À 28 ans, David Jolicoeur, arrêté en 2018 pour meurtre, respire enfin la liberté. Ses aveux auraient été obtenus sous la torture. Il est sorti de prison après trois ans et demi et a rejoint son fils. Le Défi Plus a suivi leurs retrouvailles émouvantes…
Le jeudi 7 juillet restera un jour mémorable pour David Jolicoeur, ses proches et son équipe d’avocats. C’était son dernier réveil à la prison. Dès 9 heures, il était en route vers la cour de Pamplemousses afin de retrouver la liberté. Il a tellement attendu ce jour qu’il avait du mal à y croire. L’accusation provisoire de meurtre dont il faisait l’objet avait été rayée contre lui la semaine dernière, mais il était quand même poursuivi pour vol. Il a été libéré après avoir fourni une caution de Rs 10 000.
Dans l’enceinte de la cour de Pamplemousses, sa mère bouillait d’impatience (voir hors-texte). D’ailleurs, c’est dans ses bras que David Jolicoeur se jette aussitôt libéré. Elle ne peut retenir ses larmes. Ils prennent tous les deux la direction de son domicile à résidence St-Malo, Baie-du-Tombeau. Pendant tout le trajet, le téléphone n’arrête pas de sonner.
Arrivés sur place, nous assistons à une valse de visites. Oncles, tantes et voisins se ruent pour serrer David dans leurs bras. « Noun priye boukou pou to sorti dan sa problem la », confie l’un d’eux. Très ému, David reste figé un long moment dans la modeste pièce à vivre appuyé contre un lit en constatant le changement. « La maison a beaucoup changé, je ne me rappelle pas qu’elle était ainsi », fait-il savoir.
rencontre émouvante avec son fils Liam
Une quinzaine de minutes après, sa femme et son fils arrivent à bord d’une voiture. Le moment tant attendu arrive enfin. Un large sourire aux lèvres, ses yeux scintillent. David tient enfin son fils dans ses bras. « Mo ti trouv li zis a traver enn vit. Zordi monn resi pran li », précise-t-il. Son épouse lui avait annoncé la grande nouvelle par téléphone alors qu’il se trouvait en prison. « Kan mon aprann monn gagn enn garson, monn extra kontan », dit-il.
Au loin, son épouse Katriana se fait discrète. Elle confie que depuis son réveil dans la matinée, son fils attendait la venue de son papa. « Mo garson ti pe plore dan loto avan nou arive, li ti krwar li pa pou trouv so papa zordi », dit-elle. Les premières attentions et affections du père envers son fils se font déjà voir. Il essuie les larmes de ce dernier et tous deux s’échangent un câlin. Il embrasse également son épouse qui avoue qu’elle ne s’attendait pas à le retrouver aussi vite. « Je ne pensais pas que j’allais le retrouver de sitôt, mais avec l’aide des avocats, on a eu l’espoir qu’il allait sortir de prison », affirme Katriana. Elle révèle aussi que son absence a été très difficile, surtout quand elle a mis au monde son dernier enfant. « C’était dur, car il n’était pas présent. On venait de se marier et il a été arrêté par la CID de Terre-Rouge quelques mois après », dit-elle. Toutefois, la jeune femme dit qu’elle a puisé sa force dans le soutien de sa famille.
David Jolicoeur : « Mo ti panse mo pou mor dan prizon »
Il a connu toutes les prisons. David Jolicoeur dit avoir été transféré de pénitencier en pénitencier, les uns plus durs que les autres. Avant sa sortie, il était incarcéré à la prison de Melrose. S’il est toujours là, selon lui, c’est grâce à son codétenu avec qui il a passé toutes ces années. « Nous sommes devenus plus que des frères. Le jour de mon départ, il a fondu en larmes, car on se soutenait mutuellement », affirme David. « Lorsque je n’avais pas le moral, il m’encourageait toujours. J’avais même songé à mettre fin à mes jours, car j’étais en prison sans raison et c’est lui qui m’a aidé à remonter la pente », souligne-t-il.
Il avoue qu’il ne croyait pas qu’il allait sortir de prison un jour. « Mo ti panse mo pou mor dan prizon, mais mon ami me disait sans cesse que j’allais sortir », dit-il. Désormais, David prévoit de tourner la page. « La première chose que je vais faire, c’est de trouver un emploi. Je travaillais comme soudeur. J’ai une famille à soigner désormais et je prévois de rénover la maison de ma mère, car l’état de la maison n’est pas beau à voir », indique-t-il. Ses priorités, dit-il, profiter de sa famille et rattraper le temps perdu.
La vidéo de la honte
C’est après la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux et les dénonciations de l’équipe d’Avengers et de Bruneau Laurette que le cas de David Jolicoeur a fait la une des médias. Pour rappel, dans cette vidéo, on le voit nu, pendant que des policiers chantent, se moquent de lui et l’humilient. Selon David Jolicoeur, le jour de son arrestation, le 27 décembre 2018, il était avec des amis quand quatre policiers ont demandé à lui parler. « Zot inn ris mwa zot inn koumans britaliz mwa ek inn met mwa dan van lapolis. Mo pa mem kone pou ki rezon », indique-t-il. Il explique alors qu’il a été conduit dans un bois à Calebasses. « Zot inn tortir mwa ek enn tors elektrik. Zot inn menas mwa. Zot ti dir mwa zot pou met mwa pandi. » David Jolicoeur dit avoir été contraint à faire des aveux. Par la suite, il a été conduit sur les lieux du crime. Il dit aussi avoir informé la cour avoir été torturé et ne pas avoir pu recevoir la visite de ses proches avant longtemps.
Cette vidéo a eu l’effet d’une bombe. Pour rappel, quatre policiers de la CID de Terre-Rouge ont été arrêtés, puis libérés sous caution. David Jolicoeur a finalement été libéré le 7 juillet.
Les avocats réclament une compensation
Lors d’une conférence de presse tenue le jeudi 7 juillet, les avocats de David Jolicoeur, Me Sanjeev Teeluckdharry, Me Anoup Goodary, Me Akil Bissessur et Me Rouben Mooroongapillay ont expliqué qu’ils vont demander l’abandon des charges de vol qui pèsent sur leur client. L’affaire sera débattue en cour de Pamplemousses le 13 juillet prochain.
Me Sanjeev Teeluckdharry rappelle que c’est le devoir des avocats de se battre contre les injustices. Il rappelle qu’il y a d’autres cas de brutalités policières sur lesquelles ils travaillent. « Nous réclamons une commission d’enquête pour tous ces cas. Il faut que les policiers soient plus responsables. Que se passera-t-il pour ces victimes de brutalité policière ? Leurs familles et elles méritent une compensation. Il faut que les autorités encouragent les victimes de brutalité policière et de torture à aller de l’avant », indique-t-il.
Les larmes d’une mère courage
S’il y a une femme qu’il faudrait surtout saluer dans ce combat, c’est la mère de David Jolicoeur, Antoinette. Maman de six enfants, elle n’a pas cessé de clamer l’innocence de son fils et de se battre aux côtés des avocats pour réclamer sa liberté. Aujourd’hui enfin, elle respire la liberté avec lui, car pendant tout ce temps, elle se sentait également en prison. « Cependant, cette douleur que j’ai eu au cœur ne s’estompe pas. Pendant trois ans et demi, je n’ai pas mangé un repas complet. J’ai pris tous les jours un peu de thé, un bout de pain ou une brioche », confie-t-elle.
Aster mo kapav mor, parksi mo garson inn retourne… "
Elle revient sur le jour de l’arrestation de son fils. « Mo pa ti la sa zour la. Mo ti al travay. Monn gagn enn lapel pou dir mwa linn gagn trape. Depi lor sime zot inn koumans bat li e so savat ti res lor sime », relate-t-elle. Antoinette a essayé alors de savoir dans quel poste de police son fils était afin de lui rendre visite, mais en vain. « Quand je l’ai vu le lendemain, il a seulement eu le temps de me dire : ‘Ma, rod enn avoka pou mwa. Zot pe met enn sarz ki mo pa kone. Je ne savais pas quoi faire, n’ayant pas les moyens de payer un avocat », relate Antoinette. Elle sollicite alors l’aide de ses proches, dont sa sœur pour en obtenir un. « L’avocat a alors expliqué que lorsqu’il a rendu visite à mon fils, ce dernier portait beaucoup de blessures », dit-elle.
Âgée de 55 ans, Antoinette travaille comme aide-maçon depuis des années. Auparavant, elle était bonne à tout faire, mais elle explique qu’elle gagne davantage en travaillant sur les chantiers. Depuis l’arrestation de son fils, c’est elle qui a pris en charge tous les frais de la famille. « Son épouse était enceinte de quatre mois et elle ne pouvait pas travailler. Sa famille l’aidait un peu et moi je devais aussi veiller sur elle. Je devais aussi faire les allers-retours à la prison et trouver de l’argent pour apporter un petit quelque chose à mon fils », ajoute Antoinette. En ce moment, elle travaille à Trou-aux-Biches et avoue que les dettes se sont accumulées. « Mem mo lakaz ti pou sezi », relate la mère de famille. Cette dernière travaille donc d’arrache-pied pour honorer toutes ses dépenses.
Voir son fils sur ces vidéos a été un moment de torture. « Li ti touni kouma mo ti met li omond, bann la pe sante derier li. Ler zot tap li, mo tann li kriye, mo rekonet so lavwa. Mo kriye : ’Bondie ki mo bizin fer’. Monn rod led. Lekip Bruneau Laurette inn vini inn ed mwa. Zame mo tia krwar ena dimounn pou ed mwa koumsa. Mo pa kone kouma pou remersie zot », indique notre interlocutrice. Son fils, dit-elle, lui avait caché les tortures qu’il avait subies. « Linn dir mwa ma, mo mem lor sa video, me mo pa ti pe le dir twa. Mo kontinie priye pou la zistis », dit-elle.
Aujourd’hui, malgré sa joie, elle ne pas peut oublier les souffrances de son fils. « Aster mo kapav mor, parksi mo garson inn retourne… »
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