Interview

Dr Khalil Elahee, expert en matière d’énergie : «Ce n’est pas au CEB de subventionner les planteurs de canne» 

Le Budget 2019-20 prévoit que les planteurs de canne bénéficieront d’un prix de Rs 25 000 par tonne de sucre sur les 60 premières tonnes pour la récolte de 2019. Le Dr Khalil Elahee s’oppose catégoriquement au fait que ce soit le Central Electricity Board qui subventionne les planteurs pour le prix du sucre. À son avis, ce n’est pas le rôle de l’organisme d’être une vache à lait, un peu comme la State Trading Corporation avec les produits pétroliers. 


Comment accueillez-vous le Budget 2019-20 par rapport à l’énergie ? 
La plus importante mesure, peut-être et étrangement, concerne la canne. Les Rs 25 000 par tonne de sucre peuvent sauver le secteur cannier. Mais même si c’est une bonne chose pour la bagasse, cette mesure n’aura pas les mêmes effets sur les différentes sortes de biomasse qui ne sont pas liées au sucre. D’ailleurs, le terme « bagasse » n’existe pas dans le discours budgétaire, mais il fait mention d’un National Biomass Framework. 

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Une bonne mesure budgétaire, dites-vous ? 
C’était déjà une recommandation que nous avions mise dans le rapport de la National Energy Commission (NEC) dès 2013. Nous ne pouvons attendre, pour le long terme, que ce soit le CEB qui finance les planteurs de canne pour le prix du sucre à Maurice. Il faudra donc innover et trouver d’autres mécanismes efficaces.

Est-ce bien le rôle du CEB de subventionner le prix du sucre ? 
Aujourd’hui, si le CEB a des réserves d’au moins Rs 3 milliards, c’est grâce au bon  travail de son management et de ses employés mais aussi grâce à une baisse des coûts de production. Il ne faut pas oublier que cet argent provient de ses 450 000 consommateurs, dont la plupart sont des foyers résidentiels. 

Toutefois, avec la situation dans le Golfe, pour une énième fois, le prix du pétrole risque de s’envoler. Comment subventionnerons-nous alors le prix du sucre ? Ce n’est pas le rôle du CEB d’être une vache à lait qu’on peut traire, un peu comme la State Trading Corporation avec les produits pétroliers en soutenant autant de projets nationaux et produits subventionnés. Au contraire, il doit investir ses réserves dans la modernisation du réseau pour le rendre vraiment intelligent et safe, dans la maîtrise de la demande, dans l’intégration des Smart Cities ou encore dans des systèmes renouvelables décentralisés.

Alors, comment financer le prix du sucre ?
Il faut trouver un mécanisme durable dans tous les sens, couvrant aussi d’autres biomasses. L’idée d’un cadre pour promouvoir les bioénergies, comme nous avions proposé avec le NEC, était justement de voir comment encourager le développement terrestre et marin de ces énergies propres, allant du bioéthanol aux algues séchées en passant par les feuilles et têtes de canne. Il faut aussi prendre en compte le potentiel d’importer de la bioénergie, voire d’en cultiver à Madagascar ou au Mozambique. 

C’est le moment approprié pour lancer de tels projets intégrés, car les contrats des Independent Power Producers arrivent à terme. Le cadre promoteur des bioénergies sera ainsi la fonction du National Biomass Framework. Il reviendra à l’Utility Regulatory Commission de jouer son rôle en toute indépendance en tenant compte d’une politique énergétique clairement définie par le gouvernement afin que règnent les principes d’équité, de transparence et d’efficacité. Malheureusement, le régulateur est quasi inexistant aujourd’hui. Du coup, c’est business as usual dans la manière de décider les contrats et de finaliser le financement des projets. 

Il y a une main invisible qui agit contre la transition vers les énergies propres."

Vous avez pris position contre le projet CT Power et le Privy Council vient de renverser un jugement de la Cour suprême qui donnait gain de cause à ce dernier. Votre réaction ? 
Mon opposition était et demeure contre tout projet coal-only, pas seulement CT Power. La National Energy Commission avait pour mission de trouver une solution pour contourner CT Power, si possible. C’est ce que nous avons fait. Le ministre actuel a fait de notre rapport sa « bible », pour reprendre ses mots.  

Mais déjà en 2011, le département de l’environnement avait refusé d’accorder une EIA Licence à CT Power. Après l’appel en Cour de CT Power, il avait été obligé de donner la licence mais il avait introduit une fameuse clause 15 qui exigeait du promoteur de prouver sa capacité financière auprès du ministère des Finances. Finalement, il n’y  a jamais eu d’Implementation Agreement avec CT Power.  La justice a été faite dans ce cas, Dieu merci.

Mais CT Power n’aurait-il pas permis la démocratisation du secteur énergétique ? 
Savons-nous qui est le véritable propriétaire de CT Power et combien sont-ils  lorsque nous parlons de démocratisation ? Le  débat est faux lorsqu’on parle de black coal et de white coal. En fait, il s’agit de l’avenir commune de tous les Mauriciens et de la sauvegarde de notre environnement. 

Par contre, nous savons que le promoteur avait d’imposants moyens à sa disposition. CT Power avait menacé de faire servir une mise en demeure     aux membres de la NEC lors de sa déposition devant cette instance. Toute une armada d’experts étrangers avait fait le déplacement pour soutenir un ténor du barreau face à la NEC. 

Heureusement que la commission avait tenu bon. Sinon nous serions peut-être prisonniers d’un coal lock-in aujourd’hui. La vraie démocratisation du secteur énergétique se dessine aujourd’hui avec les panneaux photovoltaïques qui sont installés sur les toits des bâtiments. Mais nous avons beaucoup de retard à rattraper…

Quid du jugement de la Cour suprême dans l’affaire Betamax ?
Je comprends que le plaignant peut toujours faire appel. Un renversement du jugement est donc possible. Ce qui m’interpelle, c’est la réalité des lobbies des produits pétroliers et du secteur automobile, localement et ailleurs. Ce marché et les vested interests sont énormes. Il y a une main invisible qui agit contre la transition vers les énergies propres. 

De l’accord en amont que nous avions avec Mangalore Petroleum Refineries jusqu’aux revenus du gouvernement liés à la vente des carburants, les enjeux sont complexes. Il faut un leadership et une gouvernance énergétique qui décide de rompre avec les énergies fossiles dans un proche avenir. Aussi longtemps que cela n’arrivera pas, il y aura des cas comme Betamax. 

Maintenez-vous votre objection au projet de turbines à gaz roulant au Gaz naturel liquéfié (GNL) aussi appelé « Liquefied Natural Gas » ?
Certainement, parce que nous n’avons pas de masse critique pour le GNL, même avec le transport routier pris en compte. La menace de lock-in est plus grave que celui du charbon. À l’université, nous enseignons les applications de la thermodynamique et le stockage du GNL, qui requiert une température de moins de 162 degrés, est cité comme un défi majeur. Certes, c’est possible, mais ce n’est nullement une priorité pour notre avenir énergétique. 

Le gouvernement affirme qu’il n’y a pas de plan B… 
Il y a toujours un plan B, même des plans C, D, E, etc. Savons-nous, par exemple, qu’à l’horizon 2030, notre dépendance des énergies fossiles devrait diminuer même si nous ne faisons rien ? Il y a la population qui diminuera, l’économie qui se numérisera et qui deviendra moins énergivore et les technologies qui seront plus efficaces. 

Pour avoir été sous deux gouvernements en charge de l’Energy Efficiency Management Office, dès sa création, je sais qu’il y a un Master Plan sur la maîtrise de la demande et les économies d’énergie qui dort dans les tiroirs. Il n’y a qu’à voir les bâtiments que nous construisons et le potentiel d’efficacité énergétique. J’espère aussi pour le transport que le Metro Express nous fera économiser des milliards chaque année en matière de carburant pour les voitures.

 

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