La vie après la prison peut être un calvaire pour les ex-détenus qui se retrouvent sans toit, sans argent ou sans le soutien de leur entourage. D’où l’importance de la réhabilitation et de la réinsertion pour leur permettre de s’en sortir.
Sa vie a basculé du jour au lendemain. Femme entrepreneur depuis plus d’une dizaine d’années, Michella Ravate, 50 ans, est arrêtée en 2018 et inculpée d’un délit lié à la drogue. « Lorsque je me suis retrouvée en prison, cela a été un choc terrible pour moi. J’avais souvent des crises de panique en milieu carcéral », raconte l’habitante de Sainte-Croix.
Michella Ravate a passé plus de deux ans derrière les barreaux. Une période sombre pour elle. « En prison, j’ai eu la malchance de perdre ma maman. Elle a été victime d’un arrêt cardiaque à la suite de mes démêlés avec la justice. » Sa maison, ajoute-t-elle, a également été vandalisée. « Il ne restait plus rien. »
Pour éviter de sombrer dans la déprime, elle se lance dans plusieurs activités proposées dans le milieu carcéral. « J’ai commencé à entreprendre des travaux d’artisanat. Par la suite, j’ai été transférée dans le département de pâtisserie où je faisais la vaisselle », dit-elle. Au fil des mois, son intérêt pour la pâtisserie grandit. Elle y sera initiée par des gardiennes.
« J’ai commencé à faire de la pâtisserie, j’avais déjà quelques notions. J’ai perfectionné mes compétences », poursuit Michella Ravate. Cela, souligne-t-elle, lui a permis de ne plus autant se focaliser sur ses ennuis personnels. « Mais cela n’a pas été facile », concède-t-elle.
En prison, elle est également suivie par diverses ONG. Lorsqu’elle est enfin libérée en 2021, Michella Ravate est confrontée à la dure réalité d’une vie en lambeaux. « J’avais perdu tous mes clients de ma précédente entreprise. C’était dur. »
Elle obtient heureusement l’aide de la ENL Foundation et bénéficie des cours dispensés par SME Mauritius. « Grâce à ces cours et ce soutien, j’ai pu me reconstruire une vie après la prison. » Certes, cela n’a pas été de tout repos. « Le regard de certains proches était blessant et c’est toujours le cas d’ailleurs. Mais j’ai décidé de prendre du recul. »
Et bien que l’attitude de ses proches lui fasse mal, Michella Ravate est cependant fière de pouvoir se tenir debout sur ses deux pieds. « Aujourd’hui, je peux me débrouiller et je ne dépends de personne. »
Questions à…Rishi Bhoobun, responsable de soutien psychologique de l’ONG Kinouété : «Le certificat de bonne conduite est une barrière à la réinsertion»
Que pouvez-vous nous dire sur la réhabilitation et la réinsertion ?
La réhabilitation vise à rééduquer une personne afin qu’elle puisse réintégrer la société. Les interventions nécessaires pour une bonne réhabilitation consistent d’abord en l’identification des besoins criminogènes, tels que l’addiction, le chômage ou la pauvreté, puis en la préparation d’un programme individualisé.
Les programmes proposés par l’Association Kinouété sont des interventions thérapeutiques individuelles et de groupe visant à amener les participants à réfléchir sur leurs comportements à risque. L’équipe de soutien psychologique met en place un travail sérieux pour aider les individus à adopter des habitudes saines et à diminuer leurs comportements à risque. Ces programmes peuvent prendre la forme de sessions de groupe de thérapie cognitivo-comportementale (CBT) sur des problématiques telles que l’addiction, ainsi que des programmes de développement personnel.
Afin d’assurer une meilleure réinsertion, l’Association Kinouété commence par identifier les besoins primaires des personnes, tels que le besoin d’un abri, de soins de santé, de nourriture et d’employabilité. Avant leur sortie de prison, les détenus participent à notre programme de réinsertion pour se préparer à leur réintégration dans leur famille grâce à la médiation familiale et au counseling familial.
À la sortie de prison, notre association prépare les personnes à leur réinsertion économique grâce à nos programmes d’employabilité. Nous proposons également des accompagnements dans des centres de soins ou des hôpitaux pour répondre aux besoins en matière de santé.
Quels sont les freins à la réhabilitation et à la réinsertion ?
Une des plus grosses difficultés rencontrées est la barrière imposée par le certificat de bonne conduite qui indique les antécédents judiciaires d’une personne libérée de prison. Cela crée des réticences chez les employeurs à embaucher ces personnes. Pour surmonter cet obstacle, l’Association Kinouété s’efforce de renforcer sa collaboration avec les entreprises pour sensibiliser les employeurs et les inciter à embaucher des personnes ayant été incarcérées.
Un autre problème est le sans-abrisme. Les abris pour sans-abri à Maurice sont toujours remplis, et certains demandent la présentation d’une pièce d’identité que beaucoup n’ont pas. L’Association essaie d’accompagner les personnes pour obtenir leur carte d’identité nationale et leur certificat de naissance.
Qui bénéficie du service de réhabilitation ?
Toutes les personnes qui sont en prison ou qui ont fait de la prison sont nos bénéficiaires principaux, ainsi que celles qui ont été placées en centres correctionnels (CYC) et de réhabilitation (RYC). Nous travaillons également pour soutenir les membres de leur famille.
Quelle est l’importance du soutien des familles dans ce programme ?
La famille joue un rôle primordial dans un programme de réhabilitation et de réinsertion. C’est le premier cadre de soutien qu’a une personne en prison. Le soutien familial peut aider une personne à trouver une inspiration ou une source de motivation que nous pouvons utiliser dans les sessions thérapeutiques pour travailler vers un objectif. À la sortie, la présence familiale est également importante pour soutenir une personne et éviter une rechute. L’Association travaille avec la famille pour améliorer la communication et les aider à accueillir la personne sans jugement.
De plus, nous mettons en place un système de pairs éducateurs pour faciliter les échanges d’informations sur nos services, sur d’autres ONG qui peuvent aider ainsi que sur les aides sociales.
Plusieurs ateliers proposés aux détenus
Selon Josian Babet, responsable de la communication des prisons, un « board de réception » permet d’évaluer les détenus avant qu’ils ne commencent à travailler. Il existe plusieurs activités auxquelles les détenus peuvent participer en prison, telles que la menuiserie, la mécanique, la peinture, la fabrication de chaussures, la couture, l’agriculture ainsi que la pâtisserie et la musique, entre autres.
« Cela permet aux détenus d’apprendre un métier et même de développer des talents. D’ailleurs, certaines sessions sont accompagnées d’un certificat délivré par le MITD pour les métiers. Les détenus ont la possibilité de suivre des sessions pendant leur incarcération et de ressortir avec un certificat en main. Ils sont encadrés par des officiers formés pour ces travaux », précise-t-il.
Par ailleurs, Josian Babet assure qu’un nouveau programme de Day Care Center a récemment été mis en place à la prison centrale de Beau-Bassin pour aider les consommateurs de drogue qui souhaitent suivre un programme de réhabilitation afin de se libérer de cet enfer. « Ce programme a été principalement mis en place pour les détenus en détention provisoire, et nous bénéficions de l’aide d’ONG ainsi que d’organisations gouvernementales telles que le ministère de la Santé », souligne-t-il. À la prison de Melrose, un centre résidentiel a été aménagé à cet effet pour accueillir les volontaires.
À la prison pour femmes, des ateliers de pâtisserie, de jardinage et de couture sont proposés. De plus, grâce à la collaboration du groupe CIEL, des formations sur la création de tapis à partir de matériaux recyclés ont été lancées.
Le mois dernier, le Premier ministre Pravind Jugnauth a lancé un projet d’aquaponie et d’hydroponie à la Prison centrale à l’intention des hommes. Les femmes y étaient déjà initiées. Selon le responsable de communication des prisons, tous les formations et métiers proposés aux détenus sont supervisés par des professionnels. « De plus, des officiers de SME Mauritius se rendent à la prison afin de guider les détenus sur la manière de construire un projet. Ils obtiendront un certificat à leur sortie de prison », souligne-t-il.
Josian Babet rappelle, d’autre part, que le département de la prison a remporté le deuxième prix aux Excellence Awards pour le projet « Pay Back Mauritius ». Celui-ci vise à promouvoir les travaux communautaires effectués dans divers endroits de l’île par les détenus de la prison de Richelieu qui sont en passe de compléter leur peine.
Ibrahim Koodoruth : « Certains retournent volontairement en prison »
Plusieurs facteurs occasionnent la récidive. En premier lieu, il se peut que la personne ait développé une addiction pour les délits punissables par la loi. Le sociologue Ibrahim Koodoruth, Senior Lecturer à l’université de Maurice, évoque également une faille dans le processus de réhabilitation : « Quand une personne est condamnée à la prison, on s’attend à ce qu’elle soit réhabilitée. Si elle récidive une fois libérée, c’est qu’elle n’a pas été réhabilitée comme il se doit », fait-il observer.
Le rejet de la cellule familiale est un autre facteur de récidive. « Si les propres membres de sa famille lui ont tourné le dos, l’individu ne sait plus quoi faire. Par conséquent, il n’a plus de repères et se tournera vers d’autres individus comme lui, voire dans certains cas, ses ex-compagnons de cellule pour avoir le soutien émotionnel recherché auprès de sa famille qui l’a rejeté en raison de ses antécédents », explique-t-il. « Malheureusement, cette culture de la récidive se perpétuera », précise le sociologue.
Le troisième facteur à prendre en compte dans la récidive est le regard de la société, poursuit Ibrahim Koodoruth. « Le premier point à considérer est le certificat de moralité. Lorsqu’une personne ayant un casier judiciaire postule un emploi, si l’employeur l’apprend, il sera souvent demandé au candidat de fournir un certificat de bonne conduite. Si ce dernier est refusé, cela peut entraîner la perte de l’emploi et la personne se retrouvera sans source de revenus. Dans ce cas, elle peut être tentée de se tourner vers des activités criminelles, telles que la drogue ou le vol, pour subvenir à ses besoins », indique-t-il.
D’ailleurs, fait-il remarquer, « souvent lorsque des individus sont libérés de prison, ils annoncent à leur entourage ou à leurs ex-codétenus qu’ils retourneront ». Selon le sociologue, cela est dû au fait qu’il est très difficile pour eux de se faire accepter à l’extérieur. « Par conséquent, ils peuvent être tentés de commettre des délits volontairement pour retourner en prison. Dans le passé, il y a eu le cas d’un délinquant qui avait commis une infraction quelques heures seulement après sa libération pour retourner en prison volontairement. »
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