À quelques semaines de l’organisation des élections législatives que d’aucuns qualifient d’encore plus « décisives » que les précédentes, Alexandre Laridon, doctorant en droit (Paris-Nanterre), s’interroge sur les surenchères auxquelles se livrent les principaux partis politiques de Maurice. « Il n’y a aucun débat des idées sur les véritables enjeux, dont le type de société auquel nous aspirons, la démocratie participative, la réforme de la Constitution, les chances égales à tout Mauricien ou encore les enjeux liés au réchauffement climatique ».
« Gouverner, c’est prévoir », lâche ce lundi après-midi Alexandre Laridon, rencontré chez lui à Port-Louis. « Depuis ces derniers mois, on assiste à un drôle de jeu où les enchères politiques et le populisme pèsent plus lourd que les préoccupations importantes quant à l’avenir de notre pays. Il faut s’arrêter pour réfléchir et prendre de la hauteur sur des enjeux qui concerne tout le monde et sans considération partisane afin de pouvoir répondre aux aspirations de la société et des Mauriciens », fait-il ressortir d’emblée. En 2016, un peu avant tout le monde à Maurice, il nous mettait en garde contre la sortie de l’Angleterre de l’Union européenne. « Le Brexit va nous obliger à redéfinir nos rapports avec l’Angleterre », confiait-il.
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Aujourd’hui, il souhaite que chaque Mauricien, indépendamment de ses choix politiques, réfléchisse sur des défis autrement plus préoccupants que des rhétoriques politiques et la langue de bois.
L’assistanat
« Les aides sociales ont pris la forme d’assistanat en tout lieu durant ces derniers mois. Nous avons dépassé plus qu’il n’en faut en aides sous le “Welfare State”. Un exemple : les prêts bancaires sans intérêt aux jeunes de 18-35 ans : est-ce que c’est une promesse viable sur le plan économique ? Quels en sont les critères ? À tous les points de vue, nous sommes entrés dans une spirale de l’assistanat sans demander en contrepartie d’efforts. Nous sommes entrés dans une période où l’aide sociale est devenue la norme. Les économistes ne cessent de nous rappeler qu’il faut réformer notre mode de travail afin de fonctionner ‘mieux et de manière efficiente’. Mais, je me désole qu’on n’écoute pas la parole des économistes ou des autres spécialistes hors du champ politique à Maurice. Or, le drame c’est que bien souvent de nombreux politiciens restent au niveau des slogans, des clichés ou des superficialités. Comment, à ce compte-là pouvons-nous élever le débat politique avec un niveau proche des pâquerettes ? Est-ce que nous considérons nos compatriotes comme des femmes et des hommes qui ont un niveau médiocre ? Nous sommes un pays où la chose politique occupe un espace disproportionné. Sans doute faudrait-il que les radios s’investissent davantage dans leur mission pédagogique qui consisterait, entre autres, à sensibiliser la population sur les notions de base de l’économie, de l’environnement, la solidarité citoyenne, le sens de l’équité, celui des égalités ».
Le rôle de l’école dans la formation du citoyen
« Durant toute la campagne électorale, le quotidien du Mauricien est focalisé sur la chose politique. Or, une fois passées les élections, ce dernier ne s’intéresse plus aux projets de société des partis. Chaque citoyen, dans chaque ville et village, devrait pouvoir vérifier si les projets sont réellement mis en œuvre et si le parti au pouvoir respecte les engagements qu'ils contiennent. Cependant, pour y arriver, il faut déjà que chaque Mauricien ait compris le sens de ces engagements. Il faudrait qu’au préalable, durant la campagne électorale, tout projet de gouvernement ait été soumis à la réflexion citoyenne, ce qui forcerait les candidats à la députation de se soumettre aux questions les plus critiques et, ainsi, l’obligation de s’expliquer sur n’importe lequel de leurs projets : où trouver des ressources, les ‘right persons’, quelle feuille de route et comment mobiliser les moyens ? Il faut obliger ces personnes à faire preuve de cohérence et non à utiliser la langue de bois et des discours classiques. Cependant, pour ce faire, il faut avoir une conscience citoyenne, hors des cadres des partis politiques. Cette conscience, on l’acquiert pendant le parcours scolaire, où on initie l’enfant à la réflexion critique et plus tard, devenu adulte, au frottement de personnes issues de milieux opposés, il consolide cet esprit d’indépendance et se donne les outils indispensables afin d’identifier les possibles perversions de notre société. Il faut que notre système éducatif propose l’étude de l’histoire de l’île Maurice, en mettant l’accent sur ses mutations économiques, sociales, culturelles, les grands tribuns, mais aussi les personnalités majeures de notre histoire ».
Depuis ces derniers mois, on assiste à un drôle de jeu où les enchères politiques et le populisme pèsent plus lourd que les préoccupations importantes quant à l’avenir de notre pays"
Pour répondre aux défis sociétaux et aux besoins de l’individu face à la connaissance, notre système éducatif doit être en mesure de faire progresser les capacités critiques des élèves de façon appropriée et d’identifier scientifiquement les meilleurs moyens d’atteindre ce développement. À ce titre, il convient aussi de mettre l’accent sur l’éducation aux médias et à l’information (ou à l’intox), dispensée sur les réseaux sociaux, les blogs, les sites web. « Nous ne pouvons continuer à accepter la réflexion selon laquelle nous avons les dirigeants politiques que nous valons. Prenons l’exemple récent de la France, où le Président Macron a dissout le Parlement après les résultats des élections européennes du 9 juin 2024, où son parti, Renaissance, a connu une défaite cinglante, ce qui l’a conduit à organiser des élections législatives avant terme. Son parti ensemble (ENS ) avait été battu. J’estime qu’il s’agit là d’une véritable décision s’inscrivant dans les normes démocratiques, où un Président de la République a pris conscience de son impopularité. Or, à Maurice, toute la population est suspendue à l’annonce de la décision du Premier ministre d’organiser les futures élections générales. Entretemps, les spéculations les plus folles circulent ».
Les mutations sociales et culturelles : la nouvelle donne
Les avancées dans les technologies de l’information et des télécommunications de même que l’engouement provoqué par l’Intelligence artificielle sont en train de bouleverser les rapports du « vivre-ensemble » entre nous, qui sommes constitués d’apports culturels de trois continents. Le téléphone mobile a graduellement mis fin aux liens familiaux et a établi d’autres types de rapports qui n’autorisent plus de contacts dits « physiques ». Or Maurice est une petite île où tout le monde se connait, où les voisins se parlent, où l’école joue son rôle d’espace de socialisation, d’entraide et de solidarité, tous deux indispensables dans une société pluriculturelle comme la nôtre.
Parmi toutes les périodes de la vie et les espaces sociaux, le temps et le lieu de l’école se distinguent par une double spécificité : jamais au cours de sa vie, l’individu ne subit autant de transformations physiques et psychiques, dont chacune représente à des degrés divers des chocs biographiques. La scolarisation dans un collège d’État déjà catégorisé par des « étoiles », par des institutions privées, ici aussi caractérisées soit par le système éducatif mauricien, soit par le système français ou anglophone (sanctionné par le fameux Bac international) ne produit pas le même citoyen mauricien au sortir de ces institutions. Et à ce titre, on en est aussi amené à se demander si l’école réussit-elle dans son rôle comme ascenseur social ou en revanche, un endroit qui perpétue les inégalités. Les mutations dans le monde du travail, notamment avec la croissance dans l'univers de la finance, de la banque, des métiers du droit et de la communication, ont donné naissance à une catégorie de professionnels issus de toutes les communautés et eux-mêmes en provenance de toutes les régions du pays. Une nouvelle classe de salariés de haut niveau se côtoie en permanence. En raison de la nature de leur métier, ils sont amenés à partager les mêmes valeurs morales et philosophiques.
Dans le même temps, des jeunes, eux hyper exposés aux réseaux sociaux et nettement plus nombreux, sont en train d’adopter des modèles culturels venus d’ailleurs. Il s’agit là d’une nouvelle donne en matière de références économique, sociale et culturelle qu’il faut tenir en ligne de compte dans les analyses et réflexions sur les mutations que traverse la société mauricienne.
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