Agents politiques : le travail des hommes de l’ombre

À l'approche des élections législatives du 10 novembre, l'attention se porte sur les leaders, ainsi que les candidats des différents partis politiques. Cependant, dans l'ombre, un réseau stratégique d'agents politiques travaille discrètement pour assurer la victoire de leur camp respectif.

Les agents politiques sont souvent méconnus du grand public alors qu’ils sont indispensables durant une campagne électorale. Ils mobilisent les électeurs, gèrent la logistique pour décorer les quartiers aux couleurs de leurs partis, et facilitent les réunions et congrès nocturnes. Leur travail de terrain orchestre les manœuvres essentielles pour faire émerger les candidats dans les 20 circonscriptions du pays. Lors des porte-à-porte, avec ou sans les leaders et candidats, ils utilisent les arguments de leurs partis ou alliances pour persuader les électeurs. Leur objectif, le jour J, est de convaincre ces derniers d'aller exercer leur droit civique.

Leur rôle, bien que souvent relégué au second plan, est crucial pour le succès électoral, façonnant non seulement les résultats des urnes, mais aussi l'avenir politique de notre pays. Pour en savoir plus sur leur univers, le Défi Plus a approché des agents de différents partis politiques, majeurs comme mineurs. Toutefois, en ce début de campagne électorale, ils sont peu bavards. Certains disent qu’ils sont pris avec les réunions nocturnes pour préparer le terrain afin de présenter les candidats aux électeurs des circonscriptions. D’autres affirment qu’ils sont occupés avec les porte-à-porte, à mettre des oriflammes ou encore à coller des affiches. 

D’un vieux routier de la campagne électorale, nous apprenons que c’est après le Nomination Day, prévu pour le 22 octobre prochain, que l’ambiance des élections législatives montera d’un cran. Ce sera surtout le cas avec l’enchaînement des congrès nocturnes et la création de « baz » pour l’élaboration des stratégies afin de convaincre les électeurs de leurs quartiers, de voter les candidats alignés par leurs partis politiques. « Zour eleksyon ki pou trouv azan politik plis en aksyon », dit-il. 

Dans cet article, explorerons les dynamiques de ces agents de l’ombre, révélant leur impact significatif sur le processus électoral.

Sam : « Mo fer azan parski mo kontan parti la … »

Quand il était un enfant, Sam (nom d’emprunt) accompagnait son père aux réunions politiques et dans les « baz » de son quartier lors des campagnes pour les élections générales. Agent politique depuis 25 ans maintenant, il soutient actuellement les trois candidats de l’Alliance Lepep dans sa circonscription. Pourquoi est-il agent politique ? « Mo fer azan parski mo kontan parti la. Mo donn enn koudmin pou fer ban kandida la eli ek kan zot eli, mo atan zot ran mwa servis », répond-il, sans hésitation.

Opérant dans l'ombre, Sam explique au Défi Plus que son objectif actuel est de travailler en équipe avec les autres agents de sa circonscription, pour faire élire les trois candidats en lice pour l’Alliance Lepep. A-t-il toujours soutenu le MSM ? « Dan le passé, monn soutenir Parti Travailliste ek PMSD. Monn bien travay lor terrain. Pann gagn satisfaktion. Aster mo soutenir MSM parski mo trouve linn fer plis developman ek seki bisin pou ameliore lavi ti-dimoun dan pays », confie-t-il. Est-il payé pour ce travail d’agent politique ? Il soutient qu’il ne travaille pas comme agent politique pour une question d’argent. Au cas contraire, il devra être redevable envers les élus du parti. « Mo ziss donn enn koudmin pou ki bann kandida la eli ek en retour, mo atan zot fer enn lizaz kan mo bizin enn servis », explique notre interlocuteur. Ce dernier cite en exemple qu'en cas de prière dans sa localité, il sollicite les élus pour obtenir une tente et des chaises ou encore si une personne handicapée a besoin d’une chaise roulante, etc. Les élus répondent-ils à ses demandes ? Sam sourit et affirme : « Zot bizin repon apre tou seki azan inn fer pou zot. San nou, zot nanyen ». Il admet, cependant, qu’il arrive que certains élus oublient les agents qui les ont soutenus. « Lerla, nou gran deseption kan nou realize nounn travay pou li ek nanyen li pa fer pou nou. Linn eli, li. Pou nou, tro tar. Linn fini servi nou, nou bizin aksepte », avance-t-il. 

En tant qu’agent politique, Sam explique qu’au début de la campagne électorale, il s'occupe de poser les oriflammes et coller les affiches. Il aide aussi à organiser des réunions nocturnes et fait du porte-à-porte. Avec les autres agents, il participe également à la création des « baz » aux couleurs du parti. Cela se fait-il dans le respect des adversaires ? « Nou akote bannla. Nou manz zot latet ek badine avek bann dialog ki nou parti ki pou gagne eleksyon. Zot si zot fer parey. Me nou respekte saken so kouler. Dan la vi, nou tou kamarad ziska zour eleksyon, kot nou vinn adversaire. Nou bizin viv bien parski apre eleksyon nou pou bizin vire ansam dan kartier », dit-il, en riant.

« Gagn kass ziss pou ravitayman dan baz… »

L'argent circule-t-il dans les « baz » ? Sam répond : « Nou ziss gagn kass pou ravitayman dan baz kan ziska tar aswar nou fer nou ban stratezi pou al tir dimoun depi dan lakaz pou al vote zour eleksyon, sirtou kan nou trouve ena tigit dimoun kine al vote ». Il ne donne, toutefois, aucune précision sur les montants en jeu. Combien gagne un chef agent ? « Sa mo pa kone. Ziss li tousel kone komie li gagne ek zame nou pou kone », avoue-t-il. À la question des flux financiers pendant la campagne électorale, Sam indique que pour la sonorisation, la location des chaises ou des tables pour les congrès, réunions et « baz », ce sont les candidats eux-mêmes ou des sponsors qui financent ces dépenses.

Soirée d’un agent politique

En cette période de campagne électorale, il travaille pendant la journée. Puis, une fois chez lui, il part rejoindre les autres agents politiques à 19 heures pour les réunions, avant de rentrer vers 23 heures et il recommence le lendemain. « En ce moman, inpe trankil la. Kuma la liste kandida pou nomination day anonse, lerla travay la kumanse. Dis zour avan eleksyon lambians kumanse ek li vinn pli for zour eleksyon. Kan parti gagne lerla, nou celebre », indique-t-il. 

Son rôle en tant qu’agent politique 

L’agent politique explique que son équipe et lui font un travail de fourmi sur le terrain pour convaincre les électeurs de voter pour les candidats de son parti. « Nou al fer port-a-port pou explike kifer bizin vote pou nou bann kandida. Zour eleksyon, nou check la liste votants ek si nou trouve pena ase dimoun ine vote, nou al rod zot ek persuade zot pou al vote. Si zot pa kave bouze, nou amene zot », ajoute-t-il. Quels arguments utilisent-ils pour convaincre les électeurs de se rendre aux urnes ? Il soutient que ce sont les mêmes que met en avant son leader. « Parfwa, sa marse, parfwa non. Ena al vote me zot pa vote pou mo parti. Tou zafer kav arrive », rigole-t-il. Que se passe-t-il si ses attentes envers les élus ne se concrétisent pas ? « Si pena satisfaksyon lerla pou bizin reflesi si pou kontinye ek parti la ou sanze pou lot eleksyon », conclut Sam, avant de partir pour une réunion d’agents politiques qu’il qualifie « importante ».

Yadav Damree : « Nous faisons tout pour faire élire les trois candidats en lice »

À 27 ans, Yadav Damree incarne une nouvelle génération de jeunes engagés en politique déterminés à apporter un vent de changement. Avocat de profession et conseiller au Conseil du district de Flacq, il s'est rapidement imposé comme une figure clé du soutien à l'Alliance du Changement dans la circonscription No. 9, Flacq/Bon-Accueil. Entouré d'une équipe dynamique, il aspire à un avenir politique plus transparent, tout en dénonçant les scandales et la corruption affectant le pays.

À l'approche des législatives, Yadav Damree met tout en œuvre pour faire connaitre les trois candidats de l’Alliance du Changement, convaincu qu’il est temps d’offrir à Maurice un nouveau cap. Son objectif : faire élire les candidats alignés dans sa circonscription. Est-il un agent politique ? « On peut dire ça », répond-il en riant. Plus sérieusement, il précise : « En tant que conseiller et avocat, je suis témoin de la montée des scandales impliquant des politiciens, des allégations de corruption dans le secteur public et des menaces contre la liberté d'expression. Il est grand temps que l'Alliance du Changement prenne les rênes du pays ». Il ajoute : « Dans mon village, nous avons formé une équipe de jeunes, épaulés par des personnes expérimentées en organisation électorale. Chaque jour, nous travaillons pour nous préparer au mieux dans les semaines ou jours restants avant les élections ».

Quant aux défis en tant qu'agent politique, Yadav Damree évoque souvent des incidents comme les oriflammes endommagées ou encore la répression, ainsi que la peur de subir des pressions politiques qui pourraient affecter sa vie personnelle. « Est-ce difficile d’être un agent ? », lui demande-t-on. « Être actif en politique et œuvrer pour le changement n'est pas facile », nous confie-t-il. Le jeune homme souligne aussi l'importance de la sécurité personnelle pendant la campagne électorale et insiste sur la nécessité de rester discipliné dans ses actions, tout en étant respectueux envers les adversaires.

Concernant la logistique, Yadav Damree explique que souvent, la nuit, avec le soutien des amis de l'Alliance du Changement, ils se penchent sur différents aspects pour assurer une campagne bien structurée et mobiliser les électeurs. Il explique : « Grâce à la coopération de tous les membres de l'équipe dans le village et à la supervision de ceux qui ont de l'expérience, nous menons une campagne disciplinée et organisée ». Il ajoute que son équipe et lui accompagnent également les candidats lors des porte-à-porte, expliquant aux habitants de leur circonscription l’importance d’un changement de gouvernement.

En termes de dépenses, Yadav Damree reconnaît que le budget de son équipe est bien inférieur à celui des équipes du gouvernement sortant, mais ils gèrent les ressources avec soin. « Les jeunes qui soutiennent l'Alliance du Changement incluent des professionnels engagés dans des initiatives civiques. Ils apportent des idées qui contribueront non seulement à la campagne, mais aussi à une meilleure gouvernance », souligne-t-il.

Quant aux congrès nocturnes, Yadav Damree indique que des réunions ont déjà débuté dans plusieurs villages de la circonscription No 9. « D’autres suivront, car ces congrès sont essentiels pour partager des informations et convaincre les électeurs. Cependant, nous veillons à respecter les horaires et à ne pas perturber les habitants des environs », fait-il ressortir.

Pour lui, il est crucial de sensibiliser la population au bon fonctionnement des institutions du pays. « Mon message pour convaincre les électeurs de voter pour le changement et la stabilité de notre démocratie sera adapté à chaque tranche d'âge », affirme le jeune agent politique. Ce dernier souligne aussi l'importance de l’implication des jeunes pour apporter des idées nouvelles et contribuer à l’avenir du pays. « Je mise beaucoup sur l'engagement des jeunes pour les législatives 2024. Il est grand temps qu’ils comprennent le concept de bonne gouvernance et qu'ils s’impliquent pour assurer la pérennité de notre démocratie insulaire », ajoute notre interlocuteur.  Il pense également que l’heure est à l’unité. « Nous devons nous unir en une seule famille et voter pour le changement afin de garantir la stabilité de notre démocratie », conclut-il.

Roshan Beegoo : « Cela fait 24 ans que je suis un agent volontaire… ».

Planteur résidant dans le village de Sébastopol, Roshan Beegoo s’implique activement pour soutenir les trois candidats de l’Alliance du Changement dans la circonscription No 10, Montagne-Blanche/GRSE. Depuis le début de la campagne électorale, en prélude aux législatives, il est sur le terrain, orchestrant des réunions nocturnes et les porte-à-porte pour persuader les électeurs de sa localité d’apporter leur soutien à cette alliance. Est-il un agent politique ? « Je préfère dire que je suis un agent volontaire », précise-t-il. Ayant connu l’organisation de cinq élections, Roshan Beegoo, qui soutient des politiciens depuis l’an 2000, explique que sa mission avec son équipe consiste à faciliter le processus de vote à Sébastopol. « En ce moment, nous organisons des réunions nocturnes jusqu'à tard pour assurer la coordination, car ces législatives représentent un événement majeur pour le pays », ajoute-t-il.

Il précise que l'Alliance du Changement, composée du PTr, du MMM, du ND et du ReA, réunit les agents de ces partis. Des responsabilités sont assignées à chacun. Puis, des équipes sont formées pour parcourir les différents quartiers.  Il confie : « C’est ce qui permet une synergie au sein des équipes d’agents pour le travail de terrain. En tant qu'agent, je fais partie d’un groupe qui couvre des régions spécifiques pour convaincre les gens de se rendre aux urnes le jour des élections ». Il précise que ces équipes agissent de manière volontaire et que les réunions se déroulent dans une ambiance disciplinée, favorisant une collaboration exceptionnelle entre les agents des différents partis de l'Alliance. 

Actif dans le milieu politique depuis 24 ans, il confie avoir acquis une riche expérience en tant qu'agent volontaire lors des élections. Cependant, il se réjouit de l'arrivée de jeunes au sein de l'équipe dans son quartier, soulignant que c’est une belle occasion d’échanger et de partager. « Les aînés de la circonscription contribuent également à renforcer le travail sur le terrain. Cette année, nous sommes particulièrement mobilisés pour encourager les habitants de notre circonscription à voter pour le changement, car notre pays mérite un avenir prospère », conclut l’agent politique.