Plusieurs secteurs recrutent actuellement. Ce qui ne peut qu’être positif quand on sait que le pays compte plus de 50 000 chômeurs. Cependant, pour certains postes, le candidat idéal se fait rare. Comment expliquer ce paradoxe ? Quelles sont les autres tendances notées sur le marché de l’emploi ? Avis de trois experts…
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2020 vs 2021 : hausse dans le nombre d’offres d’emploi
Thierry Goder, Chief Executive Officer chez Alentaris :
Les offres d’emploi avaient drastiquement baissé l’an dernier. Comparativement à 2020, il y a une augmentation sensible des requêtes pour employer des gens. On recense environ 140 demandes entre juillet et la mi-octobre comparativement à 70 demandes au cours de la même période l’an dernier. C’est dû au fait qu’en dépit du confinement, un bon nombre d’entreprises n’ont pas cessé de fonctionner. D’ailleurs, même durant le confinement, il y a eu des offres d’emploi et des entretiens d’embauche. »
Aurélie Marie - Head of Recruitment & Communication chez Myjob.mu :
Pour le troisième trimestre de 2021, nous enregistrons une hausse de 47 % des offres d’emploi disponibles comparativement à la même période en 2021. Suite aux mesures budgétaires qui ont instauré un climat de confiance, la reprise se fait ressentir cette année en termes de recrutement. L’ouverture des frontières vient conforter cette situation car nous comptons en ce début de mois d’octobre plus de 1 000 offres disponibles. »
Adilla Diouman-Mosafeer, Managing Director de Talent Lab :
Le monde du travail commence petit à petit à reprendre des couleurs. Nous pouvons observer une légère augmentation de demande d’emploi dans divers secteurs. En début d’année, chez Talent Lab, nous n’avions qu’une ou deux ouvertures par mois, alors qu’aujourd’hui sommes à recruter pour environ trois à cinq postes en une semaine. A ce jour, plus de 200 postes sont vacants dans le secteur informatique et plus de 100 postes dans le secteur touristique, la comptabilité, et le marketing. Il faut savoir qu’il y a quatre à cinq mois de cela, les hôtels ne recrutaient presque pas et licenciaient même certains de leurs employés pour faute de finance. Avec la réouverture des frontières, on peut dire que le secteur touristique peut enfin respirer. »
Ces postes qui tardent à trouver preneurs
- Aurélie Marie : « Les postes en informatique (développeur web par exemple) restent les plus difficiles à remplir. Pour ce qui est des offres dans les autres secteurs, la demande suit relativement bien l’offre. Ces postes trouvent preneurs dans un délai de quatre semaines en moyenne, le temps de finaliser la procédure de recrutement. »
- Adilla Diouman-Mosafeer : « Dans le secteur informatique, les postes ‘mid level to senior’ prennent du temps à recruter. On retrouve aussi ces postes : Copywriter, Art Director, Junior Quality consultant, Customer Service Assistant, Commercial Executive, Client Accountant, Accounts Executive, Business Facilitation Officer, Admin Clerk Admin Assistant, Nanny. A titre indicatif, 3 postes vacants sur 10 nous posent toujours des challenges par faute d’expertise sur le marché. »
- Thierry Goder : « Certains métiers liés à l’informatique (développeur de java, développeur web) sont devenus des denrées rares. A tel point que certaines compagnies ont recours à des ‘freelancers’. Par ailleurs, les métiers manuels (plombiers, électriciens) ou encore au niveau de la maintenance, peinent à trouver preneurs. Un bon nombre d’entre eux ont ouvert leur propre compagnie. Ce qui fait qu’on peine davantage à retrouver ces compétences sur le marché. »
Le paradoxe offres d’emploi vs chômage
- Adilla Diouman-Mosafeer : « Nous ne pouvons pas définir ceux en attente d’un job comme des chômeurs. Le chômage concerne l’absence d’offres d’emploi. Or, tel n’est pas le cas. Nous faisons face plutôt à une disparité entre l’offre et la demande. L’évolution socio-économique d’un pays passe par cette phase qui résulte dans l’attente d’une qualité de vie, ou d’un certain niveau en termes d’emploi et de rémunération. Beaucoup de nos jeunes, encore sous le patronage de leurs parents, peuvent se permettre d’attendre le job idéal pour se lancer. Nous ne sommes plus dans le contexte où un job de départ est accepté avec tout honneur et est considéré comme un premier pas. Aujourd’hui, le premier job doit offrir tout de suite un confort matériel et satisfaire les besoins du salarié. Nous sommes passés d’une philosophie de patience pour bâtir une carrière pour nous retrouver avec une culture d’arriviste où toute gratification doit être instantanée. Par ailleurs, l’inadéquation entre les besoins des entreprises et les compétences des chercheurs d’emploi explique une partie du problème. »
- Aurélie Marie : « Avant la crise sanitaire et bien avant la phase de sortie de crise dans laquelle nous nous trouvons, le niveau du chômage était inquiétant. Plus de 36 000 candidats recherchaient déjà de l’emploi dont une grande partie dans la catégorie des jeunes de moins de 25 ans. Le paradoxe se tient sur l’inadéquation entre l’offre et la demande tout simplement et la réorientation des chômeurs vers les secteurs porteurs. »
- Thierry Goder : « Nous avons contacté vingt personnes pour un métier spécifique. Dix ont accepté de venir à un entretien d’embauche. Les autres ont décliné. Au final, que deux personnes sont venues. Le pays est peut-être victime de son succès. Quoi qu’il en soit, bon nombre d’entreprises ont cette impression que les gens ne veulent pas travailler. Pour quelles raisons ? Je ne saurais le dire exactement. Or, les entreprises doivent continuer à tourner. Elles n’auront pas le choix que de recruter des compétences à l’étranger pour des métiers qui ne trouvent pas preneurs. Ceci dit, la crise de la Covid-19 a valorisé le sens du travail. Beaucoup de Mauriciens qui faisaient des ‘white collar jobs’ se sont retrouvés au chômage. Ayant besoin d’un emploi, ils étaient disposés à faire n’importe quel métier. Vous n’imaginez pas les types de profil que nous avons reçu pour des postes de livreur de camion. Les Mauriciens recherchent un emploi sûr. D’ailleurs, beaucoup de gens dans le secteur privé démissionnent pour un salaire moindre dans le public. A titre d’exemple, des professionnels de la comptabilité deviennent enseignants au secondaire. Pour eux, c’est une possibilité de partager leur passion tout en ayant la sécurité d’emploi. C’est tout à fait compréhensible surtout si la personne a connu le traumatisme du licenciement. »
Ces métiers que les Mauriciens ne veulent plus faire
- Aurélie Marie : « Les métiers manuels en général… Il faut savoir que certains candidats se tiennent disponibles pour LE job idéal qu’ils espèrent décrocher. Or, on le sait, un candidat en poste (qu’importe son poste) a plus de chance d’avoir une autre offre qu’un candidat chômeur. Les entreprises privilégient les candidats en activité que ceux qui ont un trou de plusieurs mois voire plusieurs années sur leur CV. N’oublions pas que même si on n’exerce pas le métier pour lequel on est formé, toute expérience en entreprise est enrichissante en termes de qualités professionnelles et nouvelles aptitudes acquises. »
- Adilla Diouman-Mosafeer : « Presque tous les métiers exigeant des heures non fixes. Un rapide coup d’œil autour de nous est révélateur à plus d’un titre. Les restaurants ont presque tous des serveurs non-mauriciens, certains allant jusqu’à un nombre de 100 %. Les commerces commencent à suivre la même tendance. Les Mauriciens semblent de plus en plus réticents à prendre un emploi avec des heures de travail étendues ou encore avec des rotations. En ce qui concerne la manufacture et la construction, ce n’est plus une tendance mais une réalité bien assise. Les Mauriciens ne s’intéressent plus à ces postes. Notre système d’éducation permet aujourd’hui à beaucoup d’entamer des études supérieures ; par correspondance, à travers les nombreuses institutions tertiaires sur l’île. A l’issue de leur parcours académiques, ils pensent à un départ canon dans des postes clés. Ils préfèrent rester sans emplois que prendre un job moins gratifiant à leurs yeux. La démocratisation des institutions tertiaires a aussi causé la stigmatisation de certains métiers. C’est dommage ! Nous avons des jeunes qui préfèrent rester à la maison pendant des années, car ils veulent se lancer dans une carrière où malheureusement il n’y aura aucune ouverture. »
- Thierry Goder : « C’est un fait ! Certains métiers, touchant à la manufacture, à la production, au textile, à la logistique, n’attirent plus les Mauriciens. »
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