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Distribution dans les centres de santé - Méthadone : une dose difficile à faire avaler 

La distribution de la méthadone se faisait auparavant dans les cours des postes de police.
  • L’ONG CUT regrette une « stigmatisation persistante » de la part du personnel de santé 

Les récents changements dans la distribution de méthadone continuent de susciter des interrogations. Du côté du ministère, on considère que c’est une tempête dans un verre d’eau.

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Les tensions autour du nouveau protocole de distribution de la méthadone persistent. Pris entre les infirmiers, qui estiment que cela ne fait pas partie de leurs attributions, et les pharmaciens qui dénoncent une atteinte aux dispositions légales en vigueur, les bénéficiaires se retrouvent « otages ».

Jamie Cartick, directrice de l’ONG Collectif Urgence Toxida (CUT), parle d’une « stigmatisation » persistante. « Les personnes qui travaillent dans les structures de santé ont toujours des préjugés envers les bénéficiaires de la méthadone », regrette-t-elle.

Depuis le début de septembre, les infirmiers ont été informés qu’ils joueront un rôle plus important dans la distribution de la méthadone dans les différents centres de santé. La distribution se fait dans une vingtaine de centres de santé, qui accueillent chacun moins de 50 patients afin de ne pas surcharger le service de santé habituel. Parmi ces centres, on retrouve les hôpitaux régionaux Dr A.G. Jeetoo, Victoria, Jawaharlal Nehru, Souillac, SSRN, ainsi que certaines médicliniques et les hôpitaux de district de Montagne-Longue et Mahébourg, entre autres. Les infirmiers devront notamment assurer le titrage et la responsabilité des « Dangerous Drug Boxes » pour la distribution de la méthadone aux bénéficiaires. « Les mesures prises s’inscrivent dans la logique de la décentralisation des services de distribution de la méthadone de manière non discriminatoire et non stigmatisante », explique le Dr Luxmi Tauckoor, l’addictologue de la Harm Reduction Unit (HRU) (voir encadré). 

Or, les infirmiers dénoncent une surcharge de travail et de responsabilités. Tandis que les pharmaciens avancent que cette mesure enfreint le Dangerous Drugs Act. Ce texte de loi stipule que les médicaments classifiés doivent rester sous la responsabilité des personnes autorisées : médecins, pharmaciens, vétérinaires et dentistes, rappelle Ashwin Dookun, président de la Pharmaceutical Association of Mauritius. Les infirmiers ne peuvent se substituer aux pharmaciens, car cela viole l’éthique : « Le ministère de la Santé a fait une erreur en prenant une telle décision. »

Un autre pharmacien, sous couvert de l’anonymat, plaide pour la mise en place de pharmacies communautaires, avec des pharmaciens, afin de suivre la distribution de la méthadone. Il demande aussi une amélioration de la politique de réhabilitation et de réinsertion des usagers de drogues.

Face à cette situation, la directrice de CUT fait remarquer que des infirmiers refusent de s’occuper de ce service car ils pensent que « c’est 
dangereux ». Le personnel, qui n’est pas habitué à travailler avec les usagers de drogues ou les patients sous méthadone, montre beaucoup de réticence face à ce programme, observe-t-elle. Cependant, souligne Jamie Cartick, « un membre du personnel de santé ne peut choisir les patients qu’il va traiter. Quel que soit leur profil, ils ont droit à un service comme tous les autres patients ».

Elle indique, néanmoins, qu’il existe un groupe d’infirmiers favorable à ce programme. « L’État a le devoir de bien former le personnel de santé appelé à travailler avec les usagers de drogues et ceux sous méthadone », plaide Jamie Cartick. 

Selon elle, il reste encore beaucoup à faire pour combattre la stigmatisation, sans quoi il y aura toujours des oppositions à ce programme et à l’accueil des bénéficiaires de la méthadone dans les centres de santé. Ce qui pourrait retarder la progression du programme, prévient-elle.

Durée limitée

Le programme de maintenance à la méthadone n’est pas un traitement à vie. Avec le nouveau protocole mis en place l’année dernière, un patient devrait bénéficier du traitement pour une durée d’un an. Certains pourront sortir du programme progressivement, notamment les jeunes qui bénéficient d’un meilleur suivi. « Avant, certains patients devenaient dépendants de la méthadone et ne parvenaient pas à s’en sortir. Mais avec le suivi actuel, tout est fait pour qu’ils deviennent abstinents de l’héroïne, puis qu’ils soient sevrés de la méthadone », explique le Dr Tauckoor.

Ceux qui ont commencé à se droguer très jeunes (vers 15 ans ou moins) ou qui souffrent de pathologies psychiatriques (comme la dépression ou la schizophrénie) nécessitent un traitement à la méthadone plus long, selon le responsable de la HRU. Cela concerne également ceux qui ont sombré dans la toxicomanie après l’âge de 30 ans. « La méthadone est un traitement d’au moins un an. Si le patient n’est pas correctement suivi, il peut devenir dépendant si aucun ajustement de la dose n’est fait », explique-t-il. 

Un faux débat selon le ministère de la Santé

Le Dr Luxmi Tauckoor défend le nouveau protocole de distribution, affirmant qu’il respecte les règlements en vigueur. Les infirmiers administrent déjà des médicaments dans divers centres de santé sous la supervision des pharmaciens, fait-il ressortir. Selon lui, la polémique actuelle est un faux débat qui occulte les véritables enjeux. Il précise que la décision de transférer la distribution vers des centres de santé respecte les droits de l’Homme et des patients, car l’addiction est une maladie.

Auparavant, la distribution de la méthadone se faisait à travers des caravanes stationnées dans la cour des postes de police, des lieux qui se sont révélés inappropriés. Ces distributions se faisaient très tôt le matin, pendant une durée limitée, ce qui causait des désagréments tant pour les bénéficiaires que pour le public, dit-il. Il fallait également mobiliser un « dispenser » de pharmacie, un infirmier et un chauffeur au minimum, et même des policiers qui ont d’autres tâches que de surveiller la consommation de méthadone. 

Sur certains sites, le personnel était plus nombreux, en fonction du nombre de bénéficiaires. De plus, les attroupements de nombreux bénéficiaires posait des problèmes de sécurité.

Afin de s’aligner sur les recommandations des Nations unies concernant les droits humains, la distribution de ce médicament classifié comme « essentiel » par l’Organisation mondiale de la santé ne pouvait plus se faire dans un créneau horaire limité. Le Dr Tauckoor fait un parallèle en affirmant que cela reviendrait à administrer de l’insuline à des diabétiques à une heure spécifique. « La distribution de la méthadone doit respecter les droits des patients et être accessible en fonction de leurs besoins. »

Ainsi, les bénéficiaires seront progressivement stabilisés pour ne plus consommer de drogues et pourront se rendre dans des centres de santé proches de leur domicile pendant les heures d’ouverture, comme n’importe quel autre patient. Ce sont les « dispensers » et infirmiers des centres de santé qui s’occuperont d’eux, comme pour les autres patients. À l’hôpital de Souillac, par exemple, c’est le « dispenser » qui prépare les doses et l’infirmier qui administre le médicament. « Tous les médicaments classifiés sous la ‘Schedule II’ du Dangerous Drugs Act sont sous la responsabilité des pharmaciens, mais ces derniers ne sont pas tenus de superviser directement la dispensation. Cela relève de l’infirmier, qui doit s’assurer que le patient a bien pris sa dose », précise-t-il.  

 

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