Jugée « permanently unfit » par le ministère de la Santé, Kelvina Venden (28 ans), handicapée depuis sa naissance, a récemment été licenciée de son poste d’Attendant à l’hôpital Dr Bruno Cheong, où elle a travaillé pendant plus de 10 mois.
En ce 3 décembre 2022, le monde a célébré la Journée mondiale des handicapés. L’objectif étant de favoriser l'intégration et l'accès à la vie économique, sociale et politique des personnes handicapées. Or, à Maurice, des individus avec un handicap disent toujours éprouver des difficultés à s’intégrer dans la société. C’est le cas de Kelvina Venden, 28 ans et atteinte de paralysie cérébrale depuis sa naissance. Conséquence, elle boite.
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Cette habitante de Centre de Flacq se dit dépitée depuis qu’elle a été informée, il y a environ deux semaines, de la cessation de son emploi par le ministère de la Santé. En fait, Kelvina Venden s’est jointe à l’hôpital Dr Bruno Cheong comme Attendant (Hospital Services) le 16 janvier dernier. Pour cela, elle a démissionné de son poste de Customer Service Associate à Accenture.
Kelvina Venden, qui est en 3e année d’Anglais à l’Open University, explique que, dans le cadre de son embauche comme Attendant, elle devait faire l’objet d’un examen médical. Au final, elle est passée devant pas moins de trois Board. « Lors du 3e examen, une personne, qui s’est présentée comme un représentant de la Public Service Commission, m’a d’abord demandé pourquoi j’avais postulé ce poste. Elle m’a ensuite fait comprendre que, de par mon handicap, je ne pourrais accomplir toutes les tâches rattachées à ce poste. Elle m’a indiqué que je suis ‘overqualified’ et m’a, dans la foulée, suggéré de postuler un emploi où mon handicap ne serait pas un problème », soutient la jeune femme.
Depuis, c’est l’incompréhension dans la tête de Kelvina Venden. Selon elle, elle a fait part de son handicap, qu’elle juge « très visible », dès l’entretien d’embauche. « À aucun moment on m’a fait comprendre que je n’allais pas pouvoir faire ces travaux », souligne-t-elle. Si notre interlocutrice concède, en effet, qu’elle pouvait difficilement accomplir certaines tâches, comme soulever des objets lourds, le fait qu’elle travaillait en binôme, le problème ne se posait pas, selon elle.
De plus, notre interlocutrice dit ne pas comprendre cette décision, car lors du deuxième examen médical, le responsable du panel de médecins qui l’examinait lui aurait fait comprendre que suggestion allait être faite pour qu’elle puisse faire des travaux en fonction de ses capacités. « Le médecin a indiqué que vu que j’avais démissionné de mon ancien job pour prendre celui-ci, il allait recommander que des tâches adaptées à mes capacités me soient confiées », dit-elle.
En effet, si jusque-là, Kelvina Venden s’occupait de l’entretien de l’Outpatient Department (OPD) et de la Flu Clinic, elle a été transférée au Hospital Administrative Office, puis à la Procurement & Supply Section. Là-bas, elle s’occupait de tâches administratives et son travail avait été félicité (voir hors texte).
Kelvina Venden indique qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’un tapis rouge lui soit déroulé lorsqu’elle intégrait la fonction publique. « Je pensais qu’on allait, au moins, m’accepter. Mais je ne me suis pas senti accueillie. Ce n’était pas évident pour moi », confie-t-elle.
La jeune femme de 28 ans avance qu’elle ne souhaite pas qu’une autre personne passe par de telle situation. « Si finn fer sa ek mwa, zot kapav fer sa ek lezot osi. (…) Mo pe amenn sa komba la pou mwa me osi pou lezot », affirme-t-elle.
Expérience humiliante
Kelvina Venden indique qu’elle s’est sentie mal à l’aise dès le premier examen médical. « L’examen a été fait par un médecin dans le Record Office, au vu et au su des autres collègues. ‘Pa ti ena privacy’. D’ailleurs, après l’examen, un collègue qui a tout entendu m’a demandé : ‘banla kot pou met twa aster ?’ », raconte-t-elle. Et d’ajouter : « Mo ti fini ekroule la mem, monn koumans plore », dit-elle. Notre interlocutrice avance qu’après le 3e examen, un personnel de l’hôpital lui aurait suggéré de démissionner. « Li dir rezilta pou negatif mem, mie vo mo demisione mo mem », soutient-elle, précisant qu’elle n’a pas voulu suivre ce conseil.
La Santé réagira
Au courant de la semaine, le Défi Plus a adressé un courriel au service de presse du ministère de la Santé pour une réaction. Un cadre nous a fait comprendre que le ministère donnera sa version des faits une fois toutes les informations en main.
Dans un testimonial daté du 1er décembre : L'hôpital évoque un « working standard very satisfactory »
Dans un ‘testimonial’ daté du 1er décembre et octroyé à Kelvina Venden, l’administration de l’hôpital Bruno Cheong soutient que la jeune femme « has the required capacity to work in any Department and office as she possesses the required intellectual and academic qualities, related work experience and the ambition of growing both professionally and academically ». Et d’ajouter : « Her working standard is very satisfactory, she is regular in attendance and she also has a pleasant personality ».
Ali Jookhun : «Un mauvais signal envoyé par le gouvernement aux personnes handicapées»
Contacté, Ali Jookun, président de U-Link, une ONG qui milite en faveur des personnes en situation de handicap, affirme d’emblée que le handicap de Kelvina Venden n’est pas une raison valable de son renvoi. « Il faut lui confier des tâches en fonction de sa capacité, et non en fonction de son handicap », fait-il ressortir.
Ensuite, il s’interroge sur la décision qu’il juge « tardive » du ministère de la Santé sur le « fitness » de la jeune femme. « Ou pa kapav pran 10 mwa pou determinn fitnes enn dimounn », déplore-t-il. Il ne manque d’ailleurs pas de souligner que de janvier à novembre, soit durant plus de 10 mois, Kelvina Venden a travaillé normalement. « Ki li ti pe fer tou sa letan la ? »
« Permanently unfit »
Ali Jookhun se dit d’autant plus outré par le terme « permanently unfit » (voir photo) utilisé par le ministère de la Santé dans la correspondance du 21 novembre pour justifier le licenciement de Kelvina Venden. Un terme que le président de U-Link qualifie de « dénigrant ». « Eski pe donn li enn sertifika, pe dir li ki zame li pa pou kapav travay dan so lavi ? » s’insurge-t-il, soulignant que de tel terme est condamné par des conventions des Nations unies dont Maurice est signataire. « C’est dommage que cette façon de faire archaïque soit toujours prévalente dans la fonction publique », dénonce-t-il.
Aussi, il considère que le gouvernement serait en train d’envoyer un « très mauvais signal » envers les Mauriciens avec un handicap. Il parle de non-respect de la Training and Employment of Disabled Persons Act. « Cette loi, en somme, préconise que pour chaque 35 employés dans une entreprise, il faut embaucher une personne avec un handicap. Dans les discours, on parle d’inclusion, du respect des droits des personnes handicapées, etc. ‘Kifer servis sivil pa komans par donn bon lexzamp li mem ? » demande-t-il.
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