Les mauvais chiffres dans l’industrie touristique ne cessent d’interpeller les acteurs et observateurs dans ce pilier économique de Maurice. Chacun y va de son analyse, afin d’interpréter ce sombre tableau. Ajay Jhurry, ancien directeur de l’Association of Tourists Operators (ATO), fait ressortir la nécessité d’offrir une offre ‘mixte’ pour capter le marché asiatique.
Le secteur du tourisme mauricien a connu de mauvais résultats durant ce premier trimestre de 2019 : baisse drastique des arrivées de touristes chinois et celle des dépenses des touristes, en général, à Maurice. Est-ce une situation conjoncturelle ou l’amorce d’une situation qui risque de s’empirer ?
Nous constatons effectivement une baisse dans nos arrivées touristiques, provoquée par le marché chinois en particulier. De par notre positionnement, nous avons développé dans le temps différentes saisonnalités, afin de pouvoir maintenir un taux de remplissage émanant de différents marchés. Ceci dit, évidemment, une chute d’un marché quelconque aura un impact sur l’ensemble. L’essentiel c’est d’identifier là ou les raisons et si, parmi, nous avons des raisons tel que notre produit comme destination, notre compétitivité vis-à-vis de nos compétiteurs, notre accès ou le service, là on a de quoi s’inquiéter, car cette baisse peut se répandre aussi sur d’autres marchés.
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Quel est, à ce jour, l’état de l’attractivité de la destination Maurice ?
Qu’est-ce qui nous rend attractifs ? Nos plages, notre soleil, notre sable ? Nous ne sommes pas uniques au monde. Je pense que nous nous sommes en conflit interne pour mettre en place l'Unique Selling Point. Entre-temps, les autres prennent le dessus sur nous et nous finissons à nous retrouver avec la charrue devant les bœufs.
A-t-on eu raison de diversifier notre marché avec, d’une part, le risque de mettre en danger nos acquis européens et, d’autre part, sans une véritable expérience des marchés indiens et chinois ?
La diversification, en elle-même, est une bonne chose, le fait que notre outbound se développe aussi, donc cela aide la compagnie aérienne et, dans le même élan, cela aide à amortir le coût du transport et finalement la destination. La diversification n’est pas un danger pour nos marchés traditionnels. C’est nous qui sommes partis à l’aventure et à la recherche de ces marchés, afin de combler le vide pendant la baisse saison. Avec le temps, l’intérêt a été si fort que certains ont même investi en établissant leur PR dans leurs marchés avec le même mode d’opératoire comme en Europe.
Est-ce que l’île Maurice s'intéresse-t-elle véritablement ces deux nouveaux segments ? Est-ce que les Chinois et les Indiens recherchent-il la plage, les cocotiers, le bronzage…. ? Quelles sont leurs attentes ?
C’est à nous de faire découvrir aux clients le produit. Il ne faut pas essayer de vendre quelque chose qu’on ne veut pas faire découvrir ou qu’on n’a pas. Et on peut aussi développer ou innover si on veut avoir le marché. Les Asiatiques aiment la plage, mais seront moins pour le bronzage. De nos jours, c’est un mixte, dépendant du segment d’âge que nous ciblons aussi.
Est-ce que l’île Maurice est-elle considérée comme une destination chère ?
Tout ce qui est haut de gamme est considéré comme cher. Nous avons un désavantage, étant à douze heures de vol de nos marchés principaux, ce qui nous rend donc plus cher que nos compétiteurs. Et cette cherté finalement devient une perception que Maurice est inaccessible pour les trois étoiles, entre autres. Autrefois, il y avait une école de pensée qui affirmait qu’il fallait nous positionner comme du haut de gamme et c’est cette stratégie qui allait bénéficier aux pays à petits moyens. Au final, on a été promu comme du haut de gamme, ce qui décourage les voyageurs de la classe moyenne qui croient que même nos petits hôtels sont chers.
Le ministre Gayan a récemment blâmé la politique de non-ouverture d’Air Mauritius. A-t-il ou non raison ?
Je n’ai pas de préjugé. Nous nous retrouvons souvent dans des circonstances paradoxales. Je pense que le problème, que ce soit la baisse dans nos arrivées touristiques ou la perte d’Air Mauritius, est beaucoup plus fondamentalement lié à la source de notre vision ou de ce qu’on veut faire réellement. C’est à ce niveau qu’on est perdu entre le gain des investisseurs ou le souci de rendre Air Mauritius une entité profitable. La vérité n’est pas forcément dans ce qu’on entend et qui sort aussi facile.
L'Asie n'est pas le marché prioritaire."
Est-ce que le parc hôtelier mauricien s’est-il ouvert aux clientèles asiatiques, compte tenu que nos grands hôtels ont constamment mis l’accent sur les marchés européens, considérés comme acquis et plus dépensiers ?
L’Asie n’est pas le marché prioritaire. Toute la stratégie commerciale est fondée sur la nécessité de combler la basse saison avec le marché asiatique et de faire rentrer plus d’argent en provenance des marchés principaux pendant la haute saison. On ne peut blâmer personne, ni les TO asiatiques, qui préfèrent envoyer leurs clients vers une destination où ils ont la garantie d’obtenir des chambres tout au long de l’année, ni blâmer les hôteliers pour leur volonté d’accueillir le maximum de clients pendant la haute saison, ou encore blâmer l’État pour avoir décidé de développer ce segment. L’État a le rôle de développer les marchés et mettre aussi les facilités à la disposition des hôteliers et c’est réciproque aussi pour que les hôteliers jouent le jeu commercial. Concernant le marché asiatique, chacun a tiré sa leçon. L’essentiel, c’est que nous soyons plus responsables dans la recherche d’un intérêt commun, public et privé.
Vous aviez eu l’occasion de mettre l’accent sur la contribution des PME au développement du secteur touristique mauricien. Est-ce que, à ce jour, votre souhait s’est-il concrétisé ?
La reconnaissance des PME dans cette industrie est établie depuis que l’idéologie d’une démocratisation de l’économie s’est développée. Le processus d’intégrer le secteur informel au formel où positionner les PME est un combat perpétuel, surtout dans notre système. Les PME doivent assumer, mais la volonté politique demeure la clef et sans relâche. Avec les nouvelles dynamiques internationales même locales, nous avons l’urgence de revisiter nos objectifs pour les PME de cette industrie avant qu’il ne soit trop tard. Les institutions ont beaucoup à découvrir, de par leur nature, leur fonctionnement, etc.
Est-ce que, de manière générale, le secteur du tourisme mauricien nécessite-t-il un nouveau souffle, après sa création après l’Indépendance et son essor dans les années 1990-2000 ? On parle du développement d’un tourisme culturel et écologique fondé sur l’authenticité mauricienne…
Un exercice de refonte est important pour se réinventer pour rester dans la dynamique. C’est une des industries vieillissantes, au-delà même de l’independence de Maurice. À mon avis, depuis plus d’une décennie, on a dépassé notre ‘cross road’. Souvent, il y a eu pas mal de discours et là, on s’est vraiment égaré. Il y a, en plus, une guerre, afin de battre le record des chiffres, sachant parfois que le retour n’est que de courte durée. Nous ne sommes plus dans la configuration des années 1990-2000. Beaucoup de choses ont évolué : la tendance des consommateurs, le mode opératoire des partenaires dans la chaîne de distribution et aujourd’hui, on parle même de 'multichannel'. Donc, si nous ne nous adaptons pas avec une nouvelle approche, on laissera les autres prendre le dessus. Le tourisme culturel n’est pas un nouveau segment ou une tendance mondiale. Nous avons pris du retard sur ce marché. Je crois fermement en notre authenticité, en dépit du fait que nous avons failli à maintenir une politique en cohérence avec le développement durable.
Quelles sont les propositions que vous souhaitez que le Budget 2019-2020 contienne, afin de redonner la confiance au tourisme mauricien ?
Nous allons soumettre nos propositions après la consultation prébudgétaire. Nous espérons qu’en outre du montant du budget alloué au ministère du Tourisme, le Budget contienne aussi des mesures qui vont dans le sens d’une distribution équitable à tous.
L’intégration des PME à notre système est loin d’être complète. Notre système économique post-indépendance est conçu sur le capitalisme. Notre destin est resté entre les décideurs du capitalisme : toujours le plus d’argent, le plus de financement, pour consolider le pouvoir et pour monopoliser l’économie. Dans ce chaos, remettre le compteur à zéro est important et pour cela, l’année financière 2019-2020 doit être une année amnistie pour toutes les PME.
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