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Cadress Rungen - Groupe A de Cassis: «J’invite le ministre de la Santé à venir marcher avec nous la nuit…»

Cette année, le Groupe A de Cassis célèbre ses 30 années d’existence. L’occasion pour nous de revenir sur le parcours de cette organisation, mais aussi d’aborder les critiques émises contre les ONG avec Cadress Rungen, le fondateur et aujourd’hui responsable de formation. Comment célèbre-t-on 30 années d’existence d’une ONG ? On n’a pas célébré, c’était une commémoration. Le Groupe A de Cassis a été fondé pour s’arrêter à un moment donné. Nous étions assez naïfs pour croire qu’après quelques années de prévention, de traitement et de réhabilitation, il n’y aurait plus de drogués. Êtes-vous satisfait du parcours de l’association ? Son combat est lié à ma vie. C’est un chemin que j’ai parcouru avec toute une équipe. Ma satisfaction n’est cependant pas complète. Je suis heureux d’avoir vu des parents retrouver le sourire et des jeunes sortir de l’enfer de la drogue, mais plusieurs en sont morts. D’autres parents pleurent et souffrent toujours. Cela me rend triste. Un sentiment mitigé m’anime après 30 ans. Le cheminement a-t-il été difficile ? Très difficile… pas par rapport à l’aide qu’on peut apporter à un toxicomane – cela, on le fait avec amour, affection et compassion –, mais par le fait que les autorités concernées nous considèrent comme des adversaires, au lieu de voir en nous des partenaires… …comme le ministre Gayan qui a violemment critiqué les ONG ? Absolument. Les ONG sont les partenaires de l’État, peu importe le gouvernement en place. Avez-vous invité le ministre de la Santé à vos commémorations ? Non. Nous n’avons invité aucune personnalité. Nous avons voulu commémorer cet événement dans la simplicité, mais la ministre Aurore Perraud nous a rendu visite. Elle est venue de son propre chef et a montré un intérêt pour le projet CAZADO. Anil Gayan estime que les ONG, surtout celles qui militent contre la toxicomanie, n’ont pas apporté de résultats. Est-ce le cas ? Les ONG, et là je parle des véritables ONG – elles se reconnaîtront –, ont été à la base des traitements et des programmes de réhabilitation, bien avant que l’État ne commence à le faire. Ce n’est pas juste de dire que les ONG n’ont pas apporté de résultats. L’État aura toujours besoin des ONG. Et si les ONG n’existaient pas ? Essayons d’imaginer la lutte contre la toxicomanie à Maurice sans les ONG... Aujourd’hui, nous sommes encore à crier pour dénoncer le problème. Qui sont ceux qui font de la prévention après 16 heures ? Qui sont ceux qui se rendent dans les quartiers où il y a des problèmes ? Ce sont toujours les ONG ! On le fait le samedi soir, le dimanche ou pendant la journée. Cela, sans rémunération. J’invite le ministre de la Santé à venir voir le travail que nous faisons sur le terrain, à passer un week-end avec nous, à marcher avec nous la nuit pour voir où dorment certaines personnes. [blockquote] «Il est trop facile de se procurer de la drogue de synthèse. La dose coûte, parfois, Rs 50.» [/blockquote] N’a-t-il pas raison quand il parle de la nécessité de transparence des ONG ? Tout à fait ! Je parle au nom du Groupe A de Cassis. Chaque mois, nous envoyons un relevé de nos comptes au ministère de la Santé. Nous ne recevons que Rs 10 000 par mois pour notre programme de prévention et une allocation de Rs 20 000 pour le programme de réduction des risques. Mais l’emplacement de Lacaz A et le travail que nous abattons coûtent. Tous les jours, nous sommes dans les quartiers pour accompagner les jeunes. Nous n’avons que trois employés permanents. Ils ne touchent pas de salaire, mais plutôt une allocation. Les aides que nous recevons sont majoritairement destinées à nos bénéficiaires. Des personnes de bonne volonté nous soutiennent. Cela fait que nous pouvons offrir à une quarantaine de personnes un petit-déjeuner chaque jour et une collation le soir. Peut-on se fier à l’audit des comptes des ONG ? Oui, en ce qui nous concerne. Nous fonctionnons avec un petit budget, c’est ce qui fait notre force. Je m’occupe de la formation dans le groupe, mais je ne suis pas rémunéré. Je ne reçois même pas d’allocation pour le transport. Il en est ainsi pour tous nos volontaires. Les autorités peuvent vérifier nos comptes n’importe quand. J’aime qu’on vérifie notre cahier de présence, car nous commençons le boulot à une heure précise, mais nous n’avons pas d’heure pour terminer. Vous n’allez pas nier que certaines ONG sont des business, lucratifs d’ailleurs, d’où le fait que beaucoup restent des affaires familiales ? Au Groupe A de Cassis aussi, nous sommes une « famille ». Nous considérons tous ceux qui viennent vers nous comme les membres de notre famille. Mon épouse a quitté son emploi dans le secteur touristique pour travailler à Lacaz A. Vous imaginez le changement d’univers ? Mon fils Dean s’est engagé de lui-même. Il est bénévole, comme quelques-uns de ses amis. Mon autre fils Sean donne des leçons gratuitement. Dans ma famille, seule mon épouse Ragini est employée à Lacaz A. Le concept « affaire familiale » ne s’applique pas au groupe A de Cassis. Je précise que l’association ne se résume pas aux Rungen. C’est toute une famille et des collaborateurs, avec un conseil d’administration, qui bénéficie de l’aide du père Gérard Mongelard. En finançant toutes sortes d’ONG à des fins électoralistes, les politiques ne contribuent-ils pas aussi à cette situation ? Nous avons toujours gardé notre indépendance vis-à-vis des politiciens. Avant le Trust Fund for Vulnerable Groups, il n’y avait que trois ou quatre ONG de cette ampleur. Depuis que le Trust Fund a commencé à donner des financements et qu’il y a eu le Corporate Social Responsibility (CSR), de nombreuses ONG ont émergé. Concrètement, comment s’assurer d’avoir « value for money » avec des ONG ? Il faut être crédible. C’est primordial. Il y a aussi le parcours. Le nôtre est empreint de confiance avec les autorités, l’Église catholique et divers chefs religieux. L’évêque de Port-Louis nous consulte, des fois, sur des sujets délicats. Nous apportons notre éclairage. Il ne rate jamais une occasion de parler du VIH/Sida et de la toxicomanie dans ses homélies. Comment réagissez-vous quand vous entendez que des officiers de la prison font entrer des seringues et de la drogue à l’intention des détenus ? Je suis très peiné. Un officier de la prison est quelqu’un à qui on fait confiance. Son travail ne consiste plus qu’à faire entrer et sortir un détenu de sa cellule. Il est aussi un père, un travailleur social, un accompagnateur, qui aide à la réhabilitation, qui est le deuxième objectif de la prison. Les ONG sont confrontées au phénomène des drogues de synthèse. Comment résoudre ce nouveau problème ? Ce type de drogues est venu compliquer une situation qui n’était déjà pas simple. Pour les opiacés, nous avons des traitements. Pour les drogues de synthèse, il n’y en a pas. La situation est alarmante. Il est trop facile de se procurer de la drogue de synthèse. La dose coûte, parfois, Rs 50. Le problème touche toutes les communautés et tous les milieux, en ville comme en région rurale. Il faut une politique nationale de prévention et que tous les partenaires engagés dans la lutte contre la toxicomanie s’assoient à une même table pour discuter des mesures à prendre pour combattre ce fléau.
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