Une série de mesures a été annoncée dans le Budget 2017-18 afin de relancer le secteur manufacturier à Maurice. Pour le patron de Star Knitwear, Ahmed Parkar, le plus gros problème dans ce secteur demeure le manque de main-d’œuvre locale, d’où la nécessité pour notre pays de se tourner vers les travailleurs étrangers.
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« … si nous n’arrivons pas à vendre les produits finis, nous pouvons en revanche exporter de la matière première… »
Comment se porte le secteur manufacturier à Maurice ?
Ces trois dernières années, le secteur manufacturier a dû faire face à une situation difficile. D’une part, le marché sud-africain a connu des perturbations, avec une baisse du rand et une baisse de confiance sur le marché en général. D’autre part, le Brexit n’a pas arrangé les choses. La vente est un élément très important dans ce secteur et si nous n’arrivons pas à écouler nos produits, cela constitue un très gros problème.
Aussi, il faut souligner que nous n’avons pas une grande visibilité et que le secteur essaie encore d’évoluer. Néanmoins, nous avons l’expertise requise et le savoir-faire. Dans le secteur du textile, par exemple, si nous n’arrivons pas à vendre les produits finis, nous pouvons, en revanche, exporter de la matière première, en l’occurrence, le tissu.
Le Sri Lanka et le Vietnam importent du tissu de la Chine et c’est assez cher pour eux. Géographiquement, Maurice n’est pas très loin du Sri Lanka et je pense que nous devons étudier toutes les possibilités pour conquérir de nouveaux marchés.
Quelles sont les principales contraintes ?
Le manque de main-d’œuvre locale demeure notre plus gros défi. Quand on fait appel à la main-d’œuvre étrangère, il nous faut payer les billets d’avion des travailleurs et leur trouver un logement adéquat.
Cela nous revient presqu’au même coût que si nous aurions engagé des Mauriciens. Le secteur manufacturier mise principalement sur la main-d’œuvre, mais nous faisons face à un manque cruel de personnes qui pourraient travailler dans des usines et c’est pour cette raison que les opérateurs préfèrent délocaliser vers Madagascar ou le Bangladesh. Il faut aussi se rendre à l’évidence que Maurice vise à devenir un pays à hauts revenus et nous produisons de plus en plus d’intellectuels. Je pense que, pour faire face à ce problème dans le secteur d’exportation, il faut avant tout bien définir le vision statement.
Y-a-t-il suffisamment de mesures dans le Budget 2017-18 pour soutenir ce secteur ?
Oui, je pense que les mesures annoncées dans le budget seront bénéfiques pour le secteur. À commencer par la décision d’introduire une exemption fiscale de huit ans pour les nouvelles entreprises engagées dans la fabrication de produits pharmaceutiques, de dispositifs médicaux et de produits de haute technologie. De plus, la Corporate Tax est passée à 3 % pour les bénéfices sur l’exportation. Néanmoins, il faut regarder l’industrie dans sa globalité, en prenant en considération les divers coûts de production.
« Aujourd’hui, même les boulangeries et les restaurants à Maurice doivent faire appel à la main-d’œuvre étrangère »
Quelles autres mesures auraient dû être prises pour booster ce secteur ?
Les mesures fiscales prises lors du budget vont booster le secteur de l’exportation, mais je pense qu’il faut plus de flexibilité quant à l’octroi des permis de travail aux étrangers. Le Ease of doing business requiert aussi plus de souplesse.
Je suis également d’avis que le flux de bateaux dans notre port et le nombre de vols jouent un rôle important dans l’écoulement de nos produits. Un plus grand nombre de bateaux ou d’avions qui viendrait à Maurice serait bénéfique pour notre secteur. Il serait souhaitable aussi que des mesures soient prises pour que Maurice devienne une plate-forme de réexportation. Nous avons les ressources humaines nécessaires et un personnel qualifié pour le faire.
Au premier trimestre, nos entreprises tournées vers l’exportation accusaient une baisse de 10,7 %. Qu’est-ce qui explique cela ?
Cela est principalement dû à la délocalisation. Quand un opérateur quitte le pays, il ne reviendra jamais. Il est parti parce que l’environnement ne lui est plus propice. Toutefois, il ne faut pas paniquer en raison d’une baisse. J’ai constaté aussi que le secteur du textile a chuté de 17 %. Il faut continuer à affronter les difficultés et essayer d’améliorer les structures économiques et, par la même occasion, réinventer l’industrie. Il ne faut pas non plus oublier que, dans le passé, le secteur d’exportation comptait plus de 100 000 employés, alors que ce chiffre est passé à 45 000. N’empêche, le secteur est toujours là.
Comment la baisse de la Corporate Tax de 15 à 3 % sur les bénéfices générés par l’exportation peut-elle aider à relancer les entreprises locales et redynamiser l’exportation ?
Cette mesure va bénéficier à tous les acteurs économiques du pays. Il ne faut pas oublier que le secteur manufacturier s’est rétréci. Le taux de 3 % va permettre à l’industrie de grandir à nouveau et les revenus vont s’accroître. Cela va également créer un climat de confiance.
Rappelons aussi que Maurice n’est pas un pays subventionné et il nous faut explorer le marché mondial pour écouler nos produits. Les modèles économiques à travers le monde ont changé. Désormais, il y a la vente en ligne et il nous faut revoir nos stratégies de marketing et nous adapter à cette nouvelle tendance. Je suis d’avis que Maurice ne doit pas se limiter au textile et autres produits manufacturiers. On devrait songer à un medical hub et un educational hub également.
Le gouvernement a décidé d’étendre le « 8-year work permit » des travailleurs étrangers. Est-ce une mesure préjudiciable à nos travailleurs locaux, sachant que Maurice affiche un taux de chômage de 7,3 % ?
Certainement pas. Cette mesure n’affectera nullement les travailleurs mauriciens dans ce secteur. Aujourd’hui, si j’annonce des postes vacants pour mon entreprise, je suis certain que personne ne serait intéressé à venir travailler dans une usine. Le secteur manufacturier et, en particulier, celui du textile est un secteur très exigeant.
Ce qui explique peut-être que les gens ne souhaitent pas y travailler. Cette mesure ne change pas grand-chose également, du fait que le flux de travailleurs étrangers à Maurice est assez important. Le seul souci serait de perdre un employé après l’avoir formé depuis des années et qu’il aille travailleur pour un compétiteur. Je pense que pour résoudre le problème de main-d’œuvre locale, il faut avoir une stakeholder meeting, tout en adoptant une approche holistique.
« Désormais, il y a la vente en ligne et il nous faut revoir nos stratégies de marketing et s’adapter à cette nouvelle tendance »
Que pensez-vous de la mise sur pied de l’Economic Development Board (EDB) ?
C’est une très bonne chose pour le secteur manufacturier. Cette mesure a été accueillie favorablement par la majorité des opérateurs, mais il faut que ce Board soit apolitique. C’est de cette façon qu’on pourra réellement accomplir des choses concrètes, tout en tirant le maximum du talent de notre main-d’œuvre.
Pour mitiger l’impact du Brexit, le gouvernement a annoncé la mise sur pied du « Speed-to-Market Scheme » l’année dernière et cette année. Pravind Jugnauth a décidé d’étendre cette facilité à d’autres filières. Comment se porte Maurice sur le marché européen ?
Malgré les différentes mesures prises, le marché européen a connu des fluctuations en raison des effets du Brexit. Il faut faire ressortir que nous subissons toujours les séquelles de la récession en Europe et, maintenant que l’Angleterre ne fera plus partie de l’Union européenne, il faut nous attendre à d’autres défis.
De son côté, le marché américain est sur une bonne dynamique (hausse de 9,1 % au premier trimestre). Pourtant, il n’y a aucune mesure pour encourager l’exportation sur ce marché…
Oui, il est vrai que, dans ce sens, rien n’a été annoncé. Cependant, je dois dire que les acteurs du secteur manufacturier ont demandé au gouvernement d’étendre le Speed-to-Market Scheme au marché américain. Un remboursement de 40 % sur le fret aérien dans le cadre de l’exportation de produits textiles ou autres pourraient amener d’autres développements sur ce marché.
Est-ce que nos exporta-tions vers les États-Unis sont menacées par les mesures « extrêmes » de Donald Trump ?
Non. Je pense que, dans l’immédiat, nous ne sommes pas concernés ou menacés par ces mesures. Le marché américain est le deuxième plus grand marché d’exportation de Maurice et on espère que tout ira pour le mieux.
« Il serait souhaitable aussi que des mesures soient prises pour que Maurice devienne une plateforme de réexportation »
Comment voyez-vous l’avenir du secteur manufacturier ?
Le secteur manufacturier sera toujours présent à Maurice, mais il va falloir évoluer et s’adapter aux changements. Les mesures fiscales auront aussi leur rôle à jouer à l’avenir de ce secteur. Comme je l’ai dit, le plus gros problème demeure le manque de main-d’œuvre. Aujourd’hui, même les boulangeries et les restaurants à Maurice doivent faire appel à la main-d’œuvre étrangère. C’est un phénomène, certes, mais cela permet aussi à l’économie de rouler.
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