L’accent socialiste délibérément privilégié par le ministre des Finances dans le Budget 2024-25 tend à réduire les inégalités. Cette philosophie, qui devrait avoir une influence positive sur ceux au bas de l’échelle, pèsera cependant sur les dépenses de l’État.
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Le ministre des Finances défend son Budget 2024-25 qui, selon lui, s’inscrit dans la philosophie du gouvernement. Renganaden Padayachy souligne que ce gouvernement n’a eu de cesse de faire de la réduction des inégalités une lutte quotidienne. « Partout où les inégalités persistent, nous devons les combattre avec force, conviction et redistribution », a-t-il affirmé.
Plusieurs mesures ont été annoncées pour protéger les plus vulnérables de la société. Celles-ci comprend, entre autres, le Revenu Minimum Garanti de Rs 20 000, l’augmentation de la pension à Rs 14 000 et des allocations pour ceux au bas de l’échelle.
L’économiste Ibrahim Malleck fait observer que les précédents budgets du ministre Padayachy ont mis l’accent sur la protection sociale et la réduction des inégalités socioéconomiques. Pour lui, dans une année électorale, il est évident que cette tendance soit renforcée. Le modèle économique mauricien reposerait sur un État-providence solide qui a joué un rôle positif dans les stratégies de croissance. « Toute réduction des inégalités socioéconomiques doit être saluée, et une économie en croissance doit se donner la capacité de tirer vers le haut ceux qui se trouvent au bas de l’échelle. En tant que tel, le gouvernement, dans la lignée de ses budgets précédents, n’avait pas d’autre choix que de proposer les mesures actuelles », avance Ibrahim Malleck.
L’augmentation du revenu minimum garanti de même que les ajustements des prestations de la pension universelle sont vus par l’économiste Bhavish Jugurnath, comme un signal fort aux personnes à revenu le plus bas. Du côté de Maurice Stratégie, on anticipe que les mesures sociales annoncées, notamment l’augmentation des pensions de base, de la CSG pour les enfants, de l’allocation scolaire, de l’allocation de maternité et de la CSG sur les revenus, devraient contribuer à hauteur de 1 point de pourcentage au Produit Intérieur Brut (PIB) du pays.
Des mesures au prix fort
Avec le Budget 2024-25, les dépenses récurrentes de l’État devraient augmenter de 13,9 %, passant de Rs 184,4 milliards en 2023/24 à Rs 210,1 milliards en 2024/25. La raison principale de cette hausse, fait-on comprendre chez Maurice Stratégie, est l’augmentation des prestations sociales (Rs 14,1 milliards), de la rémunération des employés (Rs 3,1 milliards) et des subventions (Rs 2 milliards). Quant à la croissance substantielle des dépenses de sécurité sociale, elle devrait bondir de 163,1 % pour atteindre environ Rs 77,6 milliards en 2024/25, par rapport aux Rs 29,5 milliards en 2017/18.
La question du financement des mesures sociales se veut légitime alors que la dette publique du pays en mars dernier était supérieure à Rs 500 milliards. La dette, tant intérieure qu’extérieure, reste élevée par rapport aux Rs 321 milliards enregistrées en 2019. En 2025, elle pourrait atteindre Rs 567 milliards.
Bhavish Jugurnath soutient que toutes ces mesures « généreuses » sont accompagnées d’une seule nouvelle taxe, appelée le prélèvement de responsabilité climatique des entreprises, s’élevant à 2 % des bénéfices des entreprises. « Bien que cela puisse être abordable à court terme, le fardeau croissant de l’État-providence est une grande préoccupation », prévient-il.
Cependant, la croissance de l’inflation mérite réflexion également avec l’introduction des mesures sociales. Bhavish Jugurnath est d’avis que le Budget est susceptible de relancer la croissance à un degré acceptable, « à condition que la mise en œuvre réelle des mesures annoncées suive les intentions. C’est là que résidera le véritable test ».
La philosophie socialiste et notamment le système actuel de retraite est également un sujet d’interrogations eu égard de sa viabilité. Ibrahim Malleck souligne que plusieurs voix se sont élevées parmi les professionnels sur la viabilité de la CSG dans le cadre du modèle de la Basic Retirement Pension (BRP). « Il convient de s’en préoccuper rapidement », dit-il.
Productivité
Plusieurs analystes ont tiré la sonnette d’alarme concernant la tendance inflationniste, la dépréciation constante de la roupie et la population vieillissante. Autant de défis qui, selon certains, exercent une pression sur Maurice et qui entraîneraient des difficultés à moyen terme sans ajustements structurels.
Ibrahim Malleck déplore d’ailleurs le fait que l’accent n’a pas été mis sur l’augmentation de la productivité. Ceci pourrait contraindre une révision de l’État-providence. « Nous devons changer d’état d’esprit et veiller à ce que nos capacités de production et d’investissement continuent à permettre le fonctionnement d’un État-providence viable », recommande l’économiste. Près de 150 000 personnes devraient atteindre l’âge de la retraite d’ici 2030, représentant plus de 26 % de la population.
Par ailleurs, le nouveau seuil fixé pour le revenu minimum garanti devrait influencer les entreprises. Aucun employé ne touchera un salaire inférieur à Rs 20 000. Faut-il s’attendre à un boost de la productivité ? Areff Salauroo, président de l’Association of Human Resource Professionals of Mauritius, explique que la révision du salaire minimum garanti va pousser vers le haut tous les anciens salariés. Chaque entreprise, dit-il, va revoir la relativité des salaires. « Money is not a motivator. At best, it is a demotivator. Que signifie cette théorie ? Lorsque le salaire s’aligne avec l’effort consenti, c’est une motivation. Par contre, certains employés pourraient estimer que les efforts ne sont pas récompensés à juste prix », fait-il comprendre.
Areff Salauroo dit s’attendre à un boost dans la productivité. Pour cause, l’employé, ajoute le président de l’association, considère qu’il est aujourd’hui bien rémunéré. « Ceux qui sont au bas de l’échelle seront plus productifs. Il faudrait également tenir compte du fait que le rapport salarial sera bientôt disponible », argumente-t-il.
Toutefois, toute augmentation impacte les entreprises. Certes, le ministère va compenser la différence par rapport à la révision des salaires. Ceci dit, les Ressources humaines calculent également le remboursement des local leaves ou le boni de fin d’année, par exemple. « Les coûts sociaux ont ainsi un effet sur l’entreprise », conclut Areff Salauroo.
Quelques mesures visant à réduire l’inégalité
- Le « Revenu Minimum Garanti » à Rs 20 000.
- Augmentation des pensions à Rs 14 000 par mois.
- Augmentation du montant minimum de l’allocation mensuelle de subsistance à Rs 1 500 par mois.
- Rs 11 M seront fournies pour accroître l’accès des bénéficiaires du SRM aux opportunités d’emploi par le biais de l’amélioration des compétences et des stages.
- La fourniture de lunettes pour tous les bénéficiaires du SRM sera prise en charge par le gouvernement.
- Construction de 546 nouveaux logements sociaux
- L’augmentation de la CSG Child Allowance à Rs 2 500.
- Introduction de la School Allowance de Rs 2 000 par mois pour tous les enfants âgés de 3 à 10 ans.
Inégalité
La position de Maurice au niveau mondial
Plus des deux tiers de la population mondiale vivent dans des pays où les inégalités ont augmenté. Selon Bhavish Jugurnath, même dans des nations où l’on a observé des baisses d’inégalité comme le Brésil, l’Argentine et le Mexique, celle-ci est de nouveau en hausse. En ce qui concerne Maurice, un rapport de la Banque mondiale intitulé « Mauritius: Addressing Inequality through More Equitable Labor Markets » souligne que les revenus des ménages provenant du travail sont le principal moteur de l’augmentation des inégalités de revenu à Maurice. Entre 2001 et 2015, l’écart entre les revenus des 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches des ménages a augmenté de 37 %. « Bien que des progrès aient été réalisés vers une plus grande égalité et inclusion sociale, le fardeau social sur les générations futures reste une grande préoccupation », dit Bhavish Jugurnath.
De son coté, Ibrahim Malleck explique que Maurice a parcouru un long chemin depuis 1968 et s’est attaqué aux inégalités à différents niveaux. Cependant, il avance qu’il y a toujours des points à améliorer, à savoir le rétablissement du pouvoir d’achat des personnes à faible revenu, le maintien du confort des retraités et un meilleur accès et une plus grande égalité pour les femmes au sein de la population active.
« Maurice est toujours à la traîne en termes d’inégalité des genres, en particulier en ce qui concerne la participation économique et politique. Le classement mondial de Maurice dans le rapport sur l’écart entre les genres se situe dans la moitié inférieure : 98e sur 146 pays. Mais dans l’ensemble, Maurice a su maintenir des taux d’inégalités relativement bas et constants », indique-t-il.
En chiffres
Plus de 7 000 familles et 28 700 Mauriciens vulnérables sont accompagnés sous le Registre Social (SRM) par le gouvernement pour sortir de l’exclusion sociale et économique.
Recherche sur l’inégalité menée par Maurice Stratégie en août 2023
- Le coefficient de Gini a été estimé à 0,304 en 2022, contre un indice de Gini estimé à 0,392 en 2017.
- La part du revenu cumulé détenue par les 10 % les plus riches par rapport aux 10 % les plus pauvres a diminué de 15,4 en 2017 à 7,8 en 2022, et la part détenue par les 20 % les plus riches par rapport aux plus pauvres a baissé de 8,5 en 2017 à 4,9 en 2022.
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