Joseph Marie Louis Michel de Ravel de L’Argentière, 58 ans, a bénéficié, le 24 avril 2019, de la liberté conditionnelle. Cela après avoir été jugé coupable de 21 accusations d’abus sexuels sur des fillettes âgées de 5 à 13 ans, entre 1980 et 2004. Une sentence qui fait polémique et qui soulève l’indignation. Deux jours après, le DPP fait appel. Trois légistes font le point.
La sentence est-elle « justifiée » en raison de la tumeur cérébrale maligne dont souffre l’accusé ? Pour Me Neil Pillay, la maladie ne peut avoir d’impact direct sur la sentence, la personne a été reconnue coupable, elle doit être punie au même titre que les autres. « La cour pourra décider, vu l’état de santé de l’accusé reconnu coupable, décider d’une punition alternative. Il ne faut pas oublier les victimes dans cette affaire », dit l’avocat.
« Souvent, indique Me Neil Pillay, des prévenus qui veulent éviter un procès et une condamnation plaident la maladie. Ainsi, la maladie et l’incapacité à faire face au procès ont été plaidées dans l’affaire Sir Harry Tirvengadum. »
« La cour n’acceptera pas une simple déclaration de maladie du prévenu. L’accusé devra justifier cette demande d’arrêt du procès pour cause de maladie, preuve médicale à l’appui. Il faudra démontrer qu’il n’est pas apte à faire face au procès qui nuira à sa santé. La poursuite devra prouver le contraire, en exigeant que l’accusé soit examiné par des médecins de l’État. La charge de la preuve établira l’inaptitude à faire face au procès. L’accusé devra prouver ses dires », poursuit-il.
La question des droits humains, des facilités médicales offertes dans le milieu carcéral peuvent aider la cour dans l’énoncé de la sentence. Selon Me Neil Pillay, « la cour doit se montrer créative dans la façon de punir l’accusé. Les magistrats ont ce pouvoir. Une loi spécifique peut aussi être adoptée. Je songe à l’assignation à résidence de l’accusé, pour une durée à être déterminée, en cas de délits sexuels. Son nom sera inscrit dans un registre des « pédophiles » ou « violeurs », pour protéger la société. On peut interdire à l’accusé d’approcher les enfants (cas de pédophile) ou sa (ses) victime (s) (viol ou abus sexuels) pour une durée déterminée. »
« Toutefois, il ne faut pas donner de mauvais signal, sous prétexte que l’accusé est atteint d’une maladie incurable, qu’il s’en sorte aux dépens de la victime. D’où ma suggestion : il faut des sanctions plus créatives. La cour doit être « juste » dans l’énoncé du verdict et ne pas oublier le sort des victimes », dit Me Pillay.
Me Yatin Varma, ex-Attorney General, explique que la décision incombe au Directeur des poursuites publiques (DPP). « Si le bureau du DPP considère la sentence trop clémente, il peut faire appel de la décision. Valeur du jour, la décision de la cour intermédiaire reste une bonne décision et constitue une persuasive authority ».
Toutefois, ce n’est pas une binding authority comme on dit dans le jargon légal. « La Cour suprême est habilitée à revoir la sentence en appel, voire s’en remettre au Conseil privé ». Comment expliquer cette remise en liberté conditionnelle alors que la loi prévoit une peine maximale de 5 ans de prison ? « La magistrate a « toute discrétion » eu égard aux circonstances », dit Yatin Varma.
Appel : Deux points soulevés par le DPP
Vendredi 26 avril 2019, soit deux jours après l’énoncé du verdict, le DPP Satyajit Boolell, Senior Counsel, fait appel de la sentence prononcée, le 24 avril 2019, dans l’affaire de Joseph Marie Louis Michel de Ravel de l’Argentière. Selon le DPP, la sentence imposée par la cour intermédiaire est « indulgente » et « wrong in principle ». Par ailleurs, le DPP avance que la cour a failli à faire la distinction entre le fait que l’accusé avait plaidé coupable et non coupable dans cette affaire.
Me Rashad Daureeawo, Senior Counsel : «La perception : les victimes n’ont pas obtenu justice»
La sentence passée contre Joseph Marie Louis Michel de Ravel de L’Argentière pour s’être livré à des attouchements sur huit fillettes interpelle. Un accusé invoque sa maladie et obtient une peine légère, votre réaction ?
Je dois préciser un point capital : Joseph Marie Louis Michel de Ravel de L’Argentière, a plaidé coupable sous 14 des 21 chefs d’accusation retenus contre lui. Délits commis entre 1980 et 1999, soit sur une période de 19 ans. L’affaire est rapportée à la police en 2012. La cour note que les victimes étaient des enfants des amis proches de la famille. Ils étaient des proies faciles. Le fait qu’il ait plaidé coupable a épargné aux victimes de devoir déposer en cour et revivre ce traumatisme. Subir un contre-interrogatoire, quand on est victime d’un délit sexuel est un exercice pénible. Pour d’autres chefs d’accusation, il n’a pas plaidé coupable, donc nul besoin d’écouter des témoins. À noter que selon les médecins, dans le cas de Joseph Marie Louis Michel de Ravel de L’Argentière, ses chances de survie sont faibles, car sa tumeur au cerveau requiert un traitement spécifique.
Le fait de plaider coupable peut-il alléger la peine ?
En plaidant coupable sous plusieurs charges, un accusé bénéficie d’une certaine remise de peine. Évidemment, dans pareil cas, la défense doit présenter les circonstances atténuantes. Ce qui peut entraîner une réduction de la peine.
Et à l’heure où la question d’abolir les accusations provisoires fait débat, j’observe dans ce verdict que Joseph Marie Louis Michel de Ravel de L’Argentière n’a pas été placé en détention préventive. Mais pour d’autres cas semblables, le suspect est arrêté, présenté en cour et détenu en prison en attendant de retrouver la liberté sous caution. Il faut le souligner, car la cour déduit de la sentence le temps que l’accusé a passé en détention préventive.
Comment l’accusé doit-il établir en cour sa maladie pour bénéficier d’une peine légère ?
Par de seuls moyens médicaux : en appelant à la barre des témoins, des spécialistes de la filière de sa maladie particulière. Ainsi si c’est d’une tumeur qu’il souffre, il doit faire alors appel à un neurologue ; pour une maladie du cœur, il fera témoigner un cardiologue.
La poursuite peut-elle contester les conclusions d’un médecin sur l’état de santé de l’accusé ?
Lorsqu’un accusé plaide coupable, la poursuite, par élégance et par éthique, ne mettra pas en avant des éléments aggravants. Si elle considère que le médecin appelé par la défense a exagéré la maladie du prévenu ou présenté un diagnostic, la poursuite pourra avoir recours à une contre-expertise médicale. Ce sera alors la guerre des experts, soit un mini-procès dans le procès.
Quel rôle jouera alors la cour ?
Le magistrat ou le juge saura apprécier la gravité de la maladie et prendre une décision en conséquence après les auditions des experts ou des médecins spécialistes.
Une fois la maladie établie, cela peut-il influencer le verdict ?
Cela dépend. Il n’y a aucun barème pour indiquer qu’une maladie particulière entraîne automatiquement une réduction de peine. Ainsi, la cour va considérer dans un cas où l’accusé est gravement malade s’il a plaidé coupable en connaissance de cause. C’est-à-dire s’il avait toutes ses facultés pour comprendre le déroulement du procès.
Imposer une peine légère (liberté conditionnelle) alors qu’on pouvait infliger une peine de prison ne risque-t-il pas d’envoyer un mauvais signal à la société ?
Il y a la perception générale que les victimes n’ont pas obtenu justice. Je suis moi-même militant pour les droits des victimes. Il faut voir la sentence dans son intégralité, compte tenu des facteurs de proportionnalité de peine et d’uniformité dans les cas semblables. La magistrate a pris soin d’expliquer son raisonnement en droit. Elle a le devoir de faire la balance entre la gravité des délits reprochés et les principes de droit. Elle a fait usage de sa discrétion, de manière judicieuse et non capricieuse, pour trouver un équilibre entre les deux facteurs et leurs poids dans la balance. Tout cela pour arriver à une conclusion juste et raisonnable. Quoiqu’il en soit, cette décision n’est pas un précédent, ce qui relève de la Cour suprême.
Réclamation de dommages
Joseph Marie Michel de Ravel de l’Argentière fait face à sept réclamations au civil. Les plaignantes, âgées aujourd’hui entre 21 et 27 ans, l’accusent d’avoir abusé de leur innocence, durant leur enfance. Elles réclament chacune Rs 5 millions de dommages. Ces affaires sont devant la Cour suprême.
Jean Patrick Ferrat, porte-parole de Pedostop : «Cette sentence a déclenché une vague de révolte…»
Jean Patrick Ferrat, le porte-parole de l’association non gouvernemental (ONG) Pedostop, se dit « consterné » par la sentence infligée à Joseph Michel de Ravel de l’Argentière, le 24 avril 2019, en cour intermédiaire. « Cette sentence a déclenché une vague de révolte et a étonné plus d’un », dit-il. « Ce cas était un trial pour donner une leçon aux pédophiles. On s’attendait à une sentence exemplaire vu que la cour l’a jugé coupable sous 21 chefs d’accusation. »
Selon Jean Patrick Ferrat, cette sentence n'envoie pas un bon signal à la société et est contre la lutte contre la pédophilie. « Dorénavant, les victimes ne voudront pas suivre ce parcours pénible, les va-et-vient en cour ou au poste de police, l’examen médical, après avoir dénoncé leur agresseur. Cela ne va pas encourager d'autres victimes à dénoncer les agresseurs»
Pédophilie
Michel de Ravel de L’Argentière obtient la liberté conditionnelle
Atteint d’une tumeur cérébrale maligne, Joseph Marie Louis Michel de Ravel de L’Argentière a bénéficié d’une liberté conditionnelle, le 24 avril 2019, en cour intermédiaire. Il a été jugé coupable, le 28 août 2018, d’attentat à la pudeur sur huit fillettes entre 1980 et 2004.
L’accusé a obtenu trois cautions de bonne conduite. Il dispose de 21 jours pour s’acquitter de deux cautions de Rs 10 000 et Rs 30 000 et devra signer des engagements de dette de Rs 25 000 et Rs 50 000. Il devra ne pas enfreindre la loi durant trois ans, faute de quoi il encourt entre un mois et trois mois de prison.
Dans sa décision, la cour intermédiaire s’est référée au « témoignage non réfuté » du neurologue Hemraz Boodhoo sur l'état de santé du prévenu qui souffre d’une « tumeur cérébrale maligne agressive ». Maladie diagnostiquée en novembre 2018 après l’énoncé du jugement le 28 août 2018. L’accusé a subi une opération et suit un traitement alternatif de chimiothérapie après avoir développé une allergie aux médicaments.
« La cour est convaincue que la maladie de l’accusé doit être considérée comme un risque potentiellement mortel qui justifierait l’imposition d’une peine plus légère en tant qu’acte de miséricorde ».
Selon le neurologue, Joseph Michel de Ravel de l’Argentière dispose de 8 % d’espérance de vie pour les prochains 24 mois. « D’après mon expérience, je dirais que seuls 1/3 ou moins de 25 % des patients survivent pendant 12 mois durant la première année suivant le diagnostic, avait soutenu le Dr Hemraz Boodhoo. Il n’y a pas de traitement curable pour cette maladie. »
Autre facteur atténuant : Joseph Marie Louis Michel de Ravel de L’Argentière en est à sa première condamnation devant la justice. La poursuite était représentée par Me Roshan Varma Santokhee qui avait requis une peine de prison.
Deux cas précédents
Verdict rendu Le 12 septembre 2018 : Travaux communautaires à Ramkalawon
La cour intermédiaire avait infligé 300 heures de travaux communautaires à Satyajeet Ramkalawon. Il avait mortellement agressé son neveu Vissal Bunjhoo en 2003.
Le 29 août 2018, la cour intermédiaire avait infligé une peine de deux ans de prison à Satyajeet Ramkalawon, 55 ans. Elle avait cepenant suspendu la condamnation et commandité un rapport social pour déterminer si l’accusé était apte à faire des travaux communautaires. Le rapport étant favorable, la peine de prison a été commuée à 300 heures de travaux communautaires.
C’est le 13 juillet 2016 que le Directeur des poursuites publiques (DPP) avait institué un procès contre Satyajeet Ramkalawon. Le quinquagénaire était accusé de coups et blessures ayant causé mort d’homme sans intention de tuer. La victime était son neveu Vissal Bunjhoo, âgé de 23 ans. Un délit commis le 24 août 2003 à Mission Cross Road, Bon-Accueil.
Le quinquagénaire avait soutenu en cour qu’il voulait donner une correction au neveu qui aurait manqué de respect à son épouse. Satyajeet Ramkalawon ne jouit pas d’une bonne santé et se déplace avec des béquilles.
Son avocat, Ravi Rutnah a évoqué le délai abusif (du procès) et avait plaidé que son client ne fasse pas de la prison, eu égard aux circonstances familiales.
La cour dit avoir considéré l’âge de l’accusé (40 ans) au moment des faits, qu’il a coopéré avec la police, qu’il a été victime de plusieurs attaques et qu’il ne peut se déplacer sans ses béquilles.
La cour rappelle aussi la gravité du délit (avec mort d’homme) et le prononcé du verdict 15 ans après les faits.
Verdict rendu Le 16 juillet 2014 : Liberté conditionnelle à Ghoorbin
Il était âgé de 90 ans au prononcé de sa sentence, le 16 juillet 2014, aux Assises. Seewooduth Ghoorbin a bénéficié de la liberté conditionnelle pour l'agression mortelle de Rajesh Sharma Nathooram, le 13 octobre 2010.
Reconnu coupable de coups et blessures ayant causé mort d’homme sans intention de tuer, le vieil homme a obtenu la liberté conditionnelle contre une caution de bonne conduite de Rs 50 000. Il demeurera en maison de retraite pour les trois prochaines années. Tout délit commis par la suite lui vaudra six mois de prison.
La cour d’assises dit avoir considéré les « circonstances exceptionnelles de l’affaire » : une peine de prison serait inappropriée.
Une histoire d’ordures est à l’origine du drame, à Rivière-du-Poste. C’est avec sa canne que Seewooduth Ghoorbin avait agressé son voisin. Blessé à la tête, Seewooduth Ghoorbin a aussi été hospitalisé.
La directrice de sa maison de retraite avait témoigné lors du procès. « Il est chez nous depuis quatre ans. Seewooduth Ghoorbin a besoin d’une assistance permanente, car il ne peut ni se déplacer ni prendre seul ses médicaments. »
Le Dr Paramasiven Motay, psychiatre, avait témoigné pour Seewooduth Ghoorbin : « Il est victime d’une baisse d’autonomie globale, ne comprend plus certaines questions et souffre d’un début de détérioration mentale. »
Me Shakeel Bhoyroo, Senior Counsel devait rappeler qu’une personne avait perdu la vie. Un délit sanctionné par une peine maximale de 20 ans.
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