Décryptage : la bataille des foules : coûteuse, mais illusoire

La campagne électorale atteint, ce dimanche, son apogée avec son unique bataille des foules entre les principaux protagonistes –  l’Alliance Morisien (MSM-ML), l’Alliance Nationale (PTr-PMSD) et le MMM. Comme à l’accoutumée, ils n’ont pas lésiné sur les moyens pour attirer la plus grosse foule dans cette bataille purement psychologique. 

Leur tactique : faire croire que la majorité des électeurs soutiennent leur parti, qui se dirige vers une victoire éclatante. Et que les adversaires sont en perte de vitesse. C’est agir sur l’imagination, comme l’écrit Gustave Le Bon dans La Psychologie des foules : « C’est sur l’imagination populaire qu’est fondée la puissance des conquérants et la force des États. C’est surtout en agissant sur elle qu’on entraîne les foules. […] Qui connaît l’art d’impressionner l’imagination des foules connaît aussi l’art de les gouverner. » Force est de constater qu’à Maurice, souvent le parti ou l’alliance qui obtient une grosse foule enregistre une grosse défaite, surtout en raison de notre système électoral First past the post.

Rien que pour cette bataille des foules, quelque Rs 30 millions seront dépensées par les trois principaux adversaires pour mobiliser moins de 30 000 personnes au total. Soit plus de Rs 1 000 par tête. L’ironie veut que ces 30 000 partisans ne représentent que 3 % des électeurs. 97 % des électeurs ne s’affichent pas ouvertement, bien qu’environ 40 % d’entre eux aient une préférence politique. Ce qui permet de déduire que la masse silencieuse représente environ 60 % des électeurs. Soit 6 électeurs sur 10, ou 565 000 sur 941 719 électeurs. 

Ce sont ces 565 000 électeurs qui feront pencher la balance, dans la discrétion la plus totale, sans fanfaronner en brandissant des pavillons, ni en portant des t-shirts aux couleurs du parti pour lequel ils vont voter. Ce sont eux qui créent la surprise lors des élections. Ce sont eux qui ont fait couler, comme le Titanic, le navire 60-0 PTr/MMM en 2014. Ce sont eux encore qui éliront le prochain gouvernement. Dans le cas présent, ils décideront s’il faut voter en bloc ou voter « koupe/transe ». Voire, s’il faut un gouvernement sorti directement des urnes ou un gouvernement constitué suite à des négociations postélectorales. Bref, ce sont eux qui dessineront l’avenir du pays. De nature, ils sont très conservateurs, ne panachant pas leurs votes pour des petits partis ou pour des indépendants. Oseront-ils déroger à cette règle, cette fois-ci, pour déclencher un wake-up call sur l’échiquier politique ?

Il est clair que la bataille des foules n’est qu’illusoire. Jusqu’ici, les leaders politiques voient dans ces rassemblements le seul moyen pour convaincre la masse silencieuse que leur parti est toujours dans la course pour la victoire. Nul ne veut prendre le risque de laisser se répandre comme une traînée de poudre la perception que son parti traîne la patte, courant ainsi le risque de démobiliser ses propres partisans, qui n’iront pas accomplir leur devoir civique. 

Mais d’année en année, les foules s’amenuisent. Les rassemblements de plus de 25 000 personnes des années 70 et 80 suscitent de la nostalgie chez nos aînés. La foule monstre du meeting de remerciements de 1982 constitue un record difficile à égaler. Car avec le live streaming sur les réseaux sociaux, les foules sont vouées à s’amaigrir comme un clou dans un très proche avenir. Si les leaders politiques s’obstinent à s’engager dans la bataille des foules, il se peut qu’ils doivent dépenser plus de Rs 5 000 par tête. Ce qui laisse présager qu’on se dirige vers la fin de ce folklore, jusqu’ici inévitable, de la campagne électorale qui bouffe beaucoup d’argent, dont une part importante provient des contributions du secteur privé. 

Pour les élections générales de 2024, à l’ère numérique, nos leaders politiques doivent impérativement opter pour un « Paradigm Shift ».