Interview

Beas Cheekhooree sur les difficultés du textile : «Il nous faut un rebranding et une nouvelle stratégie de marketing»

Beas Cheekhooree

Ancien président de la Mauritius Export Association (MEXA), Beas Cheekhooree se dit optimiste quant à l’avenir du secteur du textile. Il suffit d’investir dans les nouvelles technologies, les compétences et les aptitudes pour que le secteur se réinvente.

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Encore une usine qui ferme ses portes cette semaine. Il semble que l’emploi devient de plus en plus précaire dans cette industrie…
Effectivement, le secteur est en pleine restructuration. Avec un contexte international difficile, il y a beaucoup d’incertitudes. Nos marchés traditionnels sont en pleine crise. En France, il y a les gilets jaunes et, en Angleterre, le Brexit plane. Il y a donc un impact direct sur notre secteur. Par ricochet, les clients sont plus difficiles. Il y a l’impact du prix de vente et une baisse dans le carnet de commandes. Ce sont donc plusieurs facteurs qui s’ajoutent et qui nous frappent de plein fouet. Il faut reconnaître que le secteur est déjà fragile depuis quelques années. Voire en déclin. Nous sommes à la croisée des chemins. Il est impératif de se réinventer. Surtout que les clients changent, aussi bien que les goûts. Sans oublier que les jeunes aujourd’hui, au lieu de faire les magasins, préfèrent tout acheter en ligne. Il faut prendre tout cela en considération.

Peut-on prédire que d’autres personnes perdront leur emploi de par le nouvel écosystème dans lequel évolue le secteur ?
Il faut être réaliste. Il y a des risques. Je ne peux dire qui ou quand. Je sais que des entreprises font le nécessaire pour éviter cela. Cependant, beaucoup d’éléments ne sont pas sous leur contrôle.

La fermeture d’usines est devenue récurrente. Se dirige-t-on vers la mort lente du textile mauricien ?
Je ne crois pas. Il y a toujours un noyau qui va continuer à faire vivre le secteur. Ce noyau peut être l’avenir du secteur. Il est constitué d’entreprises qui ont investi dans la technologie, le personnel et la gestion. Ces entreprises à vocation moderne ont plus de chances de continuer à exister. Il y a pas mal d’entreprises à Maurice qui ont réfléchi et investi. Je suis convaincu que le secteur textile a toujours un avenir. Mais pas sous sa forme actuelle. La réinvention est un mal nécessaire. Il faut donner une nouvelle dimension au secteur.

Il est trop facile de mettre la clé sous le paillasson. Ne faut-il pas sanctionner les propriétaires ?
N’oubliez pas que les propriétaires prennent aussi des risques en investissant leurs ressources. Dans certains cas, c’est surtout une mauvaise stratégie qui est la cause d’une fermeture. Certains n’ont pas assez investi, encore moins renouvelé leurs compétences. Ils payent un peu les pots cassés. Je dois dire que chaque fermeture est un drame. Ces employés ont des familles à nourrir, mais il y a également les entrepreneurs. Je ne pense pas que c’est leur souhait de mettre la clé sous le paillasson. Il faut être réaliste. Ce sont aussi des victimes. C’est un peu un cycle.

Qu’est-ce qui explique cette tendance ?
Il faut reconnaître qu’il y a de nombreux événements qui sont hors de contrôle. Ils sont beaucoup plus forts, plus grands que nous. Je pense ici au Brexit, qui est arrivé au mauvais moment. Il se peut aussi qu’il y ait eu des opportunités à saisir, mais nous ne l’avons pas fait. Ce qui fait que nous sommes un peu victimes de nos manquements.

Quels ont été nos points faibles ?
Tout d’abord, nous n’avons pas beaucoup investi et réinvesti. Puis, il y avait un manque chronique de main-d’œuvre qualifiée. Ensuite, il y a l’élément de connectivité. L’île Maurice est éloignée de ses marchés. Ce qui fait que les coûts d’exportation sont onéreux. Toutefois, il y a aujourd’hui le concept de speed-to-market. Cela aide les entreprises à expédier leurs produits plus rapidement. Si le gouvernement poursuit avec cette mesure, cela va grandement aider le secteur. Si nous rectifions tout cela, le noyau continuera à exister et deviendra le tremplin pour un secteur remodelé.

Je pense qu’il y a un potentiel de « recycler » les personnes qui ont perdu leur emploi»

Vous conviendrez avec moi que c’est un des secteurs qui exploitent le plus grand nombre de gens. Doit-on s’attendre à une crise sociale ?
Le secteur compte 40 000 à 45 000 emplois directs. Il faut multiplier ce chiffre par trois pour obtenir le nombre d’emplois indirects. Dont 25 000 expatriés. Effectivement, ce secteur a un impact substantiel. En sus d’être un pourvoyeur de devises étrangères et d’emplois pour de nombreux Mauriciens, il y a encore un potentiel d’emplois. Pour que cela soit bénéfique au pays, les entreprises doivent se moderniser et proposer des rémunérations adéquates pour attirer des jeunes. Les entrepreneurs doivent faire leur mea culpa pour redorer leur blason. Sinon, il n’y aura pas de ressources pour soutenir le secteur, qui était à la base du démarrage du secteur manufacturier. À lui seul, le textile contribue 3,7 % au PIB et le secteur manufacturier à hauteur de 13 %.

Peut-on reconvertir les licenciés ?
Je pense qu’il y a un potentiel de « recycler » les personnes qui ont perdu leur emploi dans le secteur textile. Nous devons nous pencher dessus, car c’est quelque chose d’envisageable.

Quels secteurs pourraient-ils les absorber ?
L’hôtellerie et la restauration. Sinon, ces personnes ont acquis une certaine compétence. Pourquoi ne pas les encourager à devenir entrepreneurs ? Elles peuvent développer des micro-entreprises. Il ne faut pas oublier que les PME sont appelées à se développer. D’ailleurs, 40 % des emplois sont fournis par des PME. Il faut réfléchir et non rester les bras croisés et s’apitoyer sur son sort. Ceux qui ont du potentiel ont besoin d’un encadrement pour pouvoir s’épanouir.

Sommes-nous voués à l’échec, avec la hausse de nos coûts de production ?
Au contraire, c’est un wake-up call. Il faut trouver de nouveaux approvisionnements de matières premières. Il faut monter en gamme et offrir de la valeur ajoutée. Il y a beaucoup de potentiel. Il faut, comme je le disais, investir dans la technologie et dans la compétence. Ce sont des facteurs sine qua non pour le secteur.

Avons-nous les moyens pour être en compétition avec des pays comme le Bangladesh ou Madagascar ?
Il ne faut pas entrer en compétition avec ces pays. Nous ne gagnerons pas cette bataille. Ils ont plus de ressources que nous. Ils ont plusieurs facteurs en leur faveur, comme les matières premières et la main-d’œuvre. Quant à nous, nous devons changer de registre. Nous devons aller vers d’autres produits, le secteur textile étant vaste. également, il nous faut un rebranding et une nouvelle stratégie de marketing nationale. Nous devons aussi pouvoir diversifier nos marchés. Je dois dire que la volonté politique y est. Il faut que le secteur privé s’implique. Il faut une orientation avec des objectifs communs. Je suis convaincu que l’avenir du textile est toujours là. Il suffit de jouer sur un autre terrain.

Comment peut-on ré-inventer notre secteur du textile ?
Indéniablement, il faut investir dans les nouvelles technologies, les compétences et les aptitudes. Il faut un plan de restructuration. Nous devons chercher d’autres fournisseurs de matières premières en Afrique. La connectivité maritime et aérienne doit être améliorée. Il y a des décisions importantes à prendre. Par exemple, la Turquie a osé le faire. Ce pays est aujourd’hui une référence. Maurice doit s’en inspirer et adopter ce modèle pour réinventer notre secteur.

 

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