Dans les plaines assoiffées du Nord mauricien, entre récoltes sous le soleil brûlant et amour inconditionnel pour la terre, des planteurs se battent pour sauver leurs champs, malgré l’absence de pluie, la coupe d’eau et des ressources limitées.
Il y a une parole en bhojpuri qui dit : « Pani naïba ». Sans eau, sans pluie, rien ne va. Et les champs meurent à petit feu. Le soleil de plomb liquéfie le paysage, transformant les champs en une mer de soif. Ici, dans les plaines du Nord mauricien, Vijay Chuturdharee danse avec la sécheresse, ses pas lourds de détermination sur une terre qui halète. Les légumes se tordent… supplient.
Le planteur dessine des paysages de combat et d’espoir. Il se bat. Cette terre, il l’aime, c’est toute sa vie. Il roule un vieux 4x4, tout comme ses amis de la Solitude Drip Irrigation Cooperative Society, qui regroupe une cinquantaine de membres, tous des planteurs à plein champ, soit à ciel ouvert. Ils n’ont pas les moyens financiers de changer de véhicules, pourtant utilitaires. Ils ne s’en plaignent pas. « Tant que le moteur tourne, ça suffit », dit-il en haussant les épaules.
Depuis cinq heures du matin, ils s’affairent dans les champs à récolter ce qu’ils peuvent. Dans cette plaine du Nord de plusieurs arpents regroupés au sein d’une coopérative, on plante de tout, selon la saison : « bred Tom Pouce » entre des lignes de panneaux solaires, légumes fins (cotomili, thym, persil, etc.), poireau, pomme d’amour, gingembre, ail, filantes, calebasse, safran, melon d’eau…
« Nou oblize rekolte seki kapav. Bann legim-la pe brile, pena dilo, pena lapli. Nou fer seki kapav fer, nou sagrin me ki pou fer... Zot koup dilo, donn nou de-zer-tan. Karo pe abandone, planter nepli kapav, pe rise pouse ziska kan beta ? » nous dit Vijay Chuturdharee, entouré de ses camarades planteurs.
Malgré tout, ce père de deux enfants garde le sourire. Ses filles, à qui il a inculqué les valeurs du travail et de la persévérance, sont sa plus grande fierté. L’une termine son « pupillage » en tant qu’avocate, tandis que l’autre s’épanouit en Allemagne comme ingénieure. « Mo ti kapav aret tou, me mo kontan mo later, mo pei, mo bann legim, se mo lavi sa », explique Vijay Chuturdharee. « Mo pa fer kas ek sa, se mo plezir, kouma tou mo bann kamarad dan koperativ. Nou soufer me nou kontan nou pei, me kontan nou parey. »
Cependant, l’avenir semble incertain. La question de la relève agricole se pose avec acuité. Le planteur nous gratifie d’un large sourire et d’un grand bravo de ses camarades de champs : « Ena zanfan dir kot karo-la dad, ki pou plante ladan, kot karo koumanse ek kot li fini papa ? Nou pe koz sink arpan kann ek sink arpan legim. Me zanfan pa interese, zot manz legim sort dan karo papa pourtan… »
Ici, le soleil frappe fort, la sécheresse monte à la gorge. La soif se fait sentir. On est dans un entrepôt, le responsable nous offre du jus fait maison. Très froid. Une oasis au milieu de la chaleur écrasante. Mais cette rare fraîcheur contraste avec la sécheresse qui menace l’équilibre des champs de ces planteurs. « Normalement, les champs de canne ont un cycle de six ans, mais maintenant on doit le faire tous les deux ans faute d’une bonne irrigation », nous dit le secrétaire de la Solitude Drip Irrigation Cooperative Society.
Malgré les obstacles, Vijay Chuturdharee et ses camarades refusent de baisser les bras. Leur amour pour la terre et leur solidarité les poussent à continuer, contre vents et marées. Une question demeure, cependant : jusqu’à quand ?
La hantise des voleurs
Ils cultivent des arpents de terre dans des conditions éprouvantes, mais une menace pèse constamment sur leurs efforts : les voleurs. « Nous déployons des efforts immenses, nous sommes au travail dès 4 heures du matin, même sous la pluie. Cultiver des légumes demande du temps, de la patience et beaucoup d’argent. Et voilà que des voleurs viennent s’approprier le fruit de notre labeur. C’est révoltant ! Nous ne pouvons pas travailler si durement pour que d’autres se servent impunément. Surveiller tous nos champs en permanence est humainement impossible », déplore Idriss Lowtun,
53 ans, qui cultive deux arpents en plein champ.
« Souvent, quand les légumes sont prêts à être récoltés, mo bizin dormi dan mo karo, vey voler e gramatin rekoumans travay. Enn lavi sa? » ajoute-t-il avec amertume. Pour lui, « kan bef travay, bef bizin manze, pa souval, pa ninport ».
Disparition de la pomme de terre Spunta
La pomme de terre de type Spunta n’existerait plus, selon Vijay Chuturdharee. « On fait tout pour que cette qualité de pomme de terre Spunta revienne sur le marché. Plus la sécheresse perdurera, plus les importateurs se frottent les mains, car ils vont faire des profits », lance-t-il avec dépit.
Un amour mis à l’épreuve
Ils aiment la terre, en nourrissent leurs cœurs et leurs âmes. C’est d’ailleurs de « mama later » qu’ils puisent la force nécessaire pour avancer. Trivita est de ceux-là. Chaque matin, elle se lève à 4 heures, prépare le pain de ses enfants pour l’école, le thé pour son mari Ravin et elle « dan enn boutey ».
« Nou bizin al dan karo legim ek fler depi boner gramatin. Nou touy nou lekor, pa gagn boukou kas, me selma nou kontan sa, nou lavi sa », nous confie-t-elle. La relève, en revanche, est loin d’être assurée. « Nou ena de zanfan ki pa interese ek karo, pa kone ki pou arive apre nou, nou pena relev. Me, beta, mo bolom ek mwa, nou kontan later, nou kontan plante ek nou kontan nou pei », affirme Trivita.
Bien que le même amour anime Sataye, les difficultés s’amoncellent. Il s’est essayé à la culture hydroponique, mais il ne cache pas que c’est dur financièrement. « L’hydroponique coûte cher. Lorsque le temps est mauvais, pendant les cyclones, le plastique s’envole et cela coûte beaucoup à remplacer. Il n’y a pas de retour sur capital », regrette Sataye. Sa serre regroupe des plantes filantes, du « giraumon », entre autres : « Le système d’arrosage est conditionné et contrôlé, mais le tout coûte. »
À 59 ans, après des années à labourer, Said Bundhoo est à bout de force. « Baboo, mo’nn fatige, mo ankor pe trase, me pena dilo. Midlands Dam ti pou 80 % planter ; zordi nou pena dilo, de-zer par zour, kouma pou fer, trase pa trase ena problem. Dan enn mwa, tou karo brile si pena dilo ek lapli », prévient-il.
Sailesh Moyepath, 49 ans, abonde dans le même sens. Il cultive quatre arpents et demi qui lui appartiennent : « Gagn lavi mari difisil, me mo pa konn fer lot kitsoz. »
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