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Commission de pourvoi en grâce : l’annulation d’une peine de prison de six mois ravive la polémique

chateau reduit Un dossier est ouvert après qu’un condamné a sollicité la Commission ou le Président directement.
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Un jeune condamné à six mois de prison pour avoir commandé des substances illicites en ligne a été gracié en janvier dernier. De quoi ranimer les débats autour des critères utilisés par la Commission de pourvoi en grâce.

Une fois n’est pas coutume, les décisions de la commission de pourvoi en grâce font l’objet de critiques. Le 28 janvier dernier, Mohamed Siddick Hashim Maudarbocus, 29 ans, obtient la grâce présidentielle pour une sentence de six mois de prison et Rs 50 000 d’amende. L’affaire fait polémique car le jeune homme avait été condamné pour avoir acheté de la drogue synthétique en ligne et se l’être fait livrer par la poste.

L’ancien avocat Dev Hurnam dénonce l’affaire depuis quelques jours, soulignant que la demande de grâce présidentielle a été faite le 9 janvier et accordée à vitesse éclair le 28 du même mois. Est-ce normal quand il s’agit d’un délit de drogue ? Nous avons tenté de joindre le président de la Commission, sir Victor Glover, mardi 22 et mercredi 23 mai, pour des explications, mais en vain. Rappelons toutefois que ce dernier a déjà déclaré dans la presse qu’il estimait n’avoir pas à donner d’explications sur les décisions de la Commission. Le Président de la République par intérim, Barlen Vyapoory, nous a demandé de prendre rendez-vous pour en discuter. Nous attendons encore la confirmation de sa secrétaire.

Mon fils ne savait pas que la classification du produit était différente à Maurice.

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Barlen Vyapoory.

Le Dr Siddick Maudarbocus a toutefois bien voulu raconter au Défi Quotidien dans quelles circonstances son fils a été gracié. « Le dossier a été mal ficelé, affirme le médecin, ce ne sont même pas les avocats qui ont sollicité la Commission, je l’ai fait à leur insu. » Il nie toutefois que le dossier de son fils a été « expédié » : il explique qu’il a écrit une première fois à la Commission en septembre 2018 avant de lui écrire à nouveau le 9 janvier pour apporter d’autres précisions. « C’est faux de dire que cela a été fait à la va-vite », explique-t-il.

Le Dr Maudarbocus explique les arguments qu’il a mis en avant dans sa requête écrite à la Commission de pourvoi en grâce. « J’ai dit que ce que mon fils a acheté en ligne était légale en Angleterre, on en vend dans les tabagies du coin. On appelle cela les legal highs et mon fils ne savait tout simplement pas que la classification du produit était différente à Maurice. »

Le délit remonte à 2015, mais depuis 2016, ces « legal highs », des substances modifiées qui ont les mêmes effets que les drogues dures mais ne sont pas classifiées comme tel, sont officiellement illégaux.

C’est sur la base de ces arguments que la grâce a été accordée à son fils, selon Siddick Maudarbocus. Toutefois, il n'en est pas sûr, vu que la lettre de la Commission de pourvoi en grâce confirmant le « full pardon » ne donne aucune explication. Depuis, son fils est retourné en Angleterre pour poursuivre ses études en ingénierie.


Cassam Uteem, ex-Président de la République : «Chaque cas est considéré selon ses mérites»

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L'ancien Président Cassam Uteem.

Si l’actuel chef de l’État par intérim se montre réticent à parler du fonctionnement de la Commission de pourvoi en grâce, Cassam Uteem, président de la République de 1992 à 2002, a bien voulu expliquer comment se passaient les choses à son époque. « Je suppose que le fonctionnement doit encore être plus ou moins le même, explique-t-il, la Commission peut gracier un condamné, ou alors réduire sa peine, sinon le blanchir pour qu’il puisse obtenir un certificat de moralité. » Ce sont les trois principaux cas de figure que traite le Commission.

Cassam Uteem explique que la Commission se réunit sur une base régulière, normalement une fois par mois, pour traiter les dossiers. Un dossier est ouvert après qu’un condamné ait sollicité la Commission ou le Président directement. Le plus souvent, ce sont des avoués qui rédigent la requête. « Il n’y a pas de conditions préalables applicables à tous les cas, précise-t-il, chaque cas est considéré selon ses mérites. Les commissaires décident selon leur sagesse. »

Selon l’ex-président de la République, les dossiers sont préparés par le secrétaire de la Commission. Le dossier peut contenir la lettre initiale envoyée par la personne condamnée, les recommandations faites par des personnalités ou d’autres organisations, ainsi que le verdict des Cours de justice. Une évaluation psychologique fait-elle partie de ce dossier ? Cassam Uteem hésite : « En principe, la Commission doit être en présence de tous les faits, mais je ne sais pas si cela en fait partie. »

L’ancien Président précise que le nombre de requêtes que traitait la Commission était très importante, à tel point que tous les dossiers ne pouvaient être considérés au cours du mois. « Je pense qu’on pouvait recevoir une trentaine de dossiers par mois, mais on en traitait plus de 60 à la fois avec les retards pris, se rappelle-t-il, parfois les dossiers étaient incomplets et il fallait demander des informations supplémentaires. C’est pourquoi des détenus adressaient une deuxième lettre pour savoir pourquoi ils n’avaient pas encore obtenu de réponse. »

Toutefois, la presse a rapporté qu’actuellement, c’est au moins une centaine de cas qui sont étudiés mensuellement lors de réunions bimensuelles.


Qui siège sur la Commission ?

La Commission de pourvoi en grâce a été critiquée pour son manque de communication et de transparence depuis quelque temps. On constate, qu’il n’y a que très peu d’efforts fournis pour rendre son travail visible au maximum au public : le site web de la Présidence ne donne pas la composition de la Commission et il n’y a aucune trace de ses dépenses dans les estimations budgétaires 2018/2019 du bureau du Président de la République.
On en connaît toutefois la composition :

  • Sir Victor Glover : l’ancien chef juge préside la Commission. Son contrat expire le 15 avril 2020
  • Geeantee Toory : cette activiste du Mouvement socialiste militant (MSM) est nommée en août 2018. Auparavant, elle a présidé la Commission nationale du sport féminin (CNSF). Son contrat expire le 4 juillet 2020.
  • Shadmeenee Mootien : avocate, son contrat expire le 4 juillet 2020.
  • Yuvraj Thacoor : un liquidateur, son contrat expire le 4 juillet 2020.

Ce que dit la Constitution sur la Commission de pourvoi en grâce

C’est l’article 75 de la Constitution qui parle de la Commission de pourvoi en grâce (‘Constitution on the Prerogative of Mercy’ en anglais). Cet article donne au président de la République le pouvoir de « grant to any person convicted of any offence a pardon, either free or subject to lawful conditions », mais aussi de réduire ou amoindrir une condamnation.

Toutefois, le Président ne prend pas de telles décisions seul. Il est guidé par la Commission de pourvoi en grâce. Il s’agit d’une entité qui doit avoir un président et un minimum de deux autres membres qui sont nommés par le Président « acting in his own deliberate judgement ». Ce qui veut dire que le Président n’a pas à consulter le Premier ministre, ni qui que ce soit d’autre sur cette Commission. La Constitution fait également l’impasse sur le profil des personnes à être nommées. Elles n’ont pas à avoir une qualification particulière.

Le Président ne peut pas refuser d’appliquer une décision de la Commission. Il peut tout au plus lui demander de « reconsider any advice tendered by it ». Une fois que la Commission a étudié les arguments du Président, elle soumet une nouvelle recommandation que le chef de l’État se doit alors de respecter, même si ses arguments ont été rejetés.


Me Satyajit Boolell, Directeur des poursuites publiques : «On n’est pas tout le temps informé des décisions…»

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Le bureau du DPP peut en théorie faire appel d'une décision de la Commission de pourvoi en grâce.

En théorie, le bureau du Directeur des poursuites publique (DPP), peut demander une révision judiciaire d’une décision de la Commission de pourvoi en grâce. Sauf que la démarche devient compliquée quand le DPP lui-même n’est pas tenu au courant des personnes qui sont graciées !

Me Satyajit Boolell, le DPP, explique : « C’est vrai que nous pouvons faire appel, mais parfois nous ne sommes même pas informés. Il faudrait nous faire savoir. » Selon le DPP, parfois, l’information est transmise à la police et c’est à travers elle que l’information est communiquée à son bureau. « Cela arrive un peu trop tard », regrette Satyajit Boolell.

Si notre interlocuteur reconnaît que le Président de la République est réduit à un « rubber stamp », il souligne toutefois que les membres de la commission sont liés par certains devoirs. « Le fonctionnement dépend grandement de la relation entre le Président et la commission, explique-t-il, mais tout cela est encadré par le devoir de maintenir l’état de droit. Le principe de la séparation des pouvoirs doit être maintenu. La Commission existe pour corriger les quelques anomalies qui peuvent parfois arriver. »

Ni la Commission, ni le Président ne peuvent « prendre à contrepied » l’état de droit, assure Satyajit Boolell. Des amendements aux lois qui changent la sévérité des peines ou l’état de santé d’un condamné peuvent être des éléments à prendre en considération pour revoir une peine, ajoute le DPP.


Les cas qui ont fait polémique

  • Le cas de Hashim Maudarbocus n’est pas celui qui a fait le plus de bruit récemment.
  • Ravin Bappoo, le meurtrier de Sandhya Bappoo, son épouse, a obtenu une remise de peine de 15 ans en décembre dernier alors qu’il avait été condamné à 40 ans de prison en 2008. La victime était une femme battue. Ravin Bappoo sortira de prison en 2023 plutôt qu’en 2031.
  • Il y a également le cas de Christopher Perrine en octobre 2018. Ce dernier est un multirécidiviste, impliqué dans des cas de vol avec violence et de possession d’héroïne et d’un viol sur une touriste française de 16 ans en 2009. Gracié, à peine sorti de prison, il a commis un vol avec violence.

Ashitah Aujayeb-Rogbeer, universitaire : «Les procédures ne sont pas bien établies»

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Ashitah Aujayeb-Rogbeer.

Faut-il mieux encadrer la Commission de pourvoi en grâce pour éviter que certaines condamnations, notamment les délits de trafic de drogue ou de violence sexuelle, ne puissent bénéficier de la grâce présidentielle ? Tout le monde n’est pas d’accord dans le monde universitaire.

Ashitah Aujayeb-Rogbeer, chargée de cours en droit à l’Université de Maurice (UoM) explique que le principe même de la Commission de pourvoi en grâce est étranger à la notion de limites. « Le rôle de la Commission ne peut être plus précis dans la loi, avance-t-elle, les cas ne se ressemblent pas et la justice comme la grâce présidentielle doivent être considérées individuellement. »

Toutefois, l’universitaire admet qu’il y a eu quelques cas récents où les motivations de la Commission sont plus difficiles à comprendre. « Dans la cas de Perrine ou Bappoo, on a du mal à comprendre, avoue-t-elle, on nous dit que la bonne conduite en prison est prise en considération, mais c’est quoi au juste la bonne conduite ? Personne ne sait vraiment. » Elle se demande également s’il faut laisser à l’administration pénitentiaire d’en être le seul juge.

Cela aiderait, selon elle, si la Commission faisait preuve d’un peu plus d’ouverture ou de transparence. « Certainement, les procédures ne sont pas bien établies, explique-t-elle, c’est vrai qu’on peut avoir l’impression que le judiciaire décide d’une chose et qu’une commission vient la renverser. Mais en fait, ils ne contestent pas le jugement, ils ne font que revoir la sentence. »

Komal Boodhun, criminologue également chargée de cours à l’UoM, estime également que plus de transparence jouerait en faveur de la Commission. « Ce n’est pas parce qu’on n’a pas à s’expliquer qu’on ne doit pas le faire, explique-t-elle, les gens seraient libres de se faire leur propre opinion. Mais en l’absence de ce principe et de procédures, les gens penseront forcément que c’est le nom ou l’argent qui joue. » Ce qui donnerait une dangereuse impression de justice à deux vitesses et ébranlerait la confiance dans l’équité de la justice.

Parmi les procédures qui devraient exister noir sur blanc, selon Komal Boodhun, devraient figurer les responsabilités de tout un chacun. « Il est grand temps de savoir à chaque étape qui est responsable de quoi, ajoute-t-elle, on a entendu dans le passé des membres de la Commission dire qu’ils ne sont pas responsables et quel quelqu'un d'autre a mal fait son rapport. Ce n’est pas possible ! »

Selon la criminologue, il faut aussi un rapport complet d’un psychologue pour déterminer si le détenu a fait des progrès et qu’il ne représente plus de risques pour la société. Cela éviterait de libérer des détenus qui présentent un danger pour la société selon elle. 

 

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