Dans les grandes villes du monde, les fontaines publiques sont synonymes de vie, dispensant gratuitement une eau fraîche et pure. Au Quartier Jasmin du Morne, en revanche, la fontaine locale est payante et délivre une eau impropre à la consommation. Nous en avons fait l’expérience : l’eau, initialement claire comme du cristal, vire progressivement au marron clair, puis foncé, en quelques minutes. Tel est leur lot quotidien.
Nous sommes le 5 février 2025. Cette zone, limitrophe de Quatre-Bornes, voit ses habitants, majoritairement des squatteurs du Quartier Jasmin, confrontés à une préoccupation majeure : l’accès à l’eau. Cette situation perdure malgré la proximité de la magnifique plage du Morne qui s’étire sur plusieurs kilomètres.
À première vue, l’endroit paraît idyllique. Sur la droite s’étend la plage, impeccablement entretenue, bordée d’arbres soigneusement taillés. Les installations touristiques sont bien agencées : poubelles stratégiquement placées, échoppes proposant restauration, boissons et souvenirs touristiques.
Mais le contraste est saisissant sur la gauche. Les apparences sont trompeuses. L’accès au Quartier Jasmin se fait par une ruelle étroite, praticable uniquement en 4x4. À l’entrée de cette voie menant à un quartier d’une trentaine de familles, les résidents bénéficient de l’électricité et de l’eau potable de la Central Water Authority. Cela ne concerne que le début de la ruelle. En montant, on découvre des dizaines de familles, toutes squatteuses, dont la situation n’a jamais été régularisée.
Colette nous en parle : « Kan mo ti vinn pik mo lakaz-la, pa ti ena personn ena 20 an. Ziska zordi, mo finn fer aplikasion pou mo gagn kouran ek sirtou dilo, pena. Zot fer mwa ale vini ale vini. Zordi mo pe bizin fie mwa lor lafontenn ek dilo-la sal, pa kapav bwar, zis kapav begne. La ousi apre nou grate parski dilo-la malang. »
Colette semble être la doyenne d’un groupe de femmes comprenant Brunette, Brenda, Angela, Graziella, entre autres. Fait notable, durant notre visite de Quartier Jasmin et Coteau Raffin, aucun homme n’a témoigné. Ils passaient sans s’arrêter. Angela explique cette apparente indifférence : « Nou fam ki amenn konba. Nou ki kone ki nou soufrans, nou ki kwi, bwi, nou-mem ki zom nou-mem ki fam, nou-mem ki mama. Ou finn konpran. »
Les femmes du Quartier Jasmin sont résolues dans leur lutte pour obtenir l’eau courante chez elles. « Arete vinn sers dilo depi lafontenn. Nou bizin dilo dan nou lakaz. Nou finn fini pey CWA, zot finn pas gro tiyo me kan pou konekte nou ? Zero. Lezot plas konekte, me kot nou CWA bliye nou ? » interroge Colette.
Cette eau de la fontaine, dénoncée par Véronique Leu-Govind le 1er février au Morne, lors de la commémoration du 190e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, et de nouveau au Parlement, représente un réel danger sanitaire, exposant les habitants au risque de gastro-entérite chronique. Pourtant, les résidents versent une redevance mensuelle à une coopérative. « Zot finn fer zot bonne volonté, me dilo kot li sorti-la sal, pa bon pou bwar », confirme Colette.
Ce quartier abrite des squatteurs depuis plus de 20 ans. Certains y ont grandi, fondé leur famille, et continuent de se battre pour obtenir un raccordement à l’eau potable et à l’électricité. « Je place ma confiance dans ce nouveau gouvernement et particulièrement en Véro. S’ils ne tiennent pas leurs promesses, nous saurons quoi faire dans cinq ans, et ils en sont conscients », conclut Colette dans toute sa sagesse.
La source de la fontaine
Les fontaines publiques trouvent leur origine dans la Grèce antique, où l’ingéniosité des constructeurs permit, dès le VIe siècle avant Jésus-Christ, d’alimenter en eau Athènes, Corinthe et d’autres cités helléniques grâce à des aqueducs exploitant la gravité naturelle des sources et des rivières.
Au fil des siècles, cette innovation s’est propagée à travers le monde. Les fontaines sont devenues des éléments incontournables du paysage urbain, offrant aux citadins un accès gratuit à l’eau fraîche, particulièrement appréciée durant les périodes de chaleur. Puisant généralement dans les nappes phréatiques, ces points d’eau distribuent traditionnellement une eau potable, accessible gratuitement dans la plupart des villes du monde.
Le cri du cœur d’une mère pour son fils handicapé
Au Morne, au Quartier Jasmin, une mère, Coralie, se bat pour son fils de 8 ans, Dion, atteint d’une épilepsie aux conséquences dévastatrices. Abandonnée par son mari, elle doit faire face seule au calvaire de son enfant, dont la maladie a évolué en paralysie cérébrale. Aujourd’hui, pour se déplacer, Dion dépend entièrement d’un fauteuil roulant.
« Il y a une école spécialisée gouvernementale du SENA à Surinam. J’ai déposé une demande pour accompagner mon fils dans son développement, et elle a été acceptée », explique Coralie, les yeux embués de larmes. « Dans notre quartier, il y a bien un van qui transporte des employés d’hôtels et des élèves, mais le chauffeur refuse de prendre mon fils en raison de son handicap sévère, même si je propose de payer davantage. »
Coralie est donc dans l’impossibilité de travailler, et Dion ne peut ni bénéficier du suivi des spécialistes du SENA, ni vivre une vie d’enfant normale. « Je suis contrainte de rester constamment à ses côtés car il n’est pas autonome », confie-t-elle. « Le gouvernement manifeste sa volonté de nous aider, mais le problème du transport de Dion reste entier. Notre maison de squatteur est située au fond du Quartier Jasmin, dans une zone difficilement accessible aux véhicules. »
Cette mère lance un appel désespéré pour que Dion puisse enfin accéder à ce centre spécialisé et ainsi progresser dans son développement. « La Junior Minister Véronique Leu-Govind fait tout son possible, mais ses moyens d’action sont limités », déplore Coralie. « J’adresse ma requête à la ministre des Droits des enfants ainsi qu’aux autres ministères concernés, pour qu’une solution soit trouvée pour aider Dion. C’est un enfant adorable, qui se trouve simplement en situation de handicap, une condition dont ni lui ni moi ne sommes responsables. »
Machine à laver : en panne sèche
Si la situation peut parfois prêter à sourire, la réalité quotidienne des habitants de ce quartier est bien plus sombre : ils ont dû faire une croix sur l’usage d’une machine à laver. « Le réservoir est dans un tel état que nous n’osons même pas remuer la boue qui s’y est accumulée, alors une machine à laver ? C’est impensable. Quant au linge blanc lavé avec l’eau de la fontaine, je vous laisse imaginer le résultat », confie une résidente avec résignation.
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