Allia Syed Hossen-Gooljar, vice-présidente du Mauritius Council of Social Service, dresse un bilan de notre société et nous livre son constat concernant la situation de la femme mauricienne.
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Une femme assassinée par son époux et une autre brûlée par son mari récemment… Un commentaire ?
Évidemment, je suis triste et choquée. D’autant qu’avant d’être tuées, la plupart de ces femmes ont été victimes de violence et/ou soumises à toutes sortes de mauvais traitements durant des mois, voire des années. Malheureusement, pour beaucoup de femmes, la maison est le lieu le plus dangereux qui soit.
Notre société va-t-elle aussi mal ?
Nous avons beaucoup progressé sur les plans économique et technologique, mais c’est le chaos sur le plan social. Il y a une érosion des valeurs. Plusieurs raisons expliquent cela. D’abord, notre système éducatif a failli en termes de formation. L’excellence académique a été privilégiée au détriment de l’enseignement des valeurs humaines. Ajouté à cela, les parents ne font pas l’effort nécessaire pour pallier ce manque. Il faut aussi reconnaître que certains hommes religieux ont failli en mettant davantage l’accent sur les rites et rituels que sur les valeurs spirituelles et morales. Il y a aussi l’influence des médias, qui échappent au contrôle des parents. Les gens développent un point de vue déformé des réalités de la vie, que ce soit en termes d’éducation sexuelle ou sociale. Enfin, il y a la frustration de ne pas pouvoir satisfaire tous ses désirs et besoins matériels.
Que pensez-vous des amendements apportés à la Domestic Violence Act ?
Je félicite la ministre de l’Égalité des genres pour cette initiative. Cependant, le plus gros reste à faire, c’est-à-dire rendre accessible cette nouvelle loi aux hommes et femmes victimes de violence domestique. Une fois les lois promulguées, cela ne signifie pas que les gens en bénéficient de facto. Amartya Sen, Prix Nobel d’Économie 1998, disait dans son livre Development as Freedom que les gens peuvent certes avoir des droits, mais si les dispositions ne sont pas prises pour leur permettre d’y avoir accès, ceux-ci ne resteront que sur papier. Il est important de vulgariser cette loi auprès de la population. Il faut mettre des structures en place afin de donner refuge aux femmes victimes de violence domestique.
Souvent, elles subissent de mauvais traitements au sein du couple pendant des années, mais restent avec leurs bourreaux parce qu’elles ne savent pas où aller. Ce n’est pas facile pour une femme de trouver, du jour au lendemain, un lieu pour vivre. C’est encore pire si elle est femme au foyer, donc sans aucun revenu. Il faut aussi accorder une attention particulière aux femmes vivant avec un handicap. Elles sont encore plus vulnérables à l’abus financier. Ces femmes n’ont d’autre choix que de subir la violence conjugale, ne sachant pas où aller. Certaines subissent en silence des sévices sexuels dans leur propre maison. Ou alors, sont humiliées, dénigrées et ridiculisées.
Certaines femmes ne risquent-elles pas d’abuser de ces nouvelles dispositions légales pour régler leurs comptes avec leur conjoint ?
Le risque d’abus est malheureusement une réalité. Ce n’est pas parce qu’une minorité d’hommes et de femmes malhonnêtes peuvent utiliser cette loi pour punir leur conjoint qu’il faut toutefois pénaliser la grande majorité, qui sont de réelles victimes de violence domestique.
L’évêque de Port-Louis disait récemment que leurs obligations professionnelles empêchaient beaucoup de femmes de jouer pleinement leur rôle de mère. Partagez-vous cet avis ?
Absolument ! La maman est la première éducatrice de l’enfant. Malheureusement, les horaires de travail ne lui permettent pas de jouer pleinement ce rôle. Rappelons que certaines travaillent du matin au soir. D’autres cumulent deux ou trois boulots. C’est difficile, dans ce cas, de voir grandir ses enfants. Comme l’a souligné monseigneur Maurice Piat, aujourd’hui, hommes et femmes travaillent au sein d’un système économique où l’on est obsédé par le profit. Cela impacte sur la famille. Le monde du travail doit être restructuré. Il ne prend pas en ligne de compte la diversité de la population et n’est toujours pas adapté aux femmes. Pourtant, cela fait des décennies que les femmes sont sur le marché du travail. Il faut aider les salariés à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Cela signifie donner aux femmes des opportunités afin qu’elles s’épanouissent dans le monde du travail et en même temps, inciter les hommes à investir l’espace familial. Les autorités doivent mettre en place des structures encourageant les pères à s’occuper de leurs enfants. En Suède, l’État incite les pères à s’occuper autant que les mères de leurs enfants.
Une femme qui doit revoir ses horaires de travail pour s’occuper de sa famille ne risque-t-elle pas d’être pénalisée ?
À la naissance d’un enfant, c’est souvent la femme qui doit mettre sa carrière en veilleuse pour s’en occuper. Ainsi, ses chances de promotion sont retardées. Cela explique pourquoi, selon une étude du Mauritius Institute of Directors (MiOD), il n’y a que 7 % de femmes dans les conseils d’administration des 10 Top Companies de Maurice. Seulement 23 % des directeurs enregistrés sont des femmes. Avec l’arrivée d’un enfant, certaines femmes n’ont pas d’autre choix que d’opter pour le travail à temps partiel… Avec pour conséquences : moins de revenus, réduction des chances de promotion et augmentation du temps réservé aux tâches domestiques. Les autorités doivent venir avec des mesures afin de pallier les difficultés auxquelles font face les femmes salariées. Il est grand temps de réfléchir aux nombreux dysfonctionnements de la structure professionnelle faisant obstacle à l’épanouissement de la femme.
Est-ce facile, dans la conjoncture, de répondre positivement aux appels des membres du gouvernement pour avoir plus d’enfants ?
Il est important de voir les raisons pour lesquelles certaines femmes refusent d’avoir plus d’enfants. On a tendance à croire que c’est uniquement pour des raisons économiques. Tel n’est pas le cas. Il y a des raisons beaucoup plus profondes et plus pratiques. La femme est appelée à s’investir pleinement sur le plan professionnel et, en même temps, à donner priorité à la famille. Le Pr Bianca Beccalli, directrice d’un centre d’études sur les femmes à l’université de Milan, a défini ce paradoxe. Pour elle, la femme vit avec deux injonctions contradictoires : « Sois une mère » d’un côté et « sois un homme » de l’autre. On demande souvent aux femmes si elles ont réussi à concilier leur vie de famille avec leur carrière. Pose-t-on cette question à un homme marié et salarié ? La plupart des hommes ne réalisent pas qu’ils ont plusieurs rôles : mari, père et salarié. Naturellement, en retournant du travail, certains disent à leur femme salariée, qui demande de l’aide pour les travaux domestiques : « Tu ne vois pas que je suis fatigué ? ». Cette mentalité doit changer.
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