Elles sont opérationnelles sept sur sept depuis le 13 février 2012. La Bail and Remand Court et la Week-end Court se trouvent au rez-de-chaussée de la New Court House. Comment fonctionnent-elles ? Quelles sont les lacunes relevées par les hommes de loi ? Comment y remédier ? Deux avocats nous en parlent.
Week-end Court
La Week-end Court (WEC) a été constituée, il y a quelques années, afin de permettre la comparution d’une personne arrêtée durant le week-end, un jour de congé public ou un vendredi après-midi, dans une affaire pénale.
Selon Me Taij Dabycharun, la police est tenue de présenter la personne devant le tribunal dans les plus brefs délais, comme l’exige la loi. C’est un moyen pour la cour de superviser la personne qui est en garde à vue et d’avoir un contrôle sur celle-ci suivant son arrestation. Donc, elle n’est pas « à la merci » de la police durant le week-end comme c’était le cas auparavant, dit-il.
Une accusation provisoire est déposée contre elle. Devant la WEC, elle peut, elle-même ou par le biais de son avocat, présenter une demande de remise en liberté sous caution. La cour peut y accéder. Et, par la suite, elle devra se présenter devant une cour de district où le délit a été commis.
Quid de la BRC ?
Vingt-et-un jours. C’est la période maximum qu’une personne peut passer en détention policière, fait comprendre Me Neil Pillay.
« Passé ce délai, si la police a toujours des objections à la remise en liberté conditionnelle du prévenu, la Cour, sauf cas exceptionnel, doit l’envoyer en prison. Cela, jusqu’à ce que ce dernier obtienne sa remise en liberté conditionnelle devant la BRC (Bail and Remand Court) après en avoir fait la demande », explique l’homme de loi. En d’autres mots, dit-il, la BRC s’occupe des personnes qui sont détenues en prison (« remanded to jail »).
Ce que confirme Me Taij Dabycharun. La BRC s’occupe du cas des personnes inculpées devant un tribunal et placées en détention provisoire. « Si la détention de la personne doit être prolongée, la police doit alors présenter une demande pour que celle-ci soit placée dans une des ‘Remand institutions’. » Les raisons souvent évoquées par la police sont que l’enquête est en cours, qu’il y a un risque d’interférer avec des témoins, de manipulation des preuves ou de prendre la fuite.
Pour que le prévenu obtienne la liberté sous caution, ajoute Me Taij Dabycharun, il peut, lui-même ou à travers son avocat, présenter une demande en ce sens devant la BRC. Il comparaîtra via visioconférence.
La WEC et la BRC, déclare Me Taij Dabycharun, sont liées par les articles 3 et 3A de la Bail Act. Ces deux instances, martèle-t-il, ne doivent pas agir comme un « rubber stamp » de la police.
Les conditions pour la remise en liberté
Le magistrat peut, à sa discrétion, accorder la liberté conditionnelle au prévenu. « Les conditions qui lui seront imposées vont dépendre de la nature et de la gravité du délit, des antécédents judiciaires du détenu, entre autres », indique Me Neil Pillay.
Il précise que le magistrat doit garder à l’esprit comment minimiser le risque que le prévenu puisse représenter un danger pour la société. Et, surtout, il doit examiner si des conditions peuvent être imposées pour s’assurer que le prévenu se présente en Cour en temps et lieu.
Parmi celles-ci, le tribunal pourrait lui imposer de se présenter au poste de police de sa localité ; un couvre-feu ; d’être à la disponibilité de la police par téléphone, entre autres.
Pourquoi autant de cas en souffrance ?
Un manque de volonté et de personnel. Ce sont deux raisons qu’avance Me Neil Pillay pour expliquer le goulot d’étranglement à la BRC.
Il révèle que « nous, les avocats, nous devons attendre souvent une semaine ou plus avant d’obtenir une réponse sur la date à laquelle notre affaire a été fixée ». Et cela, lance-t-il, après maints rappels au BRC.
Qui plus est, déplore Me Pillay, souvent le bureau du BRC ne répond même pas aux appels téléphoniques. Et l’attente sur place est interminable, dit-il. « On oublie trop souvent qu’un avocat est censé être un ‘officer of the Court’ et assiste la Cour aussi. »
Autre point soulevé : la difficulté d’obtenir la remise en liberté conditionnelle, surtout dans des cas de drogue. Et notamment si la valeur excède Rs 400 000, si le prévenu a des antécédents judiciaires ou si l’enquête a des « ramifications internationales ». Conséquence : il y a des demandes successives de remise en liberté.
Pourtant, fait valoir Me Neil Pillay, les cas Deelchand et Hurnam sont la référence quant au traitement de ce genre de demande.
« Avec les délais occasionnés et l’incapacité des autorités de déposer une accusation formelle dans des délais raisonnables (du moins en dessous de deux ans), il y a moins de dates disponibles. Ce qui contribue au non-respect, selon mes collègues et moi, du droit à un procès dans un délai raisonnable. »
Me Pillay fait également ressortir que la difficulté d’obtenir la liberté devant la BRC se reflète dans la hausse des demandes de révision judiciaire devant la Cour suprême. « Et ces derniers temps, la Cour suprême a désavoué à plusieurs reprises la BRC, en accordant la liberté conditionnelle au prévenu. »
L’homme de loi fait, par ailleurs, remarquer que la jurisprudence internationale prévoit qu’une nouvelle demande de remise en liberté peut se faire après quelques semaines. « Mais à Maurice, il y a cette règle non-écrite que cela ne peut se faire qu’après quatre à cinq mois selon les avocats du bureau du DPP ou la BRC. Ce n’est simplement pas la loi ! »
Si la WEC n’existait pas, avance, de son côté Me Taij Dabycharun, plusieurs personnes auraient dû passer tout le week-end dans une cellule policière jusqu’à ce qu’une cour de district reprenne le travail. Cela aurait été injuste dans certains cas.
En revanche, dit-il, il est malheureux de constater que la BRC ne remplit plus sa fonction « car dépassée par les nombreux cas devant elle ». Et ce n’est guère pour arranger les choses que la BRC écoute, en premier lieu, les « formal matters », notamment les demandes de détention provisoire, dit Me Dabycharun.
Ce n’est que vers 12 h 30 ou 13 heures que les demandes de remise en liberté sont entendues. « Par jour, nous atteignons 5 ou 6 cas et voilà qu’il est temps de plier bagage. Les autres affaires qui n’ont pas pu être entendues doivent être reprogrammées. »
Quant au greffier de la BRC, évoque Me Taij Dabycharun, impossible d’avoir des informations ou de déposer une lettre ou d’obtenir une date dans les plus bref délais.
Quelle solution ?
La solution, pour Me Neil Pillay, est de créer deux BRC, ce qui permettrait ainsi d’écouter un plus grand nombre de demandes de remise en liberté. « L’une écouterait les procédures de ‘remand’ des prisonniers comme d’habitude, pour passer ensuite aux demandes de remise en liberté. Alors que l’autre aurait déjà commencé à écouter des demandes de remise en liberté sous caution depuis le matin. »
Sauf que, regrette-t-il, un tel projet ne semble pas d’actualité. Pourtant, il s’agit d’une solution raisonnable « qui va dans le sens du respect des droits constitutionnels d’un prévenu à la liberté, surtout quand on sait que des citoyens sont en prison depuis plus de deux ans en attendant leur procès ». Cette situation, rappelle Me Pillay, a même été déplorée par les juges de la Cour suprême dans divers jugements récemment, « tels que l’affaire Dowlat ou encore l’affaire Moosun ».
Évoquant la visioconférence, Me Neil Pillay fait valoir que c’est une bonne solution pour les cas simples. « Durant les périodes de confinement, les demandes de liberté ont été traitées à travers la visioconférence, ce qui était une bonne initiative. »
Me Taij Dabycharun est du même avis. « Ne peut-on pas étendre ce système pour réduire le volume de cas à traiter ? » Il propose que le ministre des Technologies de l’information, de la communication et de l’innovation prête main-forte et mette en place des outils nécessaires.
En revanche, pour les cas plus complexes, ce système poserait problème, laisse entendre Me Neil Pillay. « On ne peut pas voir les témoins, des policiers qui déposent et surtout leur ‘demeanour’ ou ‘body language’ qui, parfois, aident à déterminer la véracité des faits avancés », observe-t-il.
L’homme de loi propose, par ailleurs, que les dépositions en Cour soient enregistrées. Et que plus de personnes soient employées pour transcrire rapidement les procès-verbaux. « Il nous faut avoir des gens compétents, volontaires et qui prennent le téléphone ! »
Autre suggestion : que la loi soit amendée afin d’établir des limites quant à la période de détention d’une personne selon le délit qu’il lui est reproché. « On ne peut pas continuer ainsi à punir les gens avant leur procès. Et ce, même si le temps passé ‘on remand’ sera pris en considération lors de la sentence si le prévenu est reconnu coupable. »
Me Taij Dabycharun abonde dans le même sens. Il est temps, dit-il, d’introduire, tout comme le Royaume-Uni, un délai de détention (« custodial time limit »). « C’est-à-dire que la détention d’un prévenu varie en fonction de l’infraction qu’il est accusé d’avoir commis. C’est le seul moyen de réduire la pression sur la Cour et de respecter les droits de l’individu afin que sa détention ne soit pas prolongée inutilement. »
Atteinte aux droits du prévenu
Me Neil Pillay rappelle que la Cour a déjà statué que le manque de moyens ne doit pas être une excuse pour que justice ne soit pas faite. Or la BRC est tellement débordée que des affaires sont renvoyées. « N’est-il pas innocent jusqu’à preuve du contraire ? Ces renvois fréquents pour diverses raisons ont un impact sur toute la famille du prévenu », souligne Me Neil Pillay.
Il est catégorique. Tout le système est à revoir. « Nombreux sont mes collègues qui pensent que les droits des prévenus sont bafoués par la procédure judiciaire trop lente et pas assez inquisitoire sur les ‘excuses’ de la poursuite et sa lenteur. » Il faut ajouter à cela, dit-il, le retard considérable pour obtenir le rapport du Forensic Science Laboratory. Tout cela lui fait dire qu’« il est temps de vraiment d’appliquer ce que Lord Hewart, ancien chef juge en Angleterre, a dit il y a bien longtemps… ‘Justice must not only be done, but must also be seen to be done’. »
En effet, avance Me Taij Dabycharun, « c’est dommage de voir qu’une personne placée en détention provisoire pour vagabondage, une offense passible d’une amende, attend toujours d’être libérée neuf mois après. Si cela n’est pas une entrave à son droit constitutionnel, alors c’est quoi ? »
Devant la BRC
Plus de 70 % des demandes de remise en liberté agréées en 2019
Sur un total de 1 669, la BRC a agréé 1 191 demandes de remise en liberté en 2019. En comparaison à 2016, le nombre de cas déposés devant cette instance a augmenté, soit 4 518 en 2019 contre 4 207 en 2016.
2016 | 2017 | 2018 | 2019 | |
---|---|---|---|---|
Cas déposés | 4 207 | 4 840 | 4 256 | 4 518 |
Cas classés | 3 791 | 5 217 | 3 904 | 4 541 |
Nombre de demandes pour la liberté sous caution | 2 031 | 1 654 | 1 320 | 1 669 |
Nombre de demandes de liberté sous caution accordées | 688 | 766 | 948 | 1 191 |
Devant la WEC
18 demandes rejetées en 2019
La WEC a agréé 33 demandes de remise en liberté en 2019. Ce nombre était de 167 en 2016 sur 1 409 cas déposés au total.
2016 | 2017 | 2018 | 2019 | |
---|---|---|---|---|
Cas déposés | 1409 | 1585 | 1620 | 1775 |
Nombre de demandes de remise en libertés agréées | 167 | 74 | 42 | 33 |
Nombre de demandes de remise en liberté rejetées | 218 | 189 | 22 | 18 |
La gestion des demandes dans un délai raisonnable
La BRC parvient-elle à gérer les demandes de remise en liberté conditionnelle dans un délai raisonnable ? « Absolument pas !» répondent Mes Neil Pillay et Taij Dabycharun.
Me Neil Pillay estime qu’il est « inadmissible » qu’en raison de la lenteur des responsables de certaines enquêtes et de la poursuite, des personnes se retrouvent en détention préventive depuis trois ans, voire plus, en attente du procès. Et ce, alors que la Constitution prévoit qu’un prévenu soit jugé de façon équitable dans un délai raisonnable.
Abondant dans le même sens, Me Taij Dabycharun rappelle que l’article 5 de notre Constitution prévoit la protection du droit à la liberté personnelle. « Nul ne peut être privé de sa liberté personnelle sauf dans les cas autorisés par la loi. »
Le même article prévoit que des facilités raisonnables pour consulter un représentant légal de son choix seront accordées à toute personne arrêtée ou détenue sur la base de soupçons raisonnables d’avoir commis, ou sur le point de commettre une infraction pénale, poursuit Me Dabycharun. « Ainsi, la personne doit être traduite sans retard injustifié devant un tribunal. »
Et ce n’est pas tout. « La personne arrêtée ou détenue qui n’est pas jugée dans un délai raisonnable doit être libérée soit inconditionnellement, soit sous des conditions raisonnables. »
Me Neil Pillay fait ressortir que la BRC a la responsabilité de gérer la détention préventive de tous les prévenus envoyés en prison en attendant leur procès devant l’une des 11 cours de district (hormis celle de Rodrigues). Trois magistrats y sont attachés. Et bien qu’elle soit dotée d’équipements vidéo, audio et de télécommunications, il n’en demeure pas moins que la BRC est l’unique instance disponible pour ce type de cas.
« Cette seule Cour gère les prisonniers qui doivent paraître devant un magistrat tous les 21 jours. Le prévenu, parfois, n’a pas assez de temps pour s’adresser au magistrat et, souvent, ce n’est même pas le magistrat qui lui répond mais le ‘Police Prosecutor’ », fait valoir Me Pillay.
L’homme de loi précise qu’il ne blâme pas le/la magistrat/e concerné/e. « Il/elle est sous pression constante durant la session avec au moins 300 à 500 dossiers qui passeront devant lui/elle. »
Les avocats de la défense n’ont d’autre choix que d’attendre en cour que le cas soit appelé. Ce qui, pour Me Neil Pillay, est vraiment une énorme perte de temps. Et pour les hommes de loi et pour les policiers. « Si les avocats quittent la BRC momentanément et que par malchance leur cas est appelé à ce moment précis, la demande de remise en liberté conditionnelle de leur client est rejetée. »
Pourtant, fait-il observer, « si l’avocat du Parquet est absent quand une affaire est appelée, celle-ci est maintenue jusqu’à ce qu’il arrive. Est-ce cela, la justice ? »
Qui plus est, lâche Me Pillay, « il y a des policiers qui s’absentent de façon répétitive en Cour et malgré les objections des avocats de la défense, ils ne sont pas sanctionnés ». D’ailleurs, fait ressortir Me Taij Dabycharun sur ce point, « 70 % du temps, l’enquêteur est absent. Ou le dossier ou la requête n’a pas été envoyé au bureau du Directeur des poursuites publiques, entre autres ».
Lorsqu’on sait qu’une demande de remise en liberté conditionnelle sera généralement écoutée cinq à six semaines après avoir été formulée, fait valoir Me Pillay… « Alors qu’on dit souvent que ‘justice delayed is justice denied’ ! »
Me Taij Dabycharun cite, lui, l’exemple d’une personne au casier judiciaire vierge et qui a commis une infraction passible d’une amende. « Elle devra attendre 21 jours pour comparaître devant la BRC. Si elle a de la chance, au moins un mois après son arrestation, sa requête pour la liberté sous caution peut être entendue. Toutefois, si ce jour-là, l’enquêteur principal est malade ou ne se présente pas, l’audience sera reportée pour encore un mois. Elle devra donc rester en détention provisoire pour deux mois pour un délit punissable d’une amende. » Quel impact cela a-t-il sur sa vie et celle de sa famille, s’interroge Me Dabycharun.
Réaliste, il maintient que le prévenu ne devrait pas se faire d’illusions. « Il ne devrait pas croire, quand il est en détention provisoire, qu’il sera libéré dans les plus brefs délais même s’il a un casier judiciaire vierge. Il risque de subir les caprices des enquêteurs et d’autres événements qui sont indépendants de son contrôle. »
Un comble alors que « l’article 3A de la Bail Act, stipule que le tribunal doit s’efforcer d’entendre et de statuer sur toute demande de libération sous caution dans les plus brefs délais. Idem pour l’article 5 de notre Constitution », souligne Me Taij Dabycharun.
Pour Me Neil Pillay, « il est difficile de croire que la chaîne de la procédure judiciaire ignore quelle est la situation à la BRC depuis des années maintenant ». Il parle de « laxisme ». « Souvent les dossiers dorment pendant des mois. » Résultat : certains détenus restent en prison deux à cinq ans, en attendant leur procès.
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