’il faille introduire des cours de civisme ou de valeurs humaines dans les écoles ?
Je ne suis pas en faveur de pres moral. Il y a les groupes religieux pour cela. D’ailleurs, au lieu de s’occuper de politique, ce serait mieux s’ils s’occupent un peu plus de ces choses-là. Il faut aussi cesser d’intervenir dans le travail des enseignants lorsque ceux-ci souhaitent y mettre de l’ordre. Il ne faut pas politiser l’éducation.
Tout de même, on note une montée de la criminalité et de l’insécurité. Est-ce la décadence ou le déclin de la société mauricienne ?
La décadence est internationale. Par chance, nous avons été épargnés de cela pendant des années. Mais inévitablement, avec la mondialisation et la communication tous azimuts, cette décadence est parvenue jusqu’à nous.
Comment pouvons-nous y remédier ?
Je suis personnellement favorable à des mouvements de scoutisme, qui préservent nos jeunes de la tentation. Sans vouloir faire de la politique, je crois sincèrement qu’à Maurice il nous manque une politique de loisirs et de sports de masse pour nos jeunes. Les bénéfices sont à trois volets : sport, santé et occuper la masse. Certaines fédérations sont en train de s’entretuer. Bizin fer enn fim lor sa ? Notre pays est petit. C’est tout à fait faisable. à ce chapitre, je dois saluer les Rodriguais, qui sont beaucoup plus engagés que nous, socialement et sportivement. Anou al gor lor zot.
Une chose qui est impressionnante chez le Mauricien : il est obsédé par l’éducation. S’il n’a pas eu la chance d’étudier, il concentre ses efforts pour que ses enfants puissent le faire. Il faudrait pouvoir soutenir, encourager et mettre à profit cette qualité que nous avons, mais on ne le fait pas.
Cette décadence représente-t-elle les symptômes ou les conséquences ?
(Il se dresse) Nous sommes encore au stade des symptômes, mais la maladie nous guette. Nous n’avons pas encore perdu le contrôle. Raison pour laquelle je suis en train de tirer la sonnette d’alarme. Au niveau des jeunes, ces symptômes se traduisent à travers la prise de drogue de synthèse. Chez les plus âgés, c’est la drogue, l’abus d’alcool, la violence domestique. Il faut maintenant chercher à savoir quelle est cette maladie. D’où provient-elle ? Comment l’empêcher de se propager ? Comment la guérir ? Cette obsession que nous avons de l’éducation est justement l’atout majeur qui pourrait nous aider à guérir de ces symptômes.
Concrètement, comment pouvons-nous en tirer profit ?
Par exemple, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’informations au sujet des drogues synthétiques. Pourquoi faut-il cacher la composition de ces drogues ? Informez le public comment cela se fabrique. Dir dimoun la kouma li bat dan latet. Dites-leur aussi comment cela engendre une hausse dans les suicides et comment le consommateur peut y laisser la vie. Au lieu d’informer, nous cachons les informations. Beaucoup de nos institutions deviennent paranoïaques lorsqu’il s’agit de donner des informations les concernant. Elles craignent d’être critiquées si elles le font.
Pour guérir de ces symptômes, il faudra plus de transparence et d’action. Il y a des gens qui ont failli. Ils prennent un salaire à la fin du mois sans faire le travail requis. Je suis désolé, mais il y a un prix à payer. Nous ne pouvons jeter le blâme à chaque fois sur les autres. Pour revenir au cas de Ritesh, ce n’est pas qu’un village qui est responsable. C’est la nation mauricienne dans son ensemble qui est responsable.
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