La députée du MMM, qui compte 41 ans de carrière politique, estime que le gouvernement n’est pas suffisamment « forceful » sur le dossier Chagos. Revenant sur les crèches opérant illégalement, elle demande au ministère de l’Égalité des genres d’être plus pro-actif. Arianne Navarre-Marie s’inquiète également de la prolifération de la drogue dans la société.
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Étant vous-même descendante de Chagossiens, que pensez-vous de la démarche du gouvernement concernant la souveraineté de Maurice sur les Chagos ?
Je suis, en effet, fille de parents chagossiens, maman étant née en 1938 sur l’île principale, Diego Garcia, alors que mon père est né sur les Six Îles en 1935. On se souviendra que le 3 novembre de l’année dernière, lors d’une déclaration à l’Assemblée nationale, le Premier ministre avait affirmé qu’un accord allait être trouvé « early next year », voulant dire au tout début de 2023. Il déclarait ceci plus exactement : « Mauritius and the United Kingdom have agreed to engage in constructive negotiations, with a view to arriving at an agreement by early next year. » Or, nous sommes en octobre 2023, donc à la fin de l’année, et le problème reste entier.
La démarche du gouvernement mauricien ne me semble pas bien claire ou alors pas suffisamment forceful. Après la visite du Premier ministre aux Nations unies, le communiqué officiel à l’issue du Conseil des ministres mentionne que le Premier ministre a « expressed the hope for successful negotiations with the UK », mais rien n’indique que le Premier ministre a rencontré son homologue britannique.
Toujours est-il que le gouvernement britannique est en train de faire fi de la « directive » de la Cour internationale de justice. De même que les États Unis, le « grand défenseur » des droits humains, qui rappelons-le, ne reconnaît pas la Cour internationale de justice.
En attendant, l’île Maurice n’arrive toujours pas à jouir complètement de sa souveraineté sur les Chagos, et les Chagossiens continuent à se battre pour pouvoir un jour retourner sur l’archipel.
Comment réagissez-vous à la levée de boucliers de personnalités britanniques comme Boris Johnson et Nile Gardiner, l’ex-collaborateur de Margaret Thatcher ?
Il est malheureux que certaines personnes continuent à vivre dans le passé et n’ont pas du tout évolué, malgré la singlante raclée de la CIJ. Quant à venir dire que Maurice est proche de la Chine, tout le monde sait que Maurice a des relations spéciales avec nos pays de peuplement à savoir, l’Inde, Madagascar, le Mozambique, la Chine et la France. J’éviterais de commenter sur leurs insinuations perfides et pur nonsense.
Le gouvernement a fait part d’un nouveau déplacement vers les Chagos. Estimez-vous que les politiciens de tout bord devraient être inclus dans cette démarche ?
Il y a eu deux voyages organisés par l’État mauricien vers les Chagos. Il faut que cela puisse se faire le plus souvent possible. Les Chagossiens ont toujours réclamé le droit de retour dans l’archipel. Quelle personne ne serait pas meurtrie lorsqu’on lui interdit de rentrer chez elle, après avoir été expulsée, déracinée dans des conditions inhumaines ? D’autant que les « gran dimoun » ont été enterrés sur ces terres. Les Chagossiens doivent pouvoir visiter et résider sur les terres où ils ont pris naissance autant de fois qu’ils le souhaitent.
Ceci étant dit, pour répondre à votre question, je suis d’avis que les politiciens de tout bord et tout autre Mauricien qui le désire puissent faire partie du voyage, en donnant évidemment priorité aux Chagossiens et à leurs descendants.
Que pensez-vous de la situation à Agaléga en comparaison à ce qui s’est produit aux Chagos ?
À ce stade, les Agaléens n’ont pas été expulsés de leur île. Du moins, pas encore. La manière dont le gouvernement les traite pourrait être interprétée pour signifier qu’ils sont subtilement poussés à partir.
D’un côté, le gouvernement leur fait de la misère. Des Agaléens étaient récemment bloqués à Maurice pendant plusieurs mois. Ils sont témoins des travaux sur leur île, mais ne savent pas ce qu’il se passe exactement. Ils sont interdits d’emplois sur ces sites. Ils vivent dans l’angoisse. Ils s’interrogent. La situation est devenue invivable pour les Agaléens.
Le gouvernement refuse de donner des informations sur les travaux d’un côté et de l’autre, une section de la presse indienne évoque la construction d’une base militaire. Si flou il y a, c’est à cause du gouvernement qui refuse catégoriquement de divulguer les clauses de l’accord, malgré les questions et interpellations de l’opposition parlementaire. Et cela alimente encore plus les rumeurs !
L’attitude du gouvernement fait tout de suite penser aux tribulations des Chagossiens. Le gouvernement ne peut plus continuer à entretenir ce flou autour d’Agaléga. Le seul moyen de dissiper tout cela, c’est de rendre l’accord entre l’Inde et Maurice public, de traiter les Agaléens comme des Mauriciens à part entière en communiquant, et parallèlement, en permettant aux députés de tout bord de visiter Agaléga.
Pensez-vous que la rétrocession sera une réalité ou les Britanniques sont-ils en train de bluffer ?
Nous devons, d’abord et avant tout, faire de la rétrocession des Chagos à Maurice une cause nationale. C’est une cause au-delà de la politique partisane et dans un élan patriotique, nous nous devons de parler un seul et même langage.
D’ailleurs, tous les partis mainstream de Maurice ont, d’une façon ou d’une autre, aidé à faire avancer la cause de la souveraineté et celle du droit de retour des Chagossiens dans l’archipel. Le MMM avait été le tout premier parti à alerter les Mauriciens sur l’affaire Chagos et la situation des Chagossiens à Maurice. D’ailleurs, on a tendance à oublier que Paul Bérenger et Kailash Purryag ont fait partie de la première délégation de Chagossiens pour négocier une première compensation à Londres en 1981.
Le Parti travailliste du Dr Navin Ramgoolam a contribué également à faire avancer la cause, de même que sir Anerood Jugnauth, sans compter le PMSD de Xavier-Luc Duval à travers ses Private Notice Questions à l’Assemblée nationale. Il est donc important de rallier tous les bords politiques à cette cause, sans évidemment oublier les Chagossiens.
Deuxièmement, après le vote de l’Assemblée générale des Nations unies autour de la résolution pour porter l’affaire à la Cour internationale de justice, Maurice aurait dû nurture ses relations avec les pays qui nous ont soutenus et faire un geste diplomatique envers ceux qui ont voté contre la résolution ou se sont carrément abstenus. Je ne pense pas que cela a été fait. Si tel est le cas, il n’est pas trop tard.
Les Britanniques ne pourront pas laisser perdurer le problème et n’auront d’autre choix que de reconnaître une fois pour toutes la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos.
Outre cette rétrocession, est-ce que les Britanniques devraient verser une nouvelle compensation aux descendants des Chagossiens ?
Aucune compensation ne sera jamais suffisante pour effacer le mal fait aux Chagossiens et à leurs descendants. Il y a eu crime contre l’humanité. Les Chagossiens ont été déracinés de leurs îles, forcés de les quitter et embarqués comme du bétail dans les cales de bateaux. Arrivés à Maurice, ils ont été maltraités, laissés à eux-mêmes et pour beaucoup, contraints à mendier ou à se prostituer pour survivre.
Il faut que les Chagossiens puissent obtenir une compensation financière adéquate, de même que le droit de retour sur leurs terres, s’ils le souhaitent.
Votre opinion sur la naturalisation et autres facilités accordées aux descendants des Chagossiens ?
Certains estiment qu’il s’agirait d’un « piège » du gouvernement britannique…
Être détenteur d’un passeport britannique n’est pas vraiment un big deal ou un big issue. Les Chagossiens qui détiennent ce passeport n’ont pas pour autant renoncé à leur nationalité mauricienne. Ils sont toujours attachés à la République de Maurice et ne sont pas dupes. C’est surtout pour avoir accès à un meilleur service de santé et à des études supérieures pour les plus jeunes.
Mais, vous savez, beaucoup de Mauriciens quittent Maurice pour aller trouver du travail ailleurs. Les Chagossiens ne sont pas en reste. Ils utilisent ce passeport pour aller chercher du travail ailleurs, en attendant de pouvoir retourner aux Chagos. Et croyez-moi, malgré ce que l’on entend, je connais pas mal de jeunes Chagossiens qui souhaiteraient aller vivre aux Chagos et contribuer au développement de l’archipel dès que possible.
Cette semaine a été marquée par deux drames dans des crèches. Un bébé de trois mois est décédé dans une crèche opérant illégalement et mardi, un bébé de sept mois a été retrouvé avec des ecchymoses et des blessures sur le corps à sa sortie de crèche.
Comment réagissez-vous en tant qu’ancienne ministre de la Femme et du bien-être de l’enfant ?
Comme tout le monde, j’ai été bouleversée. Je ne comprends pas comment on peut se permettre de garder des bébés, si on n’a pas les compétences et les capacités voulues.
Dans un cas, il semblerait que la responsable n’avait pas voulu que les parents visitent la crèche avant l’admission des bébés. Déjà, cela aurait dû mettre la puce à l’oreille. Il faut absolument que les parents se renseignent sur la validité du permis d’opération de la crèche et en même temps exigent de pouvoir visiter les lieux où l’enfant sera confié.
Le ministère de l’Égalité des genres doit être plus pro-actif et veiller à la protection de l’enfant. Tout le monde sait qu’il y a des crèches qui opèrent illégalement. Le rapport de l’Audit en a fait état.
Où se situe le problème et comment y remédier ?
Il y a peut-être un manque d’informations de la part de certains parents. D’autres trouvent plus facile de confier leurs enfants dans une crèche plus proche de leur résidence.
Il y a aussi un problème économique. Certains parents peinent à joindre les deux bouts, et confier son enfant à une crèche digne de ce nom coûte les yeux de la tête. L’essentiel, c’est de trouver où garder l’enfant pendant qu’ils travaillent.
C’est pourquoi il est important que les employeurs publics et privés et les collectivités locales se mettent de la partie. Notamment en ouvrant des crèches dignes de ce nom, avec les structures et infrastructures appropriées et surtout, un personnel qualifié et dévoué.
Ces dernières semaines et derniers mois, plusieurs enfants ont été impliqués dans des délits de drogue. Selon les ONG, la consommation et le trafic de drogue parmi les jeunes prend beaucoup d’ampleur. Quelle riposte à cette situation ?
Des enfants utilisés comme des mules, des enfants consommateurs de drogue de plus en plus dangereuses… La situation est alarmante. Il y a eu le rapport Lam Shang Leen et ses nombreuses recommendations. Qu’attend le gouvernement pour mettre ce rapport en œuvre ? En attendant, les parents pleurent leurs enfants.
Les cas de viol et d’agressivité sur les parents ou autres grands-parents ne se comptent plus. Savez-vous qu’il y a des parents qui, volontairement, emmènent leurs enfants accros pour acheter leur dose ? Juste pour ne pas être brutalisés par ces derniers. Vous imaginez combien cela est dur pour ces parents ?
À une certaine époque, la NATReSA menait un combat contre la prolifération de la drogue. De 2000 à 2005, il y avait un High Level Committee sur le sujet. Ce comité était présidé par nul autre que le Premier ministre à intervalles réguliers et comprenait des ONG, des personnels de la Santé, de même que des membres de l’opposition.
La population se demande où les trafiquants parviennent à trouver des devises pour importer de la drogue, alors que pour importer un médicament ou autre article non-disponible à Maurice, les petites gens passent souvent par des tracasseries pour obtenir les devises nécessaires.
Il y a certes des arrestations, mais pas de poursuites. Certains gros trafiquants sont encore logés, nourris et blanchis aux frais des contribuables, mais les enquêtes peinent à être complétées.
Il y a des arrestations et puis après, plus rien. Il n’y a pas de suite. Tout cela à cause de l’ingérence politique.
Faut-il revoir la manière de sensibiliser le public ? Faut-il encore durcir les lois ?
Évidemment, il faut des campagnes de sensibilisation sans cesse renouvelées au vu du nombre de nouvelles drogues qui font surface et inondent le pays. Il faut trouver de nouvelles méthodes pour toucher tout le monde en ciblant différents groupes. Le MMM a dit et redit que les consommateurs de drogues sont des malades qui méritent des soins. En ce qui concerne les trafiquants, la loi doit être appliquée dans toute sa rigueur.
Les cas de « bullying » dans les écoles sont également fréquents. Par quelle approche traiter ce problème ?
Où est passé notre sens du civisme, de l’amitié et de la solidarité ? Ce sont des valeurs qu’il faut continuer à inculquer à nos enfants, à la maison comme à l’école. Aujourd’hui, nos enfants n’ont plus de repères et se sentent perdus.
Les enfants et les ados ont besoin de bouger. Ils sont pleins d’énergie. Mais est-ce qu’ils le dépensent comme il faut ? Est-ce que l’éducation physique est toujours pratiquée dans nos écoles ? Est-ce que l’on accorde suffisamment de temps à cette discipline ?
Le fait est que nos enfants sont aujourd’hui accros aux écrans et ne dépensent pas cette énergie physique. Autrefois, dans chaque coin de rue, on voyait des enfants ki pe bat enn boul. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ce plein d’énergie est utilisé pour se défouler sur leurs petits camarades qui sont plus vulnérables et fragiles. Alors qu’ils auraient dû faire preuve d’empathie et de solidarité.
Il faut réintroduire le sens des valeurs dans nos écoles, de même que les activités physiques, et revoir notre mode de vie en mettant tout le monde à contribution, à commencer par les parents.
Parlons de la rentrée parlementaire, voulez-vous ? Vos relations avec le Speaker Sooroojdev Phokeer ont été pour le moins tumultueuses. Qu’espérez-vous pour cette rentrée ?
Nous attendons la rentrée parlementaire avec impatience. Il y a tellement de problèmes dans le pays et les vacances parlementaires sont trop longues. Nous reprenons le mardi 17 octobre et serons très probablement encore en vacances à partir de décembre. Cela fait beaucoup quand on sait qu’il y a tellement de problèmes dans le pays que nous devons soulever au Parlement.
Le problème, c’est que même au Parlement, nous n’arrivons pas toujours à soulever tous les problèmes, parce que le gouvernement utilise toutes sortes de subterfuges pour ne pas répondre aux questions.
Savez-vous qu’un parlementaire a aujourd’hui droit à deux questions supplémentaires seulement à sa question ? Et que les parlementaires n’ont plus le droit de poser des questions supplémentaires sur une question posée par un autre parlementaire ?
Savez-vous qu’il n’y a plus de débats au Parlement, comme ce fut jadis le cas ? Pourquoi ? Tout simplement parce que le temps imparti pour les débats se rétrécit de plus en plus. Et comme il y a souvent beaucoup de points à soulever sur un projet de loi, les députés lisent leurs discours pour présenter le plus d’arguments possibles dans un minimum de temps. C’est scandaleux ! La démocratie parlementaire meurt à petit feu.
En 41 ans de carrière politique et six mandats, j’ai vu plusieurs Speakers s’acquitter de leurs tâches avec tact et élégance. Mais le présent Speaker fait l’exploit d’expulser les parlementaires à tout-va. Et ceci, avec la complicité de ceux qui prétendent faire la politique autrement.
Il faut que nous, les parlementaires de l’opposition, puissions nous exprimer et faire notre travail. Nous sommes au Parlement non pas pour faire de la figuration, mais pour être les porte-voix de nos mandants et de la population en général. Nul ne pourra nous en empêcher.
Pensez-vous qu’il s’agisse de la dernière rentrée avant les prochaines élections générales ?
Toute la population le souhaite. Plus tôt les élections, mieux ce sera pour le pays. Le pays n’est plus au bord du précipice, mais déjà dans le gouffre. Le Premier ministre a concédé lui-même que les institutions sont pourries. Les petits copains sont à la tête de nos institutions les plus importantes. La situation économique et sociale est alarmante.
Les compétences ne sont pas reconnues. Les jeunes quittent le pays. Le système éducatif ne répond plus aux aspirations. La drogue fait des ravages. Cette situation n’est pas près de s’améliorer. Ce gouvernement est à bout de souffle. Un gouvernement en fin de règne.
C’est pourquoi il est nécessaire que les élections générales aient lieu dans les plus brefs délais. Si ce n’est pas cette année, ce sera définitivement l’année prochaine.
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